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Les valeurs refuge vont rester, mais elles auront moins de succès

Le marché des changes peut être aussi glissant qu'un débarcadère gelé à Genève. Keystone

Les investisseurs continueront à affluer vers la valeur refuge franc malgré la décision de la Banque nationale suisse (BNS) de ne plus soutenir son cours face à l’euro. C’est l’avis de plusieurs experts présents au Forum économique de Davos.

La question a été posée lors d’une table ronde du WEF: existe-t-il aujourd’hui une valeur refuge? Les exportateurs suisses et la branche touristique seraient consternés de la réponse, mais c’est un «oui» affirmé. En période de tension, les investisseurs chercheront toujours des zones de sécurité, mais les niveaux actuels de volatilité montrent que chaque refuge a son point de rupture.

Le revirement brutal de la BNS est un cas d’espèce. La banque centrale helvétique aurait pu théoriquement continuer sans fin à défendre le franc, mais finalement, elle a dû admettre que son taux plancher de 1 franc 20 pour un euro n’était pas tenable. La pression politique interne, les remous en Russie, la chute du prix du pétrole et les menaces d’assouplissement quantitatif de la Banque centrale européenne (BCE) ont créé le choc parfait pour forcer la BNS à abandonner sa politique.

Mais les investisseurs continuent à miser fortement sur le franc. La semaine dernière, la BNS a enregistré des dépôts de banques commerciales pour 402 milliards de francs, contre 388,7 milliards la semaine précédente. Et ceci malgré l’annonce de taux négatifs le mois dernier et celle de l’abandon du taux plancher face à l’euro jeudi dernier.

David Puth, CEO de CLS Group, qui traite des ordres sur le marché des changes pour quelque 5000 milliards de dollars chaque jour, a une bonne vue d’ensemble de la situation. Le jour où la BNS a abandonné sa défense du franc, le volume de transactions de sa firme a doublé.

«Nous avons vu passer un volume record de 2 millions 250’000 transactions totalisant 9’200 milliards de dollars de paiements en devises, qui ont été réglés sans aucune difficulté en 45 minutes», raconte David Puth à swissinfo.ch, précisant que près de la moitié des transactions concernaient le franc suisse.

Refuges en vogue

En quelques heures, le franc s’est apprécié de près de 30% face à l’euro, mais depuis, il s’est établi juste au-dessus de la parité avec la monnaie unique. David Puth, ancien trader sur le marché des changes et ancien dirigeant chez JP Morgan, ne pense pas que les investisseurs seront rebutés par la volatilité d’un franc normalement stable.

«La BNS a essayé tout ce qu’elle a pu pour dissuader les gens d’investir dans sa monnaie, mais ça n’a simplement pas marché, poursuit David Puth. Le monde entier est volatile en ce moment. Les taux d’intérêt baissent partout et la plupart des pays développés connaissent des pressions déflationnistes. Je pense que les gens vont continuer à voir la Suisse comme un endroit où investir, parce qu’il n’y a pas beaucoup d’autres choix».

Tobias Straumann, historien de l’économie à l’Université de Zurich, estime aussi que la Suisse va continuer à être victime de son propre succès et à attirer des volumes non désirés d’investissements dans les moments critiques.

«En 2007, les économistes ont cru que l’effet valeur refuge avait disparu à cause de la force de l’euro, rappelle le professeur à swissinfo.ch. Mais une année plus tard, les valeurs refuge sont revenues à la mode».

«Depuis 2011, l’économie suisse n’a pas fait particulièrement mieux que la suédoise ou la norvégienne, mais les marchés ont cette tradition historique de se réfugier vers le franc quand les grandes monnaies sont en difficulté. Les marchés ne sont pas entièrement rationnels», ajoute Tobias Straumann.

Des problèmes dans l’air

A Davos, on ne s’attend guère à ce que les choses aillent beaucoup mieux pour la Suisse, à voir certaines banques centrales abandonner des mesures qui boostaient artificiellement les économies (comme la Fed américaine), alors que d’autres, comme la BCE, continuent à dépenser.

Il en résultera «une époque de grande volatilité inattendue», selon Anthony Scaramucci, fondateur et directeur de la firme d’investissement alternatif américaine Skybridge Capital.

Guillermo Ortiz, ancien gouverneur de la Banque du Mexique, juge que «les divergences de politique monétaire entre banques centrales ajoutent une couche de risque qui engendre l’incertitude et cause la volatilité», comme il l’a dit dans un débat du WEF.

Des débats où il a été souligné à plusieurs reprises que les banques centrales ne peuvent pas à elles seules gérer les problèmes affectant l’économie globale. Seules des réformes gouvernementales, comme la refonte des politiques des pensions ou la réduction du gaspillage, sont à même d’apaiser le tempête.

La volatilité réduira l’efficacité des valeurs refuge traditionnelles, comme le franc suisse, mais il continuera malgré tout à attirer les investisseurs en temps de troubles, maintient David Puth. «Le problème, c’est que la Suisse a accumulé un stock de réserves qui menaçaient de submerger le système. Elle n’avait pas d’autre choix que d’arrêter, déclare-t-il à swissinfo.ch. Je pense qu’il est impossible pour une économie de taille moyenne comme la Suisse d’être un refuge efficace dans le climat actuel».

(Traduction de l’anglais: Marc-André Miserez)

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