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La presse suisse amère face au deal entre Berne et Washington

Rien n'arrête la justice et le fisc américains Keystone

Au lendemain de la « solution » présentée par la ministre suisse des finances pour sortir les banques suisses du guêpier fiscal et judiciaire américain, la presse suisse se montre dans l’ensemble très sévère envers Berne, tout en constatant l’absence d’une alternative.

«Ce que Washington veut, il l’obtient ». Ce constat de l’éditorialiste du quotidien Le Temps se retrouve avec plus ou moins d’emphase dans la plupart des commentaires de la presse suisse. « Washington a gagné sur toute la ligne. Qu’a obtenu Madame Widmer-Schlumpf? Rien. », souligne la Tribune de Genève.

Le Temps relève lui: «On ne peut pas parler d’accord puisque aucune garantie n’est fournie par les Etats-Unis. Ni sur ce qu’il en coûtera finalement à la place financière suisse, ni sur un passage d’éponge complet sur le passé trouble des banques dans leurs relations avec les clients américains. La seule promesse obtenue est la suspension des nouvelles procédures judiciaires envisagées.»

En Suisse alémanique, le ton est plus virulent encore. La Neue Zürcher Zeitung évoque un « ordre de marche » délivré par les autorités de Washington, qui dictent toutes les règles du jeu. Et le journal zurichois proche des milieux de l’économie de souligner que la solution décrite mercredi est douteuse sous plusieurs aspects. Cette procédure d’exception s’apparente à un « numéro d’équilibriste ».

Pour son concurrent de centre gauche, le Tages-Anzeiger, la solution présentée mercredi par Eveline Widmer-Schlumpf « dépasse les pires prévisions ». Le journal zurichois n’hésite pas à parler de « chantage » de la part des autorités américaines.

Quant à la Basler Zeitung, elle se montre particulièrement dure avec la ministre. Dans un commentaire intitulé « Une honte », le journal proche de l’UDC (droite conservatrice) et de son leader charismatique Christoph Blocher affirme que rarement les choses sont allées si vite, au point que l’on pourrait penser qu’une guerre menace, écrit le journal de Bâle. «Même en 1939, on s’est pris davantage de temps ».

Son rédacteur en chef Markus Somm insiste en parlant d’un résultat « ignoble, humiliant, misérable ». Ce qui a été obtenu par les négociateurs suisses n’est rien d’autre qu’un «chèque en blanc » pour les « maîtres-chanteurs » de Washington.

À New York, le Wall Street Journal parle d’une «victoire contre les fraudeurs». Le quotidien financier cite un ancien procureur adjoint américain, Jeffrey Neiman: «Les banques suisses cherchent à se sauver. Il n’est plus dans leur intérêt d’accueillir les Américains ayant des comptes non déclarés.»

Le Financial Times évoque sobrement l’annonce du Conseil fédéral qui permet de «briser le silence». Dans son article, le quotidien économique relève que «les banques suisses sont désespérées de supprimer l’une des nombreuses épines liées à la fiscalité, même au prix de fortes amendes. »

Le journal basé à Londres ajoute que le plan du gouvernement «pourrait aider à restaurer la réputation des banques suisses», même s’il ne «conduit pas nécessairement à une forte augmentation des affaires aux Etats-Unis » pour la place financière suisse.

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Aux banques de se débrouiller

Résultat, selon le quotidien économique L’Agefi : «Les banques devront rendre des comptes sans assistance (…) Les banques concernées pourront négocier directement un règlement du passé, sans violer le droit suisse. Cependant, aucun cadre ni aucune garantie délimitant le processus de résolution n’ont été obtenus. Cela paraît peu. “La Confédération n’en fera pas plus”, a affirmé hier (mercredi) Eveline Widmer-Schlumpf ».

Autrement dit, poursuit L’Agefi : «Cette solution n’engage pas l’Etat financièrement et évite la rétroactivité ou le recours à des mesures extraordinaires. Pour les banques, cela ne résout rien. Les estimations de coût total des pénalités vont de 7 à 40 milliards. »¨

Une menace soulignée également par le quotidien vaudois 24Heures: «Suivant le montant de l’amende qu’elles devront régler pour solder leur passé américain, certaines banques suisses pourraient se retrouver dans une situation délicate. L’autre angoisse concerne les employés des banques concernées, en particulier ceux sous contrat américain. Les banques suisses incriminées ont beau avoir conclu un cadre conventionnel qui les oblige à soutenir et protéger leurs employés, ceux-ci risquent gros. »

«Mais pourquoi faudrait-il se lamenter? demande néanmoins Le Temps. Tout le monde garde la tête haute. Le Conseil fédéral sauve l’apparence du droit en édictant une loi d’exception, et en refusant de couvrir des banques qu’il considère, pour certaines, comme indéfendables. Les banques obtiennent le droit de ne pas devoir livrer automatiquement le nom de leurs clients américains. Les Etats-Unis peuvent continuer à démêler l’écheveau pour prouver jusqu’où l’évasion fiscale a gangrené de nombreux établissements suisses, et ainsi mieux fixer le montant de l’amende. »

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Un parlement hérissé

«Reste le Parlement, appelé à signer à l’aveugle les conditions de la capitulation, relève la Tribune de Genève. Une situation impossible qui le force à renier les principes élémentaires du fonctionnement démocratique. Et pourtant, il n’y a pas d’autre issue. L’avidité des banques, doublée d’une stratégie calamiteuse du Conseil fédéral, a mis la Suisse échec et mat. »

Alors que la Basler Zeitung appelle clairement à refuser l’arrangement, même au prix de fâcher Washington, le Bund de Berne se veut réaliste: le Conseil fédéral n’avait pas d’autre choix que d’accepter l’offre américaine. Le contraire reviendrait à prendre le risque que des banques suisses – en particulier les banques cantonales de Bâle et Zurich – voient leur existence menacée par l’ouverture de procédures pénales aux Etats-Unis.

Le Tages-Anzeiger lui exige la transparence. Selon le quotidien zurichois, les Chambres fédérales ne devraient accepter ce « deal » qu’en toute connaissance de cause. « Tous les faits doivent être connus à temps, aussi bien au Parlement que dans l’opinion publique». Sinon, cette procédure reviendrait à se moquer du législatif. Et si le gouvernement est convaincu que la Suisse doit céder pour préserver ses propres intérêts, alors il doit en prendre la responsabilité seul, sans associer le Parlement.

Le Temps relève aussi l’incertitude qui demeure avec la solution proposée par le gouvernement: «L’opacité qui entoure l’accord de paix comme le flou sur les conséquences du libre arbitre des établissements bancaires d’entrer ou non dans le programme américain de résolution du passé ne contribuent guère à la sécurité juridique et économique espérée de tous côtés.»

Cela dit, «on peut refuser sa solution, mais croire que cela affaiblirait la détermination de Washington de faire régner son ordre dans ce dossier constituerait une grave erreur», avertit 24Heures.

avec la contribution de Federico Bragagnini

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