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Face à l’inflation négative, la banque centrale suisse peut agir

Keystone / Peter Klaunzer

Professeur de macroéconomie à l’Université de Bâle, Yvan Lengwiler réclame de la Banque nationale suisse (BNS) une réorientation de sa politique monétaire. Avec deux confrères, l’économiste vient de lancer un observatoire de la BNS.

«Oser critiquer la BNS, c’est pour beaucoup cracher dans la soupe.» Avec deux éminents collègues, Yvan Lengwiler s’y risque avec la création d’un observatoire de la BNSLien externe. L’objectif est de contribuer à élargir le débat sur la banque centrale helvétique.

Les banques centrales comptent parmi les institutions nationales les plus influentes. Cela vaut pour la Banque nationale suisse (BNSLien externe) comme pour la Banque centrale européenne (BCE) et la Réserve fédérale américaine (Fed).

Dans son podcastLien externe baptisé Geldcast, Fabio CanetgLien externe dialogue avec ses invités issus des mondes académique et politique et de l’industrie financière à propos des stratégies monétaires internationales et leurs conséquences.

Que s’est-il passé depuis?

En septembre 2011, la BNS, alors présidée par Philipp Hildebrand, a introduit un taux plancher de 1,20 franc pour un euro. Son actuel président Thomas Jordan l’a levé en janvier 2015 à la surprise générale. Raison invoquée: ce cours plancher n’était «pas viable». 

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La Banque nationale suisse secoue les marchés

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«Une décision incompréhensible pour moi et ça le reste aujourd’hui», lance Yvan Lengwiler. Depuis la levée du cours plancher, les taux d’intérêt en Suisse atteignent un niveau record à l’échelle mondiale de -0,75%. Une baisse conséquente des taux apparaît donc exclue. De fait, la BNS a abandonné les taux d’intérêt comme instrument (de politique conjoncturelle), résume l’économiste.

Pourtant, la banque nationale reste «fondamentalement» rétive aux débats sur sa politique monétaire. «En Suisse, on parle trop peu de la BNS», juge Yvan LengwilerLien externe. D’où sa décision récente d’y remédier.

Yvan Lengwiler
Yvan Lengwiler est professeur de macroéconomie à l’Université de Bâle. Universität Basel

«L’alpha et l’oméga de la politique monétaire»

Entre autres choses, Yvan Lengwiler remet en question l’objectif d’inflation de la banque nationale. Actuellement, celle-ci cherche à maintenir la hausse des prix entre 0 et 2%. Trop vague, assure l’économiste bâlois, qui demande à la BNS de fixer un objectif d’inflation de 2%. Les acteurs économiques sauraient ainsi mieux à quoi s’en tenir: «Si la banque nationale se fixait un objectif de 2%, cela nous indiquerait qu’elle cherche à doper l’inflation». Une inflation située actuellement à -0,5%.

Selon l’économiste, une cible d’inflation plus élevée conduirait à des attentes supérieures en termes de hausse des prix. L’équivalent d’un coup de pouce au restaurateur et au marchand de fruits et légumes. Une hausse des prix signifierait pour eux un chiffre d’affaires en croissance. Installer une nouvelle cuisine ou rénover ses serres redeviendrait rentable pour eux. De quoi donner le sourire aux maîtres d’ouvrage confrontés à de nouvelles commandes. En clair, les anticipations d’inflation favorisent l’économie.

Yvan Lengwiler en tire cette conclusion que gérer les anticipations d’inflation est «l’alpha et l’oméga de la politique monétaire». C’est particulièrement important lorsque les taux d’intérêt ne peuvent être abaissés davantage. À ses yeux pourtant, la BNS «néglige» cette tâche «de manière criminelle».

La personne importe peu

On le voit, l’économiste en appelle à un management plus efficace des anticipations. Ceci dit, les attentes en matière de hausse des prix augmenteraient-elles vraiment si la BNS relevait son objectif d’inflation? Yvan Lengwiler en est convaincu. La crédibilité de la banque nationale est élevée. Il importe peu, selon lui, que son président soit perçu dans le public comme étant hostile à l’inflation. «Lorsqu’un représentant de la BNS annonce que l’institut vise 2%  d’inflation, cela a du poids. Même si c’est Thomas Jordan qui le fait.»

Reste que cette annonce à elle seule ne suffirait pas à doper l’inflation. «La banque nationale doit également présenter un plan sur la manière dont elle souhaite y parvenir», note Yvan Lengwiler. Il propose une nouvelle stratégie de taux de change. La banque centrale devrait viser une dévaluation du franc suisse de quelques pourcent par an. Le faire passer par exemple de 1,11 franc pour un euro aujourd’hui à 1,13 pour un euro à fin 2021. Cette formule renchérirait les importations, d’où impact sur le niveau des prix en Suisse. 

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Ces dix dernières années, la banque nationale a veillé à ce que le franc ne s’apprécie pas trop rapidement. Ce faisant, elle a acheté des devises étrangères pour l’équivalent de 690 milliards de francs. Malgré ces interventions, le cours de l’euro est passé de 1,48 franc en 2010 à 1,11 franc.

Freiner les interventions

Pour Yvan Lengwiler, il faut inverser cette tendance. De quoi faire exploser le bilan de la BNS? Absolument pas, certifie le professeur de macroéconomie, qui rappelle l’expérience de 2011 à 2015. «Durant la période du taux plancher, la BNS est moins intervenue qu’après sa levée». Pour Yvan Lengwiler, les choses sont donc claires: «Si vous faites comprendre aux marchés financiers quel objectif de cours de change vous poursuivez, vous devez moins intervenir».

L’ensemble de la discussion est à écouter sur le GeldcastLien externe de swissinfo.ch (en allemand).

Fabio CanetgLien externe a obtenu un doctorat en politique monétaire à l’Université de Berne et l’École d’économie de Toulouse (TSE). Il est actuellement chargé d’enseignement à l’Université de Neuchâtel. Il écrit comme journaliste indépendant pour swissinfo.ch et Republik. Il anime aussi le podcast Geldcast de swissinfo.ch (en allemand).

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