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Guérir l’économie grecque sera difficile et frustrant

Une image qui en dit long sur le climat en Grèce: mardi, le ministère de Finances a baissé ses grilles pour se protéger de la colère des manifestants. Keystone

La Grèce attend avec impatience les 8 milliards d’euros d’aide promis. Mais la «troïka» retarde le versement, dans l’attente de davantage de mesures d’austérité de la part d’Athènes. Si les experts suisses sont partagés sur la date du versement, tous estiment que la facture sera douloureuse pour les Grecs.

La situation de la Grèce se complique de jour en jour. Janwillem Acket, économiste en chef de la Division recherches économiques globales de la banque Julius Bär résume le problème sans fioritures. «La Grèce a fait des promesses qu’elle ne pourra pas tenir, juge-t-il. Elle est sous pression pour tenir ces promesses faites en juin dernier à la ‘troïka’ constituée de la Banque centrale européenne, du Fonds monétaire international et de l’Union européenne.»

Concrètement, Athènes a proposé de réduire son déficit budgétaire à 7,4% de son PIB en 2011, rappelle l’expert. Mais son économie ralentit beaucoup plus que prévu et son PIB devrait chuter de 5,5% au lieu des 3,5% attendus. Or, sans activités économiques, les recettes publiques se voient forcément menacées.

«Le déficit public sera de 8,4% et la troïka exige de nouveaux engagements. Je pense que l’aide de 8 milliards d’euros sera débloquée, mais que cela interviendra à la mi-novembre plutôt qu’en octobre comme initialement prévu», prévoit Janwillem Acket.

Une médecine qui tue

En Grèce, cette situation a de fortes répercussions sur la vie quotidienne. Mardi, le ministre des Finances Evangelos Venizelos a reconnu que son pays «pourrait avoir des difficultés» à atteindre ses objectifs en matière de réduction du déficit. Et mercredi, le pays a connu une nouvelle grève générale de 24 heures qui a paralysé les transports, les services publics, les entreprises privées et le secteur financier.

La situation en Grèce a provoqué un grand dilemme, poursuit Janwillem Acket: «Elle conforte l’impression que, dans leur tentative de soigner un malade, les médecins tuent en réalité leur patient. Mais le malade n’a pas respecté les prescriptions comme il le devait, il a manqué de discipline et ceci fait que tous les efforts pour soigner la Grèce sont frustrants et difficiles.»

Malheureusement, ajoute l’expert de la Banque Julius Bär avec pessimisme, le risque que la Grèce se déclare en faillite avant Noël – avec Athènes qui est encore membre de la zone euro – est toujours plus grand.

Des semaines de spéculation

Bien que les sauvetages financiers aient une connotation péjorative, ils sont parfaitement légitimes lorsqu’un Etat est confronté à un problème de liquidités à court terme, affirme pour sa part Simon Evenett dans un essai intitulé Quand la Grèce se prononcera-t-elle finalement en faillite ?

Ce professeur de commerce international et développement économique de l’Université de St-Gall avertit cependant qu’il convient de distinguer entre «problème de liquidités et problème de solvabilité. L’incapacité à percevoir des impôts et la stagnation des recettes provenant des exportations réduisent les possibilités de réduire la dette. Or ces deux facteurs sont fondamentaux par rapport au problème de solvabilité que rencontre la Grèce.»

Simon Evenett assure que «les trois prochaines semaines feront l’objet de beaucoup de spéculations. C’est un fait que les gouvernements européens et les autorités financières œuvrent pour aider la Grèce, mais ils exigent davantage de réformes et un assainissement de la part d’Athènes». A ses yeux, la Grèce a tout renvoyé à la dernière minute et paye maintenant les conséquences de son manque de rigueur passé.

Le professeur d’économie n’est donc pas très optimiste quant à l’évolution de la situation d’ici la fin de l’année. «Je crois que le calme ne reviendra pas, dit-il. Il est difficile d’estimer à quel moment cette période d’instabilité prendra fin. Par ailleurs, outre le problème grec, il faut également observer de près l’Espagne et l’Italie, qui travaillent aussi à leurs propres réformes.»

Impact sur les familles

L’Institut de macroéconomie appliqué de Zurich (KOF) ne pense de son côté pas qu’il faille voir la faillite de la Grèce comme première option.

«On peut s’attendre à ce que la troïka vienne en aide à la Grèce, remarque le directeur du KOF Jan-Egbert Sturm. Mais avant de recevoir les 8 milliards d’euros supplémentaires, la Grèce devra prouver qu’elle mettra en œuvre et qu’elle intensifiera les mesures d’austérité qui ont été adoptées.»

Mais pour Jan-Egbert Sturm, nous assistons actuellement à un intense processus de marchandage politique. Or la situation est d’autant plus compliquée que la Grèce vit dans une sorte de cercle vicieux.

«Les mesures d’austérités ont des conséquences très dures pour les ménages et l’économie, explique le directeur du KOF. Beaucoup de fonctionnaires perdront leur emploi et les impôts sur les biens de consommation augmenteront. Toutes ces mesures d’austérité prolongeront la récession et provoqueront encore plus de chômage.»

Un processus qui prendra des mois

Une analyse effectuée par la grande banque suisse UBS sur les conséquences possibles que la crise grecque pourrait avoir à partir d’octobre montre que le scénario de la faillite ne semble pas être le plus probable. Elle explique cependant ce qui pourrait se passer dans un tel cas.

Selon Thomas Veraguth, expert de la division Wealth Management Resarch, si, à un moment ou à un autre, la troïka décide de ne plus consacrer de ressources à la Grèce, la Banque centrale européenne devra annoncer des mesures d’accompagnement claires pour éviter la contagion à d’autres pays comme l’Italie ou l’Espagne.

Selon ce scénario hypothétique, une faillite de la Grèce ne pourrait avoir lieu que si le Fonds de soutien financier des 17 pays de la zone euro travaille de pied ferme et de manière parfaitement organisée. Or celui-ci sera difficilement opérationnel avant 2012, étant donné que les parlements des 17 Etats membres doivent encore ratifier la création de ce nouvel organe.

Dans tous les cas de figure, que le processus débouche sur une faillite ou un sauvetage de la Grèce, UBS conclut qu’il faudra encore des mois pour qu’il se matérialise.

Environ 38 milliards d’euros (46,6 milliards de francs) auraient quitté la Grèce à destination des banques suisses entre janvier 2010 et juin 2011, selon les estimations du ministère grec des Finances.

Selon Athènes, les fonds grecs en Suisse se montent à un total de 348 milliards de francs), ce qui signifie des pertes fiscales annuelles de l’ordre de 12,2 milliards de francs pour l’Etat grec.

Ces chiffres sont considérés avec perplexité par la Banque nationale suisse dont les registres officiels ne font état que de 2,2 milliards de francs de fonds grecs en Suisse. Ces données ne portent cependant que jusqu’à la fin 2009.

La Banque nationale suisse reconnait par ailleurs que ses chiffres ne comprennent pas les investissements en obligations. De plus, étant donné le maintien du secret bancaire, en l’absence de présomption de fraude ou d’évasion fiscale, il est impossible de vérifier la nationalité des détenteurs de ces obligations.

Les problèmes financiers de la Grèce ne datent pas d’hier. Le pays est en difficulté depuis 2000, lorsqu’il a commencé à dépasser les limites de déficit et de dette fixé par le Pacte de stabilité et de croissance de l’Union européenne.

Le Global Competitiveness Report du Forum économique mondial de Davos place la Grèce en 90e position sur 142 pays analysés. Au niveau de la situation macroéconomique, elle est placée en 140e position, devant le Kirghizistan et la Jamaïque.

Selon Xavier Sala-i-Martin, conseiller en chef du Centre de compétitivité globale, «les investisseurs ont perdu confiance». En cause: des institutions publiques peu efficaces et corrompues et le manque de flexibilité du marché du travail.

La Grèce attend la 6e tranche du plan d’aide (8 milliards d’euros) annoncé au mois de mai 2010.

Au total ce plan d’aide devrait se monter entre 80 et 110 milliards d’euros sur trois ans. La troïka, composée de la Banque centrale européenne, de l’Union européenne et du Fonds monétaire international, n’accorde cependant ces aides qu’à la condition que le Grèce procède à des réformes en matière de finances publiques.

En raison de l’ampleur de sa dette, la Grèce doit faire face à des échéances elles aussi monumentales: 17 milliards d’euros pour le quatrième trimestre 2011 et 37,5 milliards d’euros pour l’année 2012, d’où ses problèmes de liquidités.

Traduction de l’espagnol: Olivier Pauchard

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