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Il est encore prématuré de «libérer» le franc

La BNS maintient son cap et le taux plancher du franc. imagePoint

A la veille de Pâques, une nouvelle attaque spéculative a brièvement porté l'euro au-dessous du cours plancher de 1,20 franc pour un euro fixé par la Banque nationale en septembre. Une politique qui favorise les exportations mais qui n'est pas exempte de risques.

Mardi face à la presse, le vice-président et président intérimaire de la BNS est monté au créneau pour qualifier d’«infondés» les doutes émis sur la politique des changes de la banque. Thomas Jordan a répété que celle-ci est prête «à acheter des devises en quantité illimitée» pour maintenir le franc dans les limites fixées et que la monnaie helvétique «demeure surévaluée».

Cette déclaration est intervenue après que quelques transactions isolées passées jeudi dernier juste en dessous de la barre de 1,20 franc ont pu semer le doute, sept mois après la fixation du taux plancher par la BNS.

Une volatilité qui s’expliquerait par la fragilité économique de l’Espagne, selon les analystes du journal Le Temps. Durant le week-end pascal, certains médias helvétique, comme le Finanz und Wirtschaft, ont accusé la BNS de «prendre des vacances» en ces moments difficiles.

Pour certains, la politique de la banque centrale est insuffisante, pour d’autres elle est excessive. Samedi par exemple, Hans Hess, le président de Swissmem, l’association de l’industrie des machines, des équipements électrique et des métaux, a déclaré dans le Landbote que le franc fort n’a pas provoqué la tempête attendue mais que, pour nombre de petites entreprises, la situation «demeurait dramatique».

A l’autre extrême, des instances comme le Fonds monétaire international (FMI) recommandent à la Suisse de revenir à une fluctuation libre de son taux de change dès que sa situation économique le permettra.

En quête de certitude

Est-ce le moment de changer de stratégie? Janwillem C. Acket, économiste en chef à la banque Julius Baer, répond à swissinfo.ch que la politique actuelle de la BNS a permis de freiner les effets de l’érosion, ce qui «offre aux entreprises suisses une plus grande stabilité dans la planification et l’exécution de leurs activités».

De son côté, Jan-Egbert Sturm, directeur de l’Institut de recherche conjoncturelle de Zurich (KOF), a expliqué à swissinfo.ch qu’un changement de politique ouvrirait la porte à l’incertitude. «Dans la situation présente, on ignore comment les marchés réagiraient à la suppression du taux plancher. La parité demeurerait peut-être à des niveaux proches de 1,20 franc contre un euro. Mais la moindre mauvaise nouvelle en provenance de la zone euro relancerait les spéculations sur le franc.»

Ces avis coïncident avec la position du ministre des Finances Johann Schneider-Ammann qui avait affirmé fin mars à la télévision suisse qu’abandonner le cours plancher «serait fatal pour le pays». L’ex-entrepreneur a été encore plus loin en affirmant qu’il verrait d’un bon œil un taux de change entre 1,35 et 1,40 francs pour un euro.

Risque d’inflation

Une décision qui ne serait pas sans effets secondaires. Le 6 avril, la BNS a annoncé que ses réserves de devises étrangères atteignaient 237,5 milliards de francs à la fin mars, soit 10 milliards de plus par rapport au mois précédent.

Chaque fois que la BNS achète des euros pour contrer la spéculation sur le franc, elle doit financer l’opération en vendant d’autres actifs (or, obligations, etc.) ou en faisant marcher la planche à billets. Une option qui comporte un risque d’inflation.

Selon Jan-Egbert Sturm, les craintes inflationnistes du FMI sont injustifiées pour le moment. «La Suisse traverse une phase d’inflation négative. Le franc s’est apprécié avant l’annonce de l’introduction du taux plancher et nombre de biens et de services sont devenus plus accessibles à l’étranger. Cela a certes exercé une pression sur les prix, mais à la baisse. Et ce n’est pas fini.»

Janwillem C. Acket partage cette analyse et souligne que «la déflation est encore à l’ordre du jour en Suisse». Pour les deux experts, différentes conditions doivent être réunies avant d’envisager une nouvelle politique des changes.

Selon Janwillem C. Acket, il est important que le taux de change s’éloigne spontanément du plancher de 1,20 franc. Le chef économiste de Julius Bär souligne l’importance d’une consolidation de la reprise économique en Suisse et estime indispensable une éclaircie dans la zone euro, car chaque soubresaut du marché risque d’inciter les investisseurs à acheter des francs.

Jan-Egbert Sturm ajoute pour sa part qu’une éventuelle modification de la politique des changes n’est envisageable que lorsque la pression à la baisse sur les prix cessera et que l’industrie d’exportation se sera adaptée à un franc fort.

En temps de crise, le franc suisse et l’or sont considérés par les investisseurs comme une valeur refuge. D’août 2008 à août 2011, le franc s’est apprécié de 44% face à l’euro.

Cette appréciation a pesé en particulier sur l’industrie d’exportation et sur le secteur touristique, si bien que la Banque nationale suisse (BNS) a décidé, au début de septembre 2011, de fixer un taux plancher de 1,20 franc pour un euro.

Parallèlement, le gouvernement fédéral adoptait des mesures pour combattre les effets du franc fort. En février 2011, des premières mesures étaient prises en faveur du tourisme national, de l’assurance contre les risques à l’exportation et de la promotion de la technologie et de l’innovation.

La BNS avait déjà fixé en 1978 un objectif de taux de change pour répondre à l’appréciation du franc vis-à-vis du mark allemand.

La mesure a eu les effets espérés. Mais au début des années 80, la mesure s’est traduite par une augmentation de l’inflation. En effet, pour maintenir le niveau du taux de change, la BNS devait acheter des devises étrangères chaque fois qu’il y avait de la pression sur le franc. Elle avait deux possibilité pour ce faire: vendre d’autres actifs (or, obligations…) ou faire marcher la planche à billets. Cette dernière option crée de l’inflation et fait diminuer le pouvoir d’achat de la population.

Traduction de l’espagnol: Isabelle Eichenberger

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