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Des parlementaires dans la zone grise

Qui les parlementaires fédéraux représentent-ils vraiment? RTSinfo a comparé les motions et les postulats soumis par les conseillers nationaux durant la 49e législature à leurs liens d'intérêt. L’enquête montre que, pour certains élus, le lobbyisme fait partie intégrante de la fonction.

Il n’y a pas que le parti qui fasse le parlementaire. Parallèlement à leur activité politique, la majorité des conseillers nationaux (Députés à la Chambre basse du parlement) entretiennent des liens avec diverses organisations qu’ils déclarent à leur entrée au Parlement dans un registre publicLien externe. La sobre dénomination «liens d’intérêt» recouvre des intérêts publics et privés, des mandats tant bénévoles que rémunérés dans des associations, des fondations ou des entreprises. RTSinfo a tenté d’estimer leur influence dans le débat politique.

En soi, il est attendu que les parlementaires s’expriment sur les thèmes qu’ils maîtrisent ou auxquels ils sont sensibilisés. Mais, souligne Cesla Amarelle (PS/Vaud), présidente de la Commission des institutions politiques, «il ne doit pas y avoir d’interférence entre les devoirs du député, représentant du peuple, et les intérêts privés. Or, le cadre actuel dans le domaine des droits et devoirs des députés est clairement insuffisant». 

Contenu externe

La méthode

RTSinfo s’est procuré auprès de Smartvote la liste de tous les motions et postulats déposés par les conseillers nationaux durant la dernière législature et les a comparés à leurs liens d’intérêt. La classification par thème de ces interventions parlementaires est établie par le Parlement lui-même (à l’exception de la catégorie «Caisses-maladie»). Certaines motions sont rattachées à plusieurs thèmes. Les liens d’intérêts sont ceux que l’on retrouve dans le registre du Parlement et dans la liste des mandats des parlementaires disponible sur Monetas (extraction réalisée par Stefano Puddu et Martin Péclat dans le cadre de leur travail sur les liens d’intérêt des parlementaires).

Au total, 1471 motions et postulats ont été déposés entre l’automne 2011 et le printemps 2015. La majorité d’entre eux concernent des thèmes trop vastes pour être corrélés à des liens d’intérêts (fonctionnement du Parlement, législation, institutions, économie, finances, etc.). Pour l’analyse, les thèmes «agriculture», «transport», «aménagement du territoire», «santé», «environnement», «énergie», «éducation» et «culture» ont été comparés aux catégories de liens d’intérêt suivantes: agriculture et économie du bois, transport, immobilier, construction, santé (et éventuellement médico-social), protection de l’environnement, énergie et eau, enseignement-formation et culture. Mais l’infographie permet de multiples autres combinaisons.

Ambassadeurs d’intérêts économiques

Certains conseillers nationaux recourent ainsi généreusement aux motions pour favoriser des activités économiques dans lesquelles ils sont impliqués. C’est entre autres le cas de l’agriculteur Erich von Siebenthal (UDC/Berne), très lié à l’économie du bois – il est président de Beo Holz et Berner Waldbesitzer. La majorité de ses interventions ont pour vocation de doper les affaires des exploitants agricoles et, surtout, des producteurs de bois : «améliorer la desserte forestière pour favoriser l’exploitation du bois», «suspendre la redevance sur le trafic des poids lourds pour les transports de bois brut», etc.

«Erich von Siebenthal est un agriculteur de montagne. Il est effectivement très actif pour défendre les intérêts de l’économie du bois, non seulement parce que cela le touche mais aussi parce que c’est ce que les personnes qui l’ont élu attendent de lui », estime à ce propos le PLR fribourgeois Jacques Bourgeois.

Thomas Böhni, lui, est un promoteur actif des énergies renouvelables. Cinq des six motions/postulats qu’il a déposés sont en lien direct avec ce sujet : «utiliser la chaleur produite par la géothermie», «supprimer les tarifs dégressifs pour l’électricité», «améliorer le cadre nécessaire au développement des installations ‘Power to gas’». Vraisemblablement sensibilisé à la question des économies d’énergie, le Vert’libéral thurgovien est aussi le directeur d’une entreprise qui en fait le commerce.

Pour la Vert’libérale vaudoise Isabelle Chevalley, Thomas Böhni est avant tout un entrepreneur passionné, consacrant beaucoup de son temps à son activité : «Au Parlement, il intervient essentiellement sur les sujets qu’il connaît.» Et d’ajouter : «Sur des sujets aussi techniques, il est important de savoir de quoi on parle.»

Des parlementaires «monomaniaques»

D’autres membres du Conseil national occupent le terrain avec un seul thème de prédilection. Ainsi Hans EgloffLien externe, dont toutes les motions abondent dans le sens des propriétaires immobiliers. Le texte «sécurité du logement. Droit d’option irrévocable quant à la valeur locative», par exemple, réclame une réforme fiscale qui leur est favorable (un «instrument d’optimisation fiscale», pour le Conseil fédéral). L’UDC zurichois est à la tête du Hauseigentümerverband (HEV), le lobby des propriétaires.

De l’autre côté de l’échiquier, la socialiste zurichoise Jacqueline Badran, membre du comité directeur de la fédération alémanique des locataires (SMV), a consacré plus de la moitié de ses interventions à sa cause, militant par exemple pour que les biens immobiliers des entreprises fédérales puissent être préemptés.

Les saint-galloises Yvonne GilliLien externe (Verts) et Margrit KesslerLien externe (Verts’libéraux), quant à elles, n’ont déposé que des textes sur la santé. La première est non seulement médecin, mais aussi avocate des médecines alternatives. On lui doit notamment une motion destinée à favoriser la mise sur le marché des traitements à base de plantes. La seconde préside l’Organisation suisse des patients (OSP) et multiplie les interventions en ce sens (améliorer les droits des patients, sécuriser les essais cliniques…).

Walter WobmannLien externe (UDC/Soleure), président de l’Association des entrepreneurs privés du transport public (BUS CH) et membre de la Commission nationale de circulation de l’Automobile Club de Suisse, a déposé quant à lui trois motions liées au transport, dont deux réclament la suppression de taxes environnementales sur les véhicules – la troisième concerne les amendes des automobilistes.

L’UDC zurichois Jürg StahlLien externe, membre de la direction du Groupe Mutuel, a pour sa part été peu prolifique mais ses interventions tout aussi ciblées puisque ses deux motions concernent l’assurance-maladie. Rappelons qu’à l’instar de la moitié des parlementaires liés aux caisses-maladie, il est membre de la Commission de la santé publique.

Jacques Bourgeois, le Romand le plus prolifique

Si l’on s’attache au nombre de motions/postulats corrélés aux intérêts, la socialiste soleuroise Bea Heim est en tête. L’enseignante a déposé 19 motions/postulats sur les thèmes de la santé et de l’éducation dans lesquels elle s’engage. «Ce n’est que par un nombre élevé d’interventions que je peux faire bouger les choses dans la protection des patients», a-t-elle expliqué à la radio-télévision publique alémanique SRF.

Les Verts’libéraux se battent pour exister

C’est au sein du parti vert’libéral que les parlementaires semblent les plus activistes. Sur 12 Verts’libéraux, 10 ont déposé des motions et/ou postulats corrélés à leurs intérêts déclarés -essentiellement dans l’environnement et l’énergie- soit un ratio de 83%. Ils se situent ainsi avant les Verts (9 sur 15), les socialistes et le PDC (respectivement 26 sur 46 et 16 sur 28), l’UDC (22 sur 54) et le PLR (10 sur 30).

C’est aussi au sein du parti vert’libéral que l’on compte le plus d’interventions corrélées aux intérêts de leur auteur(e : sur 61 interventions au total déposées par des Verts’libéraux, 30 sont corrélés aux intérêts de leur auteur, soit 49,2%. Les autres partis affichent des taux allant de 23,4% pour le PDC à 27,4% pour le PLR.

La Vert’libérale vaudoise Isabelle Chevalley explique avant tout l’activisme de son groupe par sa taille : «il est logique qu’un petit groupe soit plus actif qu’un grand, c’est aussi nécessaire pour exister». 

Côté romand de la Sarine, c’est Jacques BourgeoisLien externe qui arrive en tête. Directeur de l’Union suisse des paysans (USP), membre du conseil d’administration du barrage valaisan de Grande Dixence et du conseil de fondation de l’hôpital Daler à Fribourg, le libéral-radical a déposé au total 21 motions/postulats, parmi lesquels 14 sont corrélés à ses liens d’intérêt, dans l’agriculture et l’énergie.

«Je suis un parlementaire actif. En tant que directeur de l’USP, j’interviens pour améliorer les conditions cadres de la profession d’agriculteur, mais aussi en fonction de mes affinités ou autres pôles d’intérêt tels que l’énergie. Je considère que cela fait partie de mon travail de parlementaire», argumente-t-il.

Santé, énergie, agriculture: les plus “activistes”

Les conseillers nationaux liés au secteur sanitaire sont dans l’ensemble les plus fervents activistes. Sur 43, plus de la moitié (23) ont déposé au moins un texte en lien avec la santé au cours de la 49e législature (c’est même 62% si on prend en compte le médico-social). Le débat sur les questions de santé est, plus que les autres, dominé par des spécialistes: au total, 54% des 210 motions/postulats sur ce sujet ont été déposés par des parlementaires liés au secteur, dont environ un tiers de médecins.

Les 55 parlementaires engagés dans l’énergie n’ont pas non plus ménagé leurs efforts. Vingt-huit d’entre eux, peu ou prou la moitié, ont déposé au moins un texte sur ce thème. Plus de 60% des 89 interventions relatives à l’énergie sont l’œuvre de politiciens liés au secteur. Quant aux conseillers nationaux du secteur agroalimentaire, ils sont plus de 40% à être intervenus au moins une fois sur la question. Sur les 98 motions/postulats concernant l’agriculture, près des deux tiers ont été déposés par des parlementaires ayant déclaré des mandats dans ce milieu.

A l’inverse, les parlementaires liés aux caisses-maladie tendent à être moins actifs que les autres : seul un quart d’entre eux a soumis une intervention sur ce thème (4 sur 16) et, sur 32 motions relatives à l’assurance-maladie, seulement 8 ont été déposées par des intéressés (là encore, un quart). Les plus actifs en la matière sont finalement les socialistes Ada Marra et Stéphane Rossini, qui ont déposé plusieurs textes destinés à encadrer les pratiques des caisses-maladie. 

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