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Sciences en Suisse: ces femmes qui guident le changement

La chercheuse en gravité qui se rêve en apesanteur

Lavinia Heisenberg
Physicienne reconnue, Lavinia Heisenberg serait prête à entamer une nouvelle carrière comme astronaute. ETH

À fin mars, elle s’inscrira au concours pour futurs astronautes européens – le premier depuis 2008. Pour l’instant, elle est cosmologiste à Zurich, et vient de décrocher un Prix Latsis pour ses travaux sur la gravité, qui visent à amender la relativité d’Einstein.

La rumeur courait, cette fois c’est officiel! L’Agence spatiale européenne (ESA) lance une procédure de recrutement pour de nouveaux astronautes. Onze ans après la dernière sélection, les candidates et candidats pourront s’inscrire dès le 31 mars. Celles et ceux dont les dossiers seront retenus entameront alors l’impitoyable concours en six étapes, prévu pour durer jusqu’en octobre 2022.

Lavinia Heisenberg l’attendait de pied ferme: la physicienne et cosmologiste allemande rêve depuis toujours d’aller dans l’espace. Mais elle n’a pas passé les 37 dernières années à rêver. Aujourd’hui professeur à l’École polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ), elle a déjà à son actif une impressionnante liste de publications et un Prix Latsis universitaire, qui récompense les jeunes chercheurs les plus prometteurs.

Pour la quatrième fois de son histoire, l’Agence spatiale européenne (ESA) lance une campagne de recrutementLien externe, au terme de laquelle 4 à 6 élu(e)s rejoindront le Corps européen des astronautes. Les inscriptions seront ouvertes entre le 31 mars et le 28 mai.

En 2008, la dernière campagne avait suscité plus de 8000 candidatures. Cette fois encore l’Agence s’attend à recevoir des milliers de dossiers, de ses 22 pays membres – dont la Suisse. Pour se porter candidat, il faut avoir moins de 50 ans, être détenteur d’un master dans une branche scientifique, avec au moins trois ans d’expérience professionnelle. Le candidat idéal doit être en parfaite santé physique et mentale et présenter une résistance exceptionnelle à la pression. Il ou elle doit en outre maîtriser parfaitement l’anglais. Le russe, seconde langue dans l’espace, n’est pas indispensable à ce stade. Il sera enseigné durant la formation.

Depuis l’époque des pionniers américains et soviétiques, où les astronautes étaient tous des pilotes militaires, les critères de sélection se sont nettement élargis. L’ESA encourage les femmes à postuler – même s’il n’y aura pas de quotas – et ouvre le concours aux candidats en situation de handicap (atteinte aux membres inférieurs et personne de petite taille).

Cette nouvelle génération d’astronautes volera d’abord sur la Station spatiale internationale. L’ESA ne cache pas que les quelques places pour les missions lunaires qu’elle négocie avec la NASA (en échange de fournitures de matériel) seront d’abord pour des astronautes ayant déjà volé dans l’espace. Mars? Tout le monde en rêve, mais personne n’ose en parler sérieusement pour l’instant.

Si elle a choisi de se vouer à la gravité, jusque dans ses implications quantiques, Lavinia Heisenberg n’est pas certaine d’avoir un lien de parenté avec Werner Heisenberg, un des pères de la mécanique quantique, Prix Nobel de physique 1932. Et à vrai dire, elle ne s’en soucie guère.

Par contre, elle a une certitude:

swissinfo.ch: Vous confirmez: vous serez candidate astronaute européenne?

Lavinia Heisenberg: Absolument! Je sais qu’il y aura beaucoup d’appelés pour très peu d’élus et que mes chances sont minces. Alors, croisez les doigts pour moi!

Sérieusement, à part que je suis une scientifique, je remplis aussi certains autres critères. Je me maintiens en pleine forme en pratiquant différents sports: la course et la musculation, et aussi des choses plus aventureuses, comme l’escalade, en salle et en montagne. J’entraîne également mon mental, mes aptitudes cognitives, ma mémoire et je fais du tir à l’arc, qui est très bon pour la concentration et pour rester zen.

Vous partiriez pour une mission sur Mars?

Bien sûr!

Malgré les dangers?

Le risque, l’erreur font partie des tous les processus, même dans notre vie de tous les jours. Si on regarde les statistiques, il y a actuellement moins de risque à être à bord de la Station spatiale internationale qu’au volant de sa voiture. Pendant le voyage, les astronautes seront exposés aux rayons cosmiques, c’est un vrai problème, mais on cherche des solutions, et on en trouvera.

Mis à part ce désir d’être astronaute, qu’est-ce qui vous a poussé à choisir la physique?

La curiosité – pourquoi deux aimants se repoussent alors qu’on ne voit pas les forces qui les font se repousser, et autres questions d’enfant. Et peut-être un peu la science-fiction aussi. J’ai adoré StarWars par exemple. Et aujourd’hui, on a des films plus «réalistes», comme Seul sur Mars ou Interstellar, et c’est très bien, parce que cela peut inspirer des jeunes.

L’essentiel de votre travail se fait sur du papier, des tableaux noirs ou des écrans. Est-ce que vous avez encore le temps d’admirer le ciel étoilé?

Cela dépend de l’endroit où l’on vit. Avec la pollution lumineuse, en ville, on ne voit plus rien. Il faut s’éloigner. Alors en été, je fais des balades de nuit au bord du lac, et je peux voir au moins la Lune et quelques étoiles.

Mais ce n’est rien en comparaison de ce qu’on peut voir quand les conditions sont idéales. J’ai fait une partie de mes études au Chili, et j’ai eu l’occasion de me rendre dans le désert d’Atacama, là où l’on trouve les plus grands télescopes du monde. C’est vraiment exceptionnel! Pourtant, je n’ai jamais travaillé sur un de ces sites, car je ne suis pas une astronome d’observatoire.

Justement, quel genre d’astronomie pratiquez-vous?

Dans mon groupe, on cherche à comprendre les propriétés fondamentales de la gravité. C’est la force qui régit les interactions entre les objets à grande échelle. On essaie de la formuler selon différentes perspectives, en combinant la théorie et les observations concrètes, comme celles des ondes gravitationnelles. On s’intéresse aussi aux implications de la mécanique quantique sur la gravité. Car le problème, c’est que la théorie d’Einstein fonctionne jusqu’à une certaine échelle, mais quand on arrive dans l’infiniment petit, elle ne s’applique plus. On n’arrive pas à décrire l’espace-temps de la relativité générale en termes de mécanique quantique.

Lavinia Heisenberg avec ses étudiants
«L’expression mathématique de nouvelles théories vouées à la description de la gravitation et considérées comme des modifications de la théorie de la relativité générale d’Einstein». Résumé par l’EPFZ, c’est le domaine de recherche principal de Lavinia Heisenberg, qui aime par-dessus tout échanger avec ses étudiants. ETH

On est vraiment dans la recherche fondamentale. Tout cela semble très pointu – et on en voit mal les applications pratiques…

Einstein a aussi eu ce problème. À son époque, personne ne voyait à quoi ses équations pourraient servir concrètement. Qui, au début du 20e siècle, aurait pu imaginer des satellites artificiels en orbite autour de la Terre? Mais aujourd’hui, c’est notre maîtrise des lois de la gravité qui nous permet de calculer ces orbites, et qui pourrait vivre sans GPS ou sans télécommunications par satellite?

Même chose avec le CERN. Le boson de Higgs, qu’ils ont fini par trouver après des décennies ne nous sert pas à grand-chose dans la vie de tous les jours. Mais la nécessité de partager leurs données avec la communauté des physiciens du monde entier les a amenés à inventer le World Wide Web. Et qui aujourd’hui peut se passer d’internet?

Alors je suis persuadée que la physique que nous faisons aujourd’hui aura des implications pratiques demain ou après-demain. On ne peut pas encore dire dans quels domaines: de nouvelles sources d’énergie, de nouveaux moyens de se déplacer, des choses que nous ne pouvons pas encore imaginer…

Votre famille a souvent déménagé quand vous étiez enfant, vous avez étudié et travaillé dans différents endroits du monde et vous parlez couramment six langues. Qu’est-ce qui vous a amené à vous établir en Suisse?

Dans la vie académique, on est beaucoup amené à changer d’endroit. Souvent, on n’a pas le choix. Cela représente simplement la prochaine étape d’une carrière. Il se trouve que je faisais un post-doc à l’EPFZ quand j’ai eu la chance de décrocher une bourse Starting GrantLien externe du Conseil européen de la recherche, pour monter mon propre groupe. Et j’ai trouvé tellement de gens fantastiques ici, que j’aurais de la peine à en partir. En fait, je m’y sens à la maison.

Contenu externe

Selon l’échelle à laquelle on la regarde, la matière ne se comporte pas de la même manière. C’est la leçon des deux grandes théories de la physique du 20e siècle: la relativité générale et la mécanique quantique. Ces deux modèles sont valables et largement confirmés par l’expérimentation, mais restent inconciliables à ce jour. Ainsi, si l’on descend à l’échelle des atomes, la force de gravité, qui nous colle les pieds sur Terre et tient ensemble les galaxies, ne semble plus jouer aucun rôle.

D’où l’idée que relativité et mécanique quantique pourraient n’être que des approximations, d’une théorie générale, qui reste à découvrir, et que les physiciens cherchent depuis plus de 100 ans. L’équipe de Lavinia Heisenberg peut apporter une pierre à cet édifice.

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