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L’avenir des banquiers privés sous la loupe

Elégants et discrets: les guichets de l'ancienne banque privée Wegelin. Keystone

Avec la disparition de Wegelin et la transformation de la structure juridique de Pictet et de Lombard Odier, le nombre de banques privées continue de diminuer en Suisse. Encore une soixantaine en 1945, les banques familiales ne sont plus que neuf aujourd’hui. En cause: un monde en mutation.

Le monde de la banque privée fait face à un paysage en évolution. Le taux de création de nouvelles richesses dans les économies émergentes éclipse celui de l’Europe, les marchés volatiles offrent moins de retour sur investissement et la croisade mondiale contre l’évasion fiscale a érodé le secret bancaire.

Beaucoup d’observateurs craignent que l’atmosphère dans laquelle évoluent les petites et discrètes banques familiales suisses soit devenue trop rare et trop nocive pour leur permettre de survivre.

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Le «private banking», une tradition séculaire

Ce contenu a été publié sur «A l’origine, toutes les banques en Europe étaient des sociétés de commerce, souligne Youssef Cassis, professeur d’histoire économique à l’Institut universitaire européen de Fiesole (Toscane). Puis, ces sociétés ont commencé à se spécialiser dans la finance commerciale, jusqu’à devenir des banques à proprement parler.» Les banques bâloises Roche (fondée en 1787) et Dreyfus (1815) sont…

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La sécurité avant tout

Il n’y a pas de signes ostentatoires de richesses chez Rahn & Bodmer, la plus ancienne banque privée de Suisse. Les clients ne foulent pas des tapis luxueux sous le regard des portraits des fondateurs lorsqu’ils entrent dans ses locaux de Zurich. La banque dégage au contraire une aura de calme et d’efficacité discrète qui dissimule les vicissitudes que cette entreprise familiale – et ses générations de clients – ont vécu au cours de 263 ans d’existence.

L’une des meilleures cartes de visite de cette banque, propriété de cinq partenaires, est d’assumer une responsabilité illimitée pour les pertes occasionnées à ses clients. En Suisse, il s’agit d’une condition sine qua non pour se voir attribuer le statut de «banquier privé», un label que l’Association suisse des banquiers privés a déposé en 1997.

«Les clients apprécient le fait que les partenaires suivent scrupuleusement un modèle d’affaires qui n’appauvrit pas la banque. Cela se traduit par une stratégie plus conservatrice et moins risquée que celle suivie par les autres banques», explique Christian Rahn.

Jusqu’à l’année dernière, Rahn & Bodmer était la deuxième plus ancienne banque privée de Suisse. La situation a changé lorsque la détentrice du record – Wegelin – s’est empêtrée dans les mailles du filet de la justice américaine pour avoir aidé des citoyens américains à échapper au fisc de leur pays. Juridiquement, Wegelin existe encore et continuera d’exister jusqu’à ce que les procédures légales aux Etats-Unis soient terminées. Mais dans les faits, cette banque fondée en 1741 a cessé toute activité.

Le sort de Wegelin, qui risque gros aux Etats-Unis, a peut-être été l’une des raisons qui ont poussé deux autres poids lourds du secteur, Pictet et Lombard Odier, à tourner le dos au modèle de responsabilité illimitée.

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Banque suisse

Ce contenu a été publié sur Son reportage nous emmène au coeur d’un secret à 7000 milliards de francs. La place financière suisse recèle un tiers des actifs offshore en raison de la stabilité politique et d’une stricte réglementation du secret bancaire. A elles seules, UBS et Credit Suisse occupent la moitié de ce marché et règnent sur le secteur bancaire.

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Changement de style

Les deux banques ont récemment annoncé leur intention de modifier leur structure juridique, en se transformant en société en commandite, ce qui limite la responsabilité en cas de pertes. Les deux instituts ont catégoriquement démenti que ce choix avait été dicté par l’expérience vécue par Wegelin. La modification des structures est avant tout due à la nécessité de s’adapter à un contexte législatif en pleine mutation, tant en Suisse qu’à l’étranger, et à la volonté de renforcer leurs activités internationales, ont-ils indiqué.

«Ils peuvent démentir tout ce qu’ils veulent, mais je suis convaincu que le cas Wegelin a joué un rôle important dans cette décision», affirme Martin Schilling, expert du secteur «private banking» chez PricewaterhouseCoopers (PwC). Quel que soit le motif, Pictet et Lombard Odier ont allongé la liste des banques privées qui ont opté pour une telle transformation au cours des dernières années: Julius Bär, Vontobel, Landolt ou encore Hottinger.

Une précision toutefois: même si les deux sociétés émettront des actions, le capital restera aux mains des propriétaires, ont précisé Pictet et Lombard Odier.

En Suisse, il existe au sens large trois catégories d’activités de «private banking» au sens large.

Le modèle de responsabilité illimité (banquiers privées) est actuellement suivi par 11 instituts financiers. Deux d’entre eux, Pictet et Lombard Odier, opteront pour une autre forme juridique au début de l’année prochaine.

La plupart des banques n’ont pas une responsabilité illimitée, mais sont également actives dans le secteur du private banking. Pour ces acteurs, au premier rang desquels UBS et Credit Suisse, le wealth management représente une part importante du modèle d’affaires, qui comprend également l’investment banking et l’asset management.

A noter qu’UBS a été durant plusieurs années la plus importante banque au monde en terme de wealth management. Mais elle a désormais cédé la première place à Bank of America / Merrill Lynch.

Sont également nés récemment quelques acteurs de niche, comme la banque privée durable Globalance (créée par le fondateur du Sustainable Asset Management Reto Ringger).

Selon les dernières données publiés par la Banque Nationale Suisse et l’Association suisses des banquiers, environ 5300 milliards de francs étaient déposés dans les coffres suisses à la fin 2011, dont 2700 milliards offshore.

Question de taille

Le facteur taille sera crucial pour avoir du succès dans l’avenir, a relevé un récent rapport de PwC. Plusieurs éléments plaident pour un agrandissement: l’exiguïté du marché intérieur, l’accès réduit aux patrimoines européens et américains en raison du contexte fiscal actuel, les bénéfices minimaux sur des marchés financiers en plein marasme et l’augmentation des coûts provoqués par des réglementations plus sévères.

L’étude PwC est arrivée à des conclusions similaires à celle de la KPMG et de l’université de St-Gall. Cette étude souligne en effet que les acteurs les plus petits sont ceux qui souffriront le plus des changements.

«De nombreux instituts pensent qu’ils pourront continuer à exister s’ils parviennent à réduire leurs coûts, par exemple en externalisant leurs activités de back office et leurs services informatiques. Mais je ne vois pas comment elles peuvent les réduire suffisamment avec cette stratégie», estime Martin Schilling.

«Se concentrer uniquement sur les coûts ne fonctionnera pas, poursuit-il. Les banques doivent augmenter leurs recettes. Or les petites n’ont pas les moyens financiers suffisants pour conquérir de nouveaux marchés.»

Small is beautiful

Le rapport de l’université de St-Gall et de la KMPG indique le nombre de banques actives dans le private banking est passé des 169 en 2008 à 148 en 2012. Et le secteur devrait encore connaître une nouvelle phase de consolidation.

Christian Rahn réfute cependant l’idée selon laquelle les petites banques vont connaître des temps difficiles. «Il n’y a pas de pression supplémentaire due à la taille, dit-il. Les banques grandes et moyennes doivent faire face à la même augmentation des coûts que les petites.»

La longévité n’est pas un gage de succès. Toutefois, la longue expérience dont peut se prévaloir Rahn & Bodmer peut avoir quelques avantages. «Au cours de nos 263 ans d’histoire, nous avons dû affronter des difficultés bien plus importantes que les actuelles. Si on les compare à ceux de la Seconde Guerre mondiale, les problèmes d’aujourd’hui ne sont rien», déclare-t-il avec philosophie.

(Traduction de l’anglais: Olivier Pauchard)

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