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Nous ne vivrons pas sur Mars, ni ailleurs

Sylvia Ekström et Javier G. Nombela

L’humain peut-il supporter un voyage vers Mars?

Le corps humain a été façonné par des millions d’années d’évolution terrestre. Il est donc parfaitement adapté à un environnement soumis à une certaine valeur de gravité et de pression, et protégé des radiations solaires et galactiques par la double protection de l’atmosphère et de la magnétosphère terrestre. S’il sort de cet environnement, il est soumis à un grand stress physiologique.

Sylvia Ekström ancienne sage-femme avec 11 ans d’expérience en milieu hospitalier, elle est docteur en astrophysique depuis 2008, spécialisée en physique stellaire et responsable de la communication pour le Département d’astronomie de l’Université de Genève.

Javier G. Nombela est graphiste spécialisé dans la représentation visuelle du temps. Il est aussi l’auteur de nombreux travaux de vulgarisation dans le domaine de l’astronomie.

Le premier problème est la microgravité qui a de nombreuses conséquences :

  • décalcification des os: les astronautes perdent 12 fois plus vite de la masse osseuse qu’une femme ménopausée;
  • perte de masse musculaire: la vie est trop facile pour nos muscles en apesanteur et ils fondent;
  • affaiblissement du cœur: ayant moins d’effort à faire, il s’affaiblit et s’arrondit;
  • remontée des fluides (sang, lymphe) vers les parties hautes du corps: tout notre système vasculaire est fait pour lutter contre la gravité et pomper vers le haut du corps, ce qu’il continue gaillardement de faire même lorsqu’il n’y a plus de gravité;
  • risques de thromboses: du fait des deux points ci-dessus, le sang circule moins rapidement et peut coaguler;
  • perturbation de l’oreille interne: notre organe de l’équilibre fonctionne grâce au poids de petits cristaux sur des cellules ciliées, et hors gravitation, il est perdu.

La perte de masse musculaire et l’affaiblissement du cœur peuvent être partiellement combattus par une discipline stricte d’exercices physiques quotidiens. Sur l’ISS, les astronautes font 2 heures de fitness intense (cardio et musculation) par jour, et malgré cela, ils sont très affaiblis lorsqu’ils reviennent sur Terre. La décalcification des os est également freinée par la musculation, mais reste un des points les plus préoccupants concernant la santé d’éventuels martionautes, car une fracture pourrait s’avérer fatale sur Mars. Les problèmes vasculaires sont également considérés comme extrêmement dangereux.

Pourrait-on recréer une gravité dans le vaisseau en route pour Mars? On sait que dans un système en rotation, la force centrifuge produit une accélération qui peut être utilisée pour recréer un équivalent de gravité. Malheureusement, il n’y a pas assez de place pour y intégrer une centrifugeuse dans laquelle les cosmonautes pourraient passer quelques heures par semaine, ce qui serait suffisant pour réduire les dégâts physiologiques de la microgravité. Pourrait-on faire tourner le vaisseau spatial lui-même? À Hollywood oui, c’est facile! Mais dans la vraie vie, il en va tout autrement… Étant donné qu’un vaisseau en rotation résoudrait tous les problèmes liés à l’apesanteur, le fait qu’aucune agence spatiale ne mise sur un tel développement montre bien qu’il est totalement hors de notre portée conceptuellement, techniquement et financièrement.

Le deuxième problème majeur rencontré par d’éventuels futurs martionautes est celui des radiations dans l’espace. La double protection terrestre (atmosphère et magnétosphère) bloque ou dévie les rayons UV (partiellement), X et gamma (totalement), ainsi que les particules du vent solaire et les rayons cosmiques. On compare cette protection à l’équivalent d’un mur de 30 m de béton, ou de 80 cm de plomb. Une fois sortis de cette protection naturelle, il est indispensable que les astronautes soient protégés autrement, grâce au capitonnage du vaisseau et/ou à des protections individuelles. Malgré ces protections, on estime que les martionautes recevraient sur la durée de leur mission la radiation maximale acceptée pour toute une carrière d’astronaute, dont un peu plus de la moitié durant les voyages d’aller et de retour.

Un troisième problème majeur identifié par les agences spatiales est la psychologie humaine. Thomas Pesquet témoigne très bien de la pression psychologique que subissent les astronautes sur l’ISS: on sait qu’il y aura inévitablement des problèmes durant le séjour, mais on ne veut pas être celui par qui ce problème est arrivé. La pression subie par un équipage à destination de Mars serait infiniment plus grande puisqu’aucun secours ne pourrait les atteindre en cas de problème majeur. Sur l’ISS, on peut assurer le retour des astronautes en 3 heures. Les martionautes, eux, seraient livrés à eux-mêmes pendant les 2 ans et demi de leur mission, sachant que la moindre erreur ou défaillance, technique ou humaine, pourrait entraîner la mort de tout l’équipage. Il est impossible de tester sur Terre une telle situation psychologique. L’expérience Mars 500, si elle a permis de développer des méthodes de résolution de conflit, n’est absolument pas représentative des conditions réelles d’un voyage vers Mars.

L’humain peut-il supporter un séjour sur Mars?

Mars n’est pas une planète habitable. Cette définition n’est pas fantaisiste, elle traduit l’impossibilité d’y vivre une vie normale pour des organismes comme les nôtres. Le principal problème vient de la faible atmosphère sur Mars: 0,6% de la pression terrestre au niveau de la mer, soit l’équivalent de la pression terrestre à 35 km d’altitude. Cela signifie que l’eau ne peut pas se trouver à l’état liquide sur Mars. La couche superficielle du sol de cette planète est recouverte d’un régolithe (poussière de roche) dont on a découvert récemment qu’il est pollué de perchlorates, très nocifs pour les organismes vivants.

Pour pouvoir survivre dans de telles conditions, on devrait construire une bulle d’habitabilité capable d’assurer diverses fonctions: recréer une atmosphère viable, avec un niveau correct d’oxygénation, maintenir une pression qui préserve l’intégrité des corps, protéger des radiations et assurer les besoins quotidiens.

La taille de cette bulle dépendrait du nombre de personnes et de la durée du séjour. L’exemple minimal est la combinaison spatiale pressurisée qui permet la survie d’une personne pour quelques heures (sortie extravéhiculaire hors de l’ISS ou sur la Lune). Pour plusieurs personnes et une durée de plusieurs mois, la bulle doit prendre la taille d’habitations complètes (cuisine, lieux de repos, sanitaires, etc.), incluant tout un système de recyclage de l’air et de l’eau, des réserves de nourriture et de matériel. Plus la bulle est grande, plus les défis techniques deviendraient complexes et plus son coût serait élevé, au point de devenir rédhibitoire.

Aller sur Mars, ça sert à quoi?

À rien? Un des arguments pour l’envoi d’humains sur Mars tient au fait qu’ils sont plus efficaces sur le terrain qu’un robot. Cependant les progrès réalisés au fil des générations successives de sondes robotiques montrent que malgré cette difficulté, la connaissance qu’elles nous apportent progresse à grands pas. L’avantage indiscutable des sondes robotiques est qu’elles n’ont pas besoin de boire, ni de manger, ni d’opérer à pression terrestre. Une protection minimale de leur électronique suffit. Le coût estimé d’une seule mission humaine équivaudrait à celui de 40 missions robotiques comme Perseverance.

De plus, on peut stériliser ces sondes au départ de la Terre selon les standards du Planetary protection act, qui vise à éviter la contamination des corps visités dans le Système solaire. Ceci est impossible avec des humains: en posant quelques individus de notre espèce, on pose également des milliards de bactéries terrestres. Même si leur chance de survie sur Mars est infime, elle n’est pas nulle et risque de brouiller la réponse à la principale question qui motive l’étude de Mars: la vie a-t-elle pu s’y développer dans les premiers temps de son évolution?

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