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Novartis reçoit une «grosse claque» en Inde

Le jugement rendu contre Novartis par la Cour suprême indienne pourrait avoir des effets considérables pour l'industrie pharmaceutique et l'accès aux médicaments dans les pays à faible revenu, estime Le Temps. Keystone

En rejetant une demande de brevet pour un traitement anti-cancer, la Cour suprême indienne a infligé un coup dur à Novartis, estime la presse suisse de mardi. Si certains y voient une avancée majeure pour les pays pauvres, d’autres estiment que l’Inde se tire une balle dans le pied.

«L’Inde vient d’infliger un sérieux revers à Novartis: dans un jugement rendu hier à New Delhi, la Cour suprême a refusé la demande de brevet pour une nouvelle version du Glivec, un médicament antileucémique produit par le géant pharmaceutique bâlois», résume le quotidien fribourgeois La Liberté.

«Novartis perd un procès symbolique en Inde», titre pour sa part Le Temps, estimant que le jugement inflige un coup de frein à la multiplication des brevets. Dans les colonnes du quotidien édité à Genève, Guillaume Schmidt, pharmacien de l’organisation Médecins sans frontières (MSF), se réjouit de la décision de la justice indienne: «C’est une victoire et un espoir pour des millions de patients de pouvoir obtenir des médicaments essentiels à faible coût».

Car, rappelle Le Temps, l’enjeu de la bataille judiciaire qui s’est achevée lundi en Inde, est fondamental: «Le jugement indien pourrait faire jurisprudence hors de l’Inde, alors que l’OMC demande à des dizaines de pays africains et asiatiques d’adapter, jusqu’en 2016, leur législation sur la propriété intellectuelle».

La Cour suprême indienne a rejeté une demande de brevet de Novartis pour un traitement anticancer. Le verdict constitue l’épilogue d’un très long feuilleton. Novartis était en effet engagé depuis sept ans dans une bataille judiciaire visant à obtenir la protection d’un brevet pour une nouvelle version de son puissant médicament Glivec, un traitement contre la leucémie.

Le géant rhénan estimait que la formule revisitée avait été significativement améliorée, permettant à l’organisme de mieux l’absorber. Mais la plus haute juridiction du pays a considéré que la composition rénovée du Glivec ne remplissait pas les critères de «nouveauté ou de créativité» requis par la loi indienne.

Cette décision, qualifiée d’«historique» par le ministre indien du Commerce et de l’Industrie, Anand Sharma, apparaît comme un revers pour les sociétés pharmaceutiques occidentales qui tentent de gagner des parts sur le marché indien du médicament.

Sans surprise, Novartis a immédiatement réagi en condamnant le jugement rendu à New Dehli. La multinationale bâloise a relevé dans un communiqué qu’il décourageait «la découverte pharmaceutique innovante», essentielle à la recherche médicale.

De leur côté, les associations de défense des pays du Sud se sont dites soulagées après une «décision majeure».

Source: ATS, AFP

«Une grosse claque»

«Après le départ raté en Suisse de son président Daniel Vasella, qui a dû renoncer en fin de compte à un parachute doré de 72 millions, voilà que Novartis se prend une grosse claque à l’étranger, en Inde. Cela permettra, on l’espère, au géant pharmaceutique de revenir définitivement parmi nous, sur Terre», commentent pour leur part 24heures et la Tribune de Genève.

Qualifiée d’«arrogante», l’entreprise pharmaceutique suisse, qui, rappelle l’éditorialiste des deux quotidiens lémaniques, a réalisé 9,6 milliards de dollars de bénéfices l’an dernier, en prend pour son grade: «A ce niveau, les investissements dans la recherche et le développement, centraux pour un groupe pharmaceutique, sont déjà pris en compte. Il reste à payer le risque entrepreneurial en versant un dividende aux actionnaires. Ce qui reste, c’est aussi en partie une rente de situation inacceptable, et qui plus est, dans un ‘business’ très sensible éthiquement: la santé.»

Le Temps relève que la justice indienne refuse de protéger des médicaments jugés peu innovants, réservant l’octroi d’un brevet aux médicaments qui améliorent l’efficacité des traitements antérieurs. «Dans le cas du Glivec, l’adjonction d’un composant salin, jugé essentiel par Novartis en termes d’efficacité, n’est pas considéré ainsi par l’Inde».

Un «mauvais signal»

Autre son de cloche dans la presse germanophone, qui se montre dans son ensemble dubitative face à la décision de Cour suprême indienne. La Neue Zürcher Zeitung (NZZ) estime que ce verdict n’est pas une surprise, mais que la durée de la procédure – 7 ans – n’est pas pour rassurer sur la sécurité du droit indien. Au contraire des organisations non gouvernementales, le quotidien zurichois n’y voit pas une «victoire pour les pauvres» mais un danger pour l’innovation: «Un produit tel que le Glivec n’aurait jamais pu être développé sans protection de la propriété intellectuelle».

Contrairement à un accord en vigueur auprès de l’OMC, «le gouvernement de Delhi a fait sauter toute une série de licences pour de coûteux produits pharmaceutiques occidentaux afin de permettre à ses entreprises pharmaceutiques de produire des imitations bon marché – sans qu’il y ait une réelle urgence sanitaire», souligne la NZZ. Les firmes occidentales pourraient ainsi se montrer beaucoup plus réservées à l’avenir en ce qui concerne le lancement de nouveaux produits dans le sous-continent indien, relève la NZZ.

A Bâle, dans le fief de l’industrie pharmaceutique suisse, on estime également que le jugement de la Cour suprême indienne est un «mauvais signal». «Pour l’industrie pharmaceutique indienne, ce jugement pourrait être positif à court terme, commente la Basler Zeitung. Mais à plus long terme, (…) la volonté d’investir en Inde pourrait encore diminuer du côté des entreprises pharmaceutiques occidentales. (…) Ce qui pourrait s’avérer un inconvénient en cas d’urgence sanitaire, comme par exemple une épidémie de tuberculose multirésistante. D’ici là, ce sont d’autres villes pharmaceutiques asiatiques comme Singapour ou Shanghai qui se réjouiront du verdict».

Plus grande solidarité souhaitée

Pour le Bund de Berne et le Tages-Anzeiger de Zurich, qui publient un éditorial commun, la disponibilité des médicaments génériques n’est cependant qu’un aspect d’une problématique beaucoup plus vaste, que ce jugement ne pourra pas résoudre.

L’éditorialiste des deux quotidiens se fend d’un vœu pieux: «Pour beaucoup de gens dans les pays pauvres, même les génériques sont trop chers. Afin de permettre au plus grand nombre d’avoir accès à des soins de santé de qualité, un grand acte de solidarité de la part des nations industrialisées est nécessaire. Les pays occidentaux devraient s’engager à payer davantage pour les médicaments que les pays émergents et les pays en développement. Ce n’est que de cette manière qu’il sera possible d’amasser les milliards nécessaires à la recherche de nouveaux médicaments.»

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