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Voter sans la barrière du handicap, c’est désormais possible à Genève

Familie Martone
Sébastien Martone (à gauche) discute des objets de la votation avec sa mère Marylou et son frère Sam. Eva Hirschi

Le 7 mars, les personnes atteintes de grave handicap mental pourront voter pour la première fois dans le canton de Genève. C’est le cas de Sébastien Martone, autiste de 25 ans, qui se réjouit de ce pas important vers davantage d’inclusion.

Sébastien Martone ne sait toujours pas par où commencer avec le matériel de vote étalé devant lui sur la table du salon. Pour cet autiste de Chêne-Bougeries, voter ou élire sont des notions trop abstraites.

D’ailleurs, jusqu’à récemment, ce n’était pas du tout un sujet de préoccupation pour lui, car Sébastien Martone, comme les autres personnes sous curatelle de portée générale étaient de toute façon exclues du droit de vote, comme cela est toujours le cas au niveau fédéral. Mais désormais, ce droit leur est accordé dans le canton de Genève, comme le peuple en a décidé en novembre 2020 (par 75% des voix).

Quelque 1200 personnes pourront ainsi exercer leurs droits civiques pour la première fois – même si ce n’est qu’aux niveaux communal et cantonal. C’est pour cela que l’enveloppe de Sébastien porte la mention «droits partiels».

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«Je suis comme tout le monde!»

Marylou Martone, la mère de Sébastien, l’aide à trier les papiers. Dans la moitié supérieure du bulletin de vote, là où se trouvent les objets fédéraux, les cases «oui» et «non» sont noircies – contrairement au bulletin de son frère Sam, qui n’est pas handicapé et jouit ainsi d’un droit de vote complet. Sébastien se réjouit malgré tout de pouvoir participer pour la première fois au moins aux scrutins communaux et cantonaux ce 7 mars. «Je suis comme tout le monde!», dit-il.

C’est aussi ce que dit la Convention des Nations unies sur les droits des personnes handicapées, que la Suisse a ratifiée en 2014. Les organisations comme Inclusion Handicap ou Insieme Suisse s’engagent pour l’application de ce texte. «Mais cela ne suffit pas. Il faut des mesures d’accompagnement pour que ces droits puissent être exercés», explique Jérôme Laederach, directeur général de la fondation Ensemble et président d’INSOS Genève, l’association cantonale des institutions pour personnes en situation de handicap.

Les premiers projets existent déjà: des homes ont organisé des cours sur les droits civiques, l’Hôtel de Ville de Genève a proposé des visites guidées et Insieme Suisse a publié un guide électoral en langage simplifié pour les élections fédérales de 2019.

Sébastien Martone a trouvé cela utile. Certes, il connaît les noms des candidates et des candidats pour l’élection complémentaire au Conseil d’État grâce aux affiches dans les rues, qu’il lit toujours attentivement. Mais il ne sait pas qui choisir. De même, la question pour la votation lui paraît compliquée: «Acceptez-vous la loi sur l’indemnisation pour perte de revenus liée aux mesures de lutte contre le coronavirus, du 25 juin 2020?»

Sa mère essaye de lui expliquer le projet. Pour elle, il est important que son fils bénéficie de ce nouveau droit, même s’il s’intéresse plus à la protection des animaux et de l’environnement qu’à la politique économique et aux questions fiscales. «Je suis fière que Sébastien ait aussi le droit de vote. Même s’il rend un bulletin vide cette fois – il en a aussi le droit. Après tout, la participation dans le reste de la population est aussi faible.»

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Un grand cœur ne suffit pas

L’importance de la politique et des droits, Marylou Martone en a fait la dure expérience depuis les 3 ans et demi de son fils, lorsqu’elle a entendu pour la première fois le mot «autisme» de la bouche de la pédopsychiatre. La suite n’a été que combats, pour ses droits, pour une place à l’école, pour du soutien.

«Avoir un grand cœur ne suffit pas», a appris la mère. Car même si Sébastien a fait beaucoup de progrès ces dernières années et arrive à faire pas mal de choses seul, il ne peut pas vivre de manière autonome. «J’ai même participé à des manifestations pour les droits de mon fils», raconte Marylou Martone. Elle veut lui transmettre cette conscience politique et elle s’efforce de l’informer sur l’enjeu des votations de la manière la plus neutre possible.

Bien sûr, elle comprend les critiques qui disent qu’une personne en situation de handicap peut être influencée par ses parents ou par ses proches au moment de voter. «Mais cela ne risque-t-il pas d’arriver aussi dans d’autres familles?». Jérôme Laederach partage ce point de vue. On ne peut jamais exclure une influence, mais il s’agit d’abord d’une question d’égalité: «Même si les personnes avec un handicap sévère ne pourraient pas voter, elles devraient au moins avoir les mêmes droits», plaide le directeur de la fondation Ensemble.

Car, même si très peu de personnes handicapées voteront et éliront le 7 mars à Genève, cela n’enlève rien à l’utilité de ce droit, affirme Jérôme Laederach. Il le considère comme une chance de sensibiliser et d’améliorer la société. «Plutôt qu’une personne ne vote pas parce qu’elle ne comprend pas le projet de loi, nous ferions mieux de faire tout notre possible pour que le projet de loi soit compréhensible pour tout le monde.» Jérôme Laederach est convaincu que cela profiterait aussi à d’autres personnes qui ont des difficultés à voter.

(Traduction de l’allemand: Marc-André Miserez)

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