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Ecran hallucinogène grâce aux Young Gods

Derrière la silhouette des Young Gods, un voyageur étonnant et étonné. swissinfo.ch

Les Young Gods ont été convoqués à Neuchâtel pour faire sa fête à la 10ème édition du Festival International du Film fantastique (NIFFF). Au programme, une relecture musicale et en direct du film «2069 – Swissmade» de Fredy Murer, un film de 1969 où figurait déjà un alien signé H.R. Giger…

Soirée de gala au NIFFF. Les autorités communales, cantonales, mais aussi le patron de l’Office fédéral de la Culture ou le big boss de la RTS, Radio Télévision Suisse, sont là, dans la grande salle du Théâtre du Passage. Preuve que le petit festival né il y a dix ans comme un caprice de sales gosses a atteint une crédibilité certaine.

«2069 – Swissmade»… Résumons: un extraterrestre débarque en Suisse en 2069, afin de réaliser un documentaire sur les mœurs politiques et sociales de cet îlot au cœur de l’Europe. Un E.T. signé H.R.Giger, le même qui inventera plus tard l’Alien de Ridley Scott. L’œuvre de Giger est d’ailleurs présente dans moult décors du film, et imprègne celui-ci.

A travers le regard ovale de l’extraterrestre, on découvre une société contrôlé par le «Servo-Centre». Tout est réglementé, numéroté, ordonné, façon «Big Brother» d’Orwell, mais en plus soft. Et aux quatre coins du pays, des «Brain Corners» permettent aux bons citoyens de se connecter à ce cerveau-gouvernant central.

Il existe néanmoins dans cette Suisse de 2069 la «Réserve des minorités», comprenez les déviants, ceux qui n’ont pas accepté cet état de fait, une réserve où l’on a manifestement le droit de vitupérer et de rêver, sans pour autant qu’un quelconque impact soit à craindre sur le nouvel ordre helvétique, d’où le fait qu’on les tolère…

La métaphore est pour le moins limpide, et même si elle a été tournée il y a quarante ans, possède une vraie dimension contemporaine. Mais quarante ans, en matière cinématographique, c’est parfois un lourd fardeau: ce film a indéniablement l’âge de ses artères. Et c’est là que l’idée géniale intervient: welcome to the Young Gods!

Le futur a ses racines dans le passé

Dans la fosse, entre public et scènes, ils ont là, les quatre. Trois ordinateurs portables, des câbles, des machines à bidouillages multiples, mais aussi une batterie, deux guitares, un porte-voix…

Boucles techno, delays, sons improbables venus d’ailleurs, guitares trafiquées, crescendos de percussions, les Young Gods déploient leur sens du bruitage et de la tension musicale. Et la mauvaise qualité de l’image, ses craquelures, ses couleurs affadies, font soudain vraiment partie du spectacle, comme l’apparente naïveté très sixties du traitement cinématographique.

Comment aborde-t-on l’enrichissement musical d’une projection de ce type? En soulignant, en décalant? «C’est toujours la question principale», répond Franz Treichler, pilier historique des Young Gods, après le spectacle. «Illustrer, ou produire un nouveau langage? L’image a parfois besoin d’être soulignée, illustrée par la musique. Une image peut avoir plus d’impact si le son lui correspond. Mais ça peut être aussi intéressant de décaler. On essaie donc de faire les deux. On a des repères dans le déroulement du film, et d’autres où on flotte librement».

Sons électro du troisième millénaire, et impression néanmoins de se plonger dans un «Saucerful of Secrets» façon Pink Floyd des débuts, la projection devenant soudain une espèce de reflet des ambiances hallucinées produites par les musiciens…

«On a joué de ça aussi», admet Franz Treichler. «Pink Floyd, c’est nos grands frères, un groupe qui nous a marqués quand on avait dix, douze ans. Le psychédélisme, c’est une source d’inspiration énorme pour les Young Gods. C’est vrai que là, on a joué sur la technologie actuelle, mais en recréant un peu ce genre d’ambiances.»

Entrevoir un autre monde

Et tous ces fans qui avaient cru que les Young Gods étaient le fruit des eighties technologiques… en fait leurs vraies racines, c’est la fin des sixties! «Moi, j’ai adoré la période punk aussi. J’avais 17-18 ans, j’étais un des rares punks avec des cheveux de toutes les couleurs qui se promenait à Fribourg», répond Franz Treichler.

Qui ajoute: «En fait, les hippies, c’était quelque chose de fort. Puis, il y a eu les babas, tous ceux qui profitaient de cette mouvance, qui ne foutaient rien, alors qu’il y avait chez les hippies une idéologie, un réel désir anticonformiste, une vraie ouverture, ils étaient des pionniers dans ce changement de relation à la société établie. Et les punks idem. En fait, on traverse les époques, en retenant ce qui est intéressant. Dans les années 80, on a gardé l’énergie punk, et on a employé les machines, parce que c’était nouveau et que cela nous permettait d’envoyer cette énergie sans passer des heures dans des studios d’enregistrement inabordables! »

Le fantastique mène à tout… même à des considérations soudain très larges sur la musique: «La musique, ce n’est pas qu’un truc de révolte. C’est quelque chose qui peut t’emmener ailleurs, du côté du rêve et d’un changement d’état d’esprit. La musique peut modifier la conscience, en ayant l’avantage de ne pas être addictive comme une drogue. Moi, quand j’étais môme, des groupes comme Pink Floyd m’ont donné l’impression de faire un voyage, et d’entrevoir un autre monde possible», dit Franz Treichler.

Fantastique helvétique

En 1969, Fredi Murer balançait donc sa vision de l’Helvétie du 3e millénaire… La science-fiction, le fantastique, des genres pourtant peu courants dans le paysage cinématographique helvétique. Peu courants, mais pas pour autant absents. La preuve? Cette projection s’insère dans une section consacrée par le NIFFF aux «éléments fantastiques dans le cinéma suisse».

«Le discours autour de cette sélection était difficile à monter, dans le sens où, là, on est dans un domaine où il n’y a pas nécessairement consensus», confie Anaïs Emery, directrice artistique du festival. C’est-à-dire? «On a sélectionné à la fois des ovnis de notre histoire cinématographique, mais aussi des grands classiques du cinéma suisse en y voyant des éléments fantastiques. Et ça, c’est quelque chose qui était intéressant à faire: redécouvrir des œuvres sous un nouvel angle. Je pense à des œuvres de Tanner, Goretta, Daniel Schmid».

Effectivement, «La Paloma» de Daniel Schmid, «Et si le soleil ne revenait pas» de Goretta, tiré du roman de Ramuz, ou «Requiem» d’Alain Tanner, cette errance dans les rues de Lisbonne à la recherche des fantômes du passé, inspiré d’un texte d’Antonio Tabucchi, ont bien leur place dans une vision large de la notion de fantastique…

A travers cette section, Anaïs Emery a-t-elle été surprise par certains films suisses? «Oui. Par exemple par le film «Prophétie» (1998) du Genevois Maurizio Giuliani. Il lui a fallu 10 ans pour le réaliser. C’est un des rares films suisses à montrer de la violence assez crue, un film d’anticipation, dans une situation politique et sociale dure. Et puis par des films de Jean-Louis Roy, notamment «L’inconnue de Shandigor» (1967), un film de science-fiction avec Serge Gainsbourg, qui avait composé une chanson spécialement pour le film. Un film très ‘pop’, alors qu’on n’a pas l’habitude de voir des choses aussi clinquantes dans la production suisse!»

Comme quoi film d’auteur et cinéma de genre ne sont pas nécessairement incompatibles… Et cela, il y a dix ans que le NIFFF, à travers sa vision large du mot «fantastique», allant du cinéma de série Z à des perles méconnues, l’illustre à sa façon.

Bernard Léchot, Neuchâtel, swissinfo.ch

Samplers. Formé en 1985 entre Genève et Fribourg, le trio prend au départ le pari de faire du rock dur sans guitare – mais avec moult samplers.

Réputation. Albums et concerts vont rapidement établir la réputation du groupe. Au début des années 90, sa tournée mondiale est un triomphe. David Bowie ou The Edge, guitariste de U2, le citent comme référence.

Nouveaux territoires. Par la suite, les Young Gods bifurquent vers une musique plus introspective et explorent de nouveaux territoires: hommage à Kurt Weill, ambiances sonores pour l’exposition nationale Expo.02 ou les conférences de l’anthropologue Jeremy Narby sur le chamanisme, alliance avec la formation classique Sinfonietta de Lausanne, et «Woodstock», une relecture musicale du célèbre film de Michael Wadleigh.

Unplugged. En 2008, désormais formé du chanteur Franz Treichler (seul membre d’origine), du clavier Al Comet, du batteur Bernard Trontin et du guitariste Vincent Hänni, le groupe qui avait banni les guitares sort Knock on Wood, un album «unplugged», plein de cordes acoustiques.

2069 – Swissmade. Leur travail sur le film de Fredi Murer sera vraisemblablement repris en décembre au Centre Culturel Suisse de Paris.

Prochain album. Déjà enregistré, sa sortie est prévue pour novembre.

1940. Alfred Melchior Murer est né en 1940 à Beckenried (Nidwald). Enfance à Altdorf (Uri), École des beaux-arts de Zurich.

Expo 64. Après avoir collaboré à l’Expo 64 de Lausanne, il se tourne vers le cinéma, à Londres, puis en Suisse.

Œuvres. Parmi ses œuvres: Grauzone en 1979, L’Âme-sœur (Höhenfeuer) en 1985, Pleine lune (Vollmond) en 1998, Vitus en 2006, qui remporte de nombreux prix.

10ème. La 10e édition du Neuchâtel International Fantastic Festival (NIFFF) se tient du 4 au 11 juillet, dans cinq salles et un cinéma en plein air.

Chiffres. 118 séances, dont 80 longs métrages et 50 courts-métrages produits dans 19 pays.

Sections. Au programme, plusieurs sections: Compétition internationale, New Cinema from Asia, une section consacrée à des films québequois, une rétrospective consacrée au cinéaste japonais Sogo Ishii, et une section consacrée aux éléments fantastiques à l’œuvre dans le cinéma suisse.

Symposium. Le festival organise son traditionnel symposium «Imagine the Future», consacré à l’évolution de la technique des effets spéciaux.

Evénements. Le festival inclut plusieurs événements spéciaux consacrés à l’évolution du genre fantastique en littérature ainsi que dans la musique et l’art contemporain. Le centre culturel La Maison d’Ailleurs à Yverdon-les-Bains et le Centre d’art Neuchâtel sont associés à ce volet de la manifestation.

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