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«Les contrebandiers d’animaux sont aussi derrière le trafic d’armes et de drogue»

Le garde d'une réserve naturelle au Kenya surveille des défenses et des statuettes d'ivoire avant qu'elles ne soient brûlées. AFP

Le trafic illégal d’animaux est une des activités les plus lucratives au monde. Depuis plus de dix ans au service de la Convention sur le commerce international des espèces menacées d'extinction (CITES), le Suisse Mathias Lörtscher pointe du doigt la criminalité organisée. Il nous met en garde contre l’impact négatif que peuvent avoir les objets souvenirs que nous ramenons de vacances. Interview. 

Il y a les armes, la drogue et les êtres humains. Et puis il y a les animaux et les plantes. Dans la liste des trafics illégaux, celui des espèces menacées d’extinction est parmi les plus lucratifs, avec un chiffre d’affaires estimé à 20 milliards de dollars par année. 

Mathias Lörtscher, collaborateur de l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV), travaille pour la CITESLien externe depuis 2004. Récemment, il a été nommé à la présidence du Comité pour les animaux de la convention internationale. 

swissinfo.ch: Vous êtes un observateur privilégié du commerce des animaux dans le monde. Quelle a été l’évolution des dix dernières années?

Mathias Lörtscher a été nommé à la présidence du Comité pour les animaux de la convention internationale pour la période 2016-2019. SF

Mathias Lörtscher: Quand j’ai commencé à travailler pour la CITES, on parlait surtout d’éléphants et d’ivoire. Le trafic touchait bien sûr aussi d’autres espèces, mais il n’avait pas l’ampleur qu’il a pris aujourd’hui. Depuis 2013, nous nous occupons principalement d’espèces vendues en grandes quantités, comme les requins, pêchés pour leurs nageoires.

Récemment, la CITES a inscrit le pangolin à l’Annexe I (celle interdisant le commerce international, ndr). C’est actuellement le mammifère le plus touché par le trafic illégal dans le monde à cause de sa viande et de ses écailles, utilisées dans la médecine traditionnelle chinoise. On estime à un million environ le nombre de pangolins tués par les braconniers en Asie et en Afrique. 

swissinfo.ch: Comment fait-on pour établir que le commerce représente un danger pour une espèce?

M. L.: Chaque pays doit fournir des rapports annuels sur les quantités d’animaux exportés et importés. Si nous avons des doutes sur la durabilité du commerce d’une espèce déterminée, nous demandons au pays exportateur de fournir des preuves scientifiques et des études sur l’état des populations concernées. S’il n’est pas en mesure de le faire, le commerce est interdit. 

Nous avons par exemple étudié le cas des pythons réticulés en Indonésie, un pays qui exporte chaque année quelque 100’000 peaux.  L’Indonésie a réussi à démontrer qu’il s’agit d’un commerce durable puisque ces serpents disposent de vastes habitats dans les plantations d’oléagineux. En revanche, pour le perroquet jaco (ou gris) du Gabon, nous n’avons pas obtenu les garanties nécessaires et l’avons donc inscrit à l’Annexe I. 

swissinfo.ch: Mais interdire le commerce international d’un animal ne signifie-t-il pas faire augmenter son prix sur le marché noir?

M. L.: Certainement. L’inscription à l’Annexe I peut avoir l’effet pervers d’une hausse du prix : le braconnage devient ainsi encore plus lucratif. L’interdiction du commerce a des répercussions positives seulement s’il y a un monitorage à travers des mesures de protection de l’espèce. La vigogne, un camélidé d’Amérique latine, figurait par exemple dans l’Annexe I. Les pays d’origine se sont mis d’accord pour mettre en place un système d’exploitation durable avec les communautés indigènes. Maintenant, la vigogne se porte bien mieux. 

swissinfo.ch: N’est-il jamais arrivé qu’une espèce soit retirée des listes de la CITES?

M. L.: C’est une des critiques récurrentes que nous font les pays: une fois qu’une espèce est inscrite sur les listes de la CITES, il est pratiquement impossible d’en sortir. Nous savons que nous avons une position conservatrice, mais nous craignons qu’en retirant une espèce de la CITES, nous envoyions les mauvais signaux. Il arrive en revanche qu’une espèce passe à l’Annexe 2, pour laquelle le commerce est autorisé à condition qu’il soit durable. Cela a été le cas de l’alligator américain, qui figure parmi les espèces les plus exportées dans le monde. 

swissinfo.ch: Le trafic des animaux et des plantes menacés d’extinction génère des milliards de dollars à l’année. Qui est derrière? 

M. L.: En grande partie le crime organisé. Il s’agit des mêmes groupes que ceux qui sont derrière le trafic de drogue et d’armes ou la traite d’êtres humains, et qui s’intéressent toujours plus aux plantes et aux animaux. Au Congo, ce sont surtout les groupes rebelles qui chassent les éléphants; ils vendent l’ivoire pour financer leurs armes. Le commerce illégal lié au crime organisé est en hausse, et cela nous fait très peur. 

swissinfo.ch: Mais pourquoi s’intéresser aux animaux?

M. L.: Parce qu’il y a une forte demande, et parce qu’en fin de compte, le risque est peu élevé. Certes, il y a eu quelques affaires fracassantes, mais en général, les peines ne sont pas assez sévères. 

swissinfo.ch: Admettons que je veuille importer en Suisse des peaux de pythons sans autorisation. Qu’est-ce que je risque? 

M. L.: Au maximum une amende de quelques milliers de francs. En Suisse, le trafic illégal d’espèces menacées n’est pas considéré comme un crime, mais comme un simple délit. Les peines maximales sont trois ans de prison avec sursis ou une amende pouvant atteindre un million de francs. En réalité, la peine la plus élevée jamais infligée jusqu’ici en Suisse est une amende d’environ 40’000 francs pour un commerce qui a rapporté 3 millions de francs à la personne condamnée, selon les estimations. Des pays comme les Etats-Unis ou la Chine sont en revanche beaucoup plus sévères. Chez nous, les choses pourraient toutefois changer. Une motion parlementaire Lien externedemande en effet un durcissement des sanctions pénales.

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swissinfo.ch: Vous avez évoqué auparavant le rôle du crime organisé. Que peut-on dire en revanche des touristes qui cèdent à la tentation d’acheter un souvenir de vacances dans un pays exotique?

M. L.: En général, leur influence est négligeable. Les seuls souvenirs critiques sont les écailles de tortues marines en voie d’extinction. Cela ne signifie toutefois pas que la sensibilisation des touristes n’est pas importante, car elle permet de réduire la demande. Lorsqu’on voit des coraux en vente sur un étal, on ne pense pas nécessairement qu’il s’agit d’un produit rare. Mais lorsqu’on acquiert ce produit, on contribue au phénomène.

swissinfo.ch: Quel rôle a la Suisse dans le commerce international d’animaux? 

M. L.: Nous sommes un carrefour pour le commerce de peaux de reptiles, en particulier de crocodiles et d’alligators. Il s’agit plus précisément de bracelets utilisés par l’industrie horlogère. C’est un commerce légal et durable, pour lequel l’OSAV octroie chaque année quelque 115’000 autorisations.

4’000 francs d’amende pour des œufs de perroquet 

À la frontière suisse, le nombre de séquestres d’animaux (ou de leurs dérivés) figurant sur les listes de la CITES est resté plus ou moins stable ces dernières années. Il y en a eu 243 en 2015, 220 en 2014, 184 en 2013 et 199 en 2012. 

Parmi les animaux ou leurs dérivés importés illégalement en 2014 (et les peines infligées à leurs détenteurs), on peut citer 25 œufs de perroquet du Brésil (4’000 francs d’amende), six pythons royaux (1’800 francs), 6 kg de viande de pangolin (1’000 francs), une écharpe de laine d’antilope tibétaine (3’000 francs) et un objet en ivoire de 2kg (2’000 francs).


Ce qui nous préoccupe est en revanche le trafic illégal de «shahtoosh», la laine de l’antilope du Tibet. Visiblement, il y a en Suisse une clientèle pour les écharpes en shahtoosh, qui peuvent coûter jusqu’à 25’000 francs pièce. Le problème est que pour faire une seule écharpe, il faut tuer deux ou trois animaux. Nous collaborons avec Interpol dans la lutte contre ce trafic. 

swissinfo.ch: Comment ont évolué les séquestres à la frontière suisse? 

M. L.: Ces dernières années, leur nombre est resté plutôt stable. Depuis 2014, nous utilisons aussi des chiens dressés dans ce but. Les résultats sont incroyables. Ils peuvent déceler pratiquement tous les animaux, morts ou vivants.

swissinfo.ch: Quel est le cas de contrebande qui vous a le plus indigné? 

M. L.: Je me rappelle un commerçant qui avait 270 mygales dans sa valise. Elles étaient détenues dans des conditions terribles, écrasées dans des boîtes de plastique. Aucun respect pour l’animal. 

swissinfo.ch: Vous présiderez le Comité pour les animaux de la CITES pour les trois ans à venir. Quelles sont vos priorités?

M. L.: J’aimerais que les pays d’origine du commerce aient davantage voix au chapitre. Ces dernières années, ils n’ont pas été suffisamment impliqués. En tant que pays directement concernés, ils doivent pouvoir exprimer leur opinion. Ils sont les mieux placés pour sauvegarder et gérer leurs espèces.

CITES

La Convention sur le commerce international des espèces menacées d’extinction (CITES ou Convention de Washington) a été adoptée en 1973 sur l’initiative de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Dépositaire de la convention, la Suisse est aussi l’un des 183 pays signataires.

L’objectif de la convention est de réglementer le commerce de plantes et d’animaux, vivants ou morts, et de leurs dérivés (parmi lesquels produits alimentaires, articles en cuir exotique ou en ivoire, instruments de musique en bois, souvenirs touristiques ou remèdes médicinaux).

Sur les listes de la CITES figurent exclusivement les espèces dont l’existence est menacée par le commerce international. Elles ne doivent donc pas être confondues avec la Liste rouge de l’UICN qui comprend toutes les espèces menacées (et donc aussi celles dont le déclin est causé par exemple par la réduction de leurs habitats naturels).

La CITES s’étend à quelque 5’600 espèces animales et 35’000 espèces végétales, subdivisées en trois catégories : l’Annexe I interdit le commerce international (sauf exceptions), tandis que les Annexes II et III l’autorisent à condition qu’il soit durable. Parmi les espèces les plus protégées, on trouve par exemple les éléphants, les rhinocéros et les tigres.

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