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Elizabeth Tchoungui: Vive le camfranglais!

Elitabeth Tchoungui, entre caméra et page blanche. swissinfo.ch

Née à Washington, elle a grandi au Cameroun où son père était premier ministre, avant de faire sa vie en France comme journaliste et animatrice de télévision. Mais les mots, chez elle, s’écrivent également. Le français selon… Elizabeth Tchoungui.

Les téléspectateurs ont déjà pu la voir sur Canal J, TV5, France24, ou France 5, où elle présente actuellement l’émission «Les Maternelles». Mais c’est peut-être bien la littérature qui est le véritable objectif d’Elizabeth Tchoungui.

swissinfo.ch: Vous souvenez-vous du premier manuel scolaire avec lequel vous avez appris le français?

Elizabeth Tchoungui: J’ai appris le français grâce à un magazine que lisait ma mère: «Mode de Paris»! Et surtout à la bande dessinée qu’il y avait dans chaque numéro, que j’adorais: «Arthur et Zoé». Je regardais tellement cette histoire que je finissais par la savoir par cœur. Le premier manuel scolaire, c’était à l’Ecole primaire de La Retraite à Yaoundé. C’était le fameux manuel «Terre de soleil».

swissinfo.ch: Quelqu’un – parent, professeur, auteur – a-t-il marqué à jamais votre relation à la langue française?

E.T.: J’ai eu la chance de grandir dans un environnement privilégié. Mes grands-parents, du côté de mon père camerounais comme de ma mère française, étaient paysans. Mais mon père a bénéficié d’une bourse de l’Etat français et il est venu en France pour faire l’ENA. Ma mère a fait l’Ecole normale supérieure.

J’ai donc trempé dans un grand bain de culture et de littérature, on m’a fait lire des classiques aussi bien de la littérature africaine de l’époque que de la littérature française. Mon premier rapport à la langue française a donc été très académique. Mais le déclic, ce qui m’a donné envie de devenir écrivain, c’est le français réinventé tous les jours en Afrique, et notamment le ‘camfranglais’ (argot camerounais à base de français, d’anglais et de langues camerounaises, ndlr).

swissinfo.ch: Quelles langues pratiquez-vous?

E.T.: Malheureusement, au Cameroun, mon père ne m’a pas appris l’ewondo. Mais comme il a été en poste en Italie, j’ai appris l’italien. Avec l’anglais, je suis donc trilingue. Je serais incapable d’écrire en anglais ou en italien, mais j’ai présenté le «Journal de la Culture» pour France 24 en français et en anglais, et j’ai failli travailler pour la télé italienne!

swissinfo.ch: Une citation de Cioran: «On n’habite pas un pays, on habite une langue. Une patrie, c’est cela et rien d’autre»… D’accord, pas d’accord?

E.T.: Je ne suis pas d’accord, parce que la langue a beaucoup à voir avec l’affectivité. J’ai été très heureuse dans ma vie italienne, et la langue du cœur, pour moi, est l’italien! Egalement la langue des passions: quand je jure, j’ai tendance à jurer en italien!

Mais le français, c’est la langue paternelle et maternelle, il est donc évident qu’il y a aussi un vrai attachement.

swissinfo.ch: La langue française a une spécificité: l’Académie française. Un club de vieillards inutiles ou les gardiens du temple?

E.T.: Bon, c’est tout de même un club relativement ouvert, puisque l’Académie a accueilli des femmes et un Noir, ce qui n’est de loin pas le cas dans d’autres cénacles élitistes français! Non, je pense qu’il faut des gardiens du temple, mais aussi qu’il y ait plein d’enfants un peu canaillous, parce que ce sont eux qui vont vivre et évoluer la langue.

swissinfo.ch: Le français se métisse et change, effectivement, peut-être pour le meilleur et pour le pire…

E.T.: Moi je pense que la langue change toujours pour le meilleur. Quand je vois l’usage qui est fait de la langue française dans les banlieues françaises, dans les rues de Yaoundé ou d’Abidjan, c’est un rapport très ludique, une façon pour la jeune génération, qui n’a pas forcément bénéficié d’un accès privilégié à la langue classique, de se l’approprier, et ensuite de la réinventer.

swissinfo.ch: Cette année, c’est le 40ème anniversaire de l’Organisation internationale de la Francophonie. Quel regard portez-vous sur cette institution?

E.T.: Je porte un regard très bienveillant sur la Francophonie, qui est l’émanation de plusieurs pays. Ce n’est pas la France qui fait vivre le français aujourd’hui, parce que la France, avec son sentiment de supériorité, est un pays très refermé sur lui-même. Pour moi, la Francophonie vit plus grâce à la Suisse romande, au Québec, à l’Afrique francophone, qui soutiennent aussi beaucoup l’OIF.

swissinfo.ch: Pour conclure, une expression du Cameroun que vous appréciez particulièrement?

E.T.: Difficile d’en choisir une, parce que justement, j’ai eu envie d’écrire pour rendre hommage à toutes ces expressions fleuries! Ce qui me plaît beaucoup dans le français parlé en Afrique, c’est l’art de la métaphore. Par exemple, un couple adultérin, c’est un «itinéraire bis». Une maîtresse, c’est un «deuxième bureau». Pour désigner deux personnes qui sont scotchées ensemble, on va dire «ton pied mon pied» ou encore «pas un pas sans Bata», en référence à une vieille pub pour une marque de chaussures. C’est vraiment cet art de la métaphore, renouvelé tous les jours, qui m’a donné envie d’écrire et qui continue de me porter dans mon style littéraire… baroque, paraît-il!

Bernard Léchot, swissinfo.ch

La langue qu’on parle, un bout d’âme, un morceau de soi, ou un simple outil de communication?

Dans la perspective du 13e Sommet de la Francophonie à Montreux, swissinfo mène l’enquête en huit questions.

Washington. Elle est née en 1974 à Washington D.C. d’une mère française et d’un père camerounais, Simon Pierre Tchoungui, qui fut le Premier Ministre du Cameroun francophone de 1965 à 1972.

Douala-Lille. Elle grandit au Cameroun, puis fait ses études secondaires et supérieures en France, à l’ESJ de Lille, avant d’entamer une carrière de journaliste et d’animatrice de télévision.

Télévision. Elle passe par plusieurs chaînes: Canal J (1997-1999), France 5 (Les Ecrans du savoir, 2000, Ubik, 2002), TV5 (24h, ça me dit, 2003), Voyage (Afrik’Art, 2007), France24 (JT de la Culture, 2007), France 5 (Les Maternelles, 2009).

Littérature. Elizabeth Tchoungui a publié le roman «Je vous souhaite la pluie» (Plon, 2005), a participé à l’ouvrage collectif «Sept filles en colère» (2006) et publie cette année «Bamako Climax» (Plon, août 2010)

Anniversaire. L’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) célèbre cette année son 40e anniversaire.

Chiffres. L’OIF regroupe 70 États et gouvernements (dont 14 observateurs) répartis sur les cinq continents. Dans le monde, près de 200 millions de locuteurs parlent français.

Culture et politique. Parmi ses missions principales figurent la promotion de la langue française et la diversité culturelle et linguistique, mais aussi la promotion de la paix, de la démocratie et des droits de l’homme.

Montreux. La Suisse, membre de l’OIF depuis 1989, accueille cette année le 13e sommet de la Francophonie. Il se tiendra du 20 au 24 octobre 2010 à Montreux, dans le canton de Vaud.

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