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Ella Maillart, un modèle d’ouverture

Famille à l'intérieur d'une yourte de feutre en 1932. Musée de l'Elysée/Fonds Ella Maillart

Le Musée des Beaux Arts de Bichkek (Kirghizistan) accueille une exposition de photos réalisées dans les années 1930 par l’exploratrice et écrivain genevoise Ella Maillart. Ces photos offrent un prolongement à son célèbre livre «Des Monts Célestes aux Sables Rouges».

Entre les Alpes et l’immense chaîne du Pamir (Asie centrale) il n’y a qu’un pont jeté par la bien nommée Pamir’s Bridges, une association fribourgeoise d’aide au développement. Le développement est à entendre ici au sens culturel également. Car si Pamir’s Bridges a pour mission de restaurer des ponts dans les montagnes d’Asie centrale, elle se veut aussi un relais permettant d’établir des liens entre la civilisation du Pamir et celle des Alpes.

C’est donc dans un esprit d’ouverture qu’a été conçue l’exposition de photos présentée, à partir du 14 avril et jusqu’au 6 mai, dans la capitale du Kirghizistan, Bichkek, au Musée des Beaux Arts. Les photos sont l’œuvre d’Ella Maillart. Grande exploratrice, la reporter et écrivain genevoise les avait réalisées dans les années 1930, lors d’un périple en Asie centrale. Elle traversait alors à cheval le Kirghizistan, avant de parvenir au massif du Tian Shan qui longe la frontière chinoise.

Ce voyage au long cours, elle le raconte dans un livre paru en 1934 sous le titre Des Monts Célestes aux Sables Rouges. Traduit l’an dernier en langue kirghize, à l’initiative de Pamir’s Bridges, le livre a rencontré un vif succès.

Deux pays très montagneux

«Trois mille exemplaires ont été distribués gratuitement là-bas, au pied de ces montagnes du Pamir dont une partie est aussi boisée que nos Alpes, avec des plaines très profondes et des cimes qui tutoient le ciel», raconte Bernard Repond, président de l’association fribourgeoise.

L’enthousiasme que l’ouvrage a suscité dans les librairies, les écoles et les universités du Kirghizistan a donné envie à l’association d’organiser cette exposition financée, entre autres, par le consulat suisse à Bichkek et le Musée de l’Elysée à Lausanne.

«Nous avons vite compris que les photos d’Ella Maillart constituaient un complément indispensable à son livre», explique Bernard Repond.

Avec 109 clichés, dont une grande partie est inédite, «l’exposition offre une culture visuelle très importante dans la mesure où elle ouvre une fenêtre sur le passé soviétique d’un pays, largement occulté jusqu’ici», confie, quant à lui, Daniel Girardin, conservateur du Musée de l’Elysée. «Comme dans beaucoup de pays de l’Est,  autrefois sous la houlette de l’URSS, il y a aujourd’hui dans l’Etat du Kirghizistan indépendant un désir profond de réappropriation de l’Histoire», ajoute-t-il.

D’où l’intérêt politique que revêtent certaines photos exposées, comme celles qui montrent des procès soviétiques condamnant des nationaliste Kirghizes en 1932. «Ces procès n’avaient encore jamais été documentés par l’image», insiste Daniel Girardin. C’est dire qu’Ella Maillart, entrée à l’époque sans permis au Kirghizistan (Staline interdisait aux Occidentaux l’accès au pays), possédait un courage téméraire.

Donner à voir d’autres us et coutumes, c’est pour elle décloisonner les mentalités dans une Europe étriquée que menace la montée du nazisme.

Les yourtes, les marchés et les nomades

Si certaines photos ont un cachet politique, d’autres reflètent le mode de vie d’un pays recouvert à 90% par la montagne. Là-bas, les yourtes émaillent la roche comme autant de chalets. Ne pas voir dans cette comparaison un trait cynique, mais juste une manière de mettre côte à côte la Suisse et le Kirghizistan, tous deux enclavés, sans accès à la mer, si proches par leur configuration géographique, si éloignés par leur culture.

«Du temps d’Ella Maillart, les yourtes étaient réduites à leur plus simple expression. Aujourd’hui, elles sont dotées de panneaux solaires. Elles connaissent donc une certaine sophistication, comme leurs habitants, les bergers, qui se promènent avec un téléphone portable», raconte Bernard Repond.

Les photos permettent de constater l’évolution d’un pays situé sur la mythique Route de la soie. Le commerce y a joué un grand rôle, les transhumances aussi.  Ce qu’Ella Maillart ne manque pas de relever. «Elle a beaucoup photographié les marchés, témoins de la vie économique de l’époque. Bon nombre de ses clichés révèle par ailleurs sa curiosité pour les nomades qui traversent les frontières, de la Chine à l’Ouzbékistan en passant par la Kirghizie», commente Daniel Girardin.

Des Monts Célestes aux Sables Rouges est le titre donné à l’exposition qui prolonge de manière ethnographique, politique et économique le livre éponyme de l’écrivain genevoise. «Ses photos ont toutes les chances de séduire les visiteurs kirghizes», affirme Bernard Repond. Les visiteurs aînés? lui demande-t-on.

«Oui, mais aussi les jeunes», réplique-t-il. Avant d’ajouter: «Il est vrai que les Kirghizes de 20 ans n’ont pas connu l’époque soviétique, ni la photographe genevoise. Ils savent en revanche qu’il y a aujourd’hui beaucoup de Suisses qui traversent leur pays à cheval ou à bicyclette. C’est suffisamment étonnant pour qu’ils soient attirés par Ella Maillart, non?».

Voyageuse, reporter, écrivain et photographe suisse, née à Genève en 1903.

Après un premier séjour à Moscou et la traversée du Caucase, elle parcourt, en 1932, l’Asie centrale soviétique.

En 1934, le Petit Parisien l’envoie au Mandchoukuo, en Chine.

Elle y rencontre Peter Fleming, grand reporter pour The Times. Avec lui, elle se lance, en 1935, dans un périple de six mille kilomètres qui la mènera de Pékin à Srinagar. Elle en tirera un récit : Oasis interdites.

En 1937 elle traverse l’Inde, l’Afghanistan, l’Iran et la Turquie pour faire des reportages.

De 1940 à 1945, elle passe cinq ans dans le sud de l’Inde où elle s’initie aux coutumes religieuses du pays.

De retour en Suisse, elle découvre, grâce au peintre Edmond Bille, le village de Chandolin qui deviendra une halte dans sa vie nomade.

Grande sportive, elle fera de la voile et aussi de la bicyclette jusqu’à l’âge de 80 ans.

Elle décède à Chandolin, en 1997.

Parmi ses œuvres, citons: La vagabonde des mers, La voie cruelle Ti-puss ou l’Inde avec ma chatte, Croisières et caravanes

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