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En Suisse, la scientologie fait moins peur que l’Islam

Keystone

Alors qu'en France, un procès en cours pourrait conduire à son interdiction, l'Eglise de scientologie coule des jours paisibles en Suisse. Moins agressif que dans les années 90, ce mouvement ne suscite guère l'attention, contrairement à la religion musulmane.

«Après les attentats du 11 septembre, les discussions et les craintes suscitées par les sectes en Suisse ont été remplacées par celles sur la religion musulmane.» C’est le constat de René Pahud de Mortanges, directeur de l’Institut du droit des religions à l’université de Fribourg.

De fait, les Suisses se prononceront – sans doute avant la fin de l’année – sur une initiative visant à interdire la construction de minarets en Suisse. Un scrutin et un débat qui a déjà affiché au grand jour les peurs et les fantasmes que suscite l’Islam au sein d’une partie de la population suisse.

Sous les feux de la rampe en France à l’occasion d’un procès qui pourrait conduire à sa dissolution, l’Eglise de scientologie ne semble, elle, plus guère soulever de vagues en Suisse.

Une «spiritualité» très matérielle

Il en allait tout autrement dans les années 90. René Pahud de Mortanges cite une affaire emblématique dans le canton de Bâle-Ville. «Pour vendre ses cours, la scientologie recourait à des méthodes assez agressives. Le gouvernement de Bâle-Ville a finit par interdire aux scientologues d’utiliser ses méthodes dans l’espace public.»

L’affaire s’est donc terminée devant le Tribunal fédéral (Cour suprême), l’organisation scientologue agitant le drapeau de la liberté religieuse. «L’instance suprême de la justice suisse a bien reconnu à la scientologie le droit d’invoquer la liberté religieuse, tout en soulignant que la norme de Bâle-Ville ne violait pas cette liberté», rappelle le chercheur.

A cette époque, les Suisses étaient encore sous le choc des exactions de l’Ordre du temple solaire, une secte qui avait assassiné 74 de ses membres au Québec, en Suisse et en France de 1994 à 1997.

Raison pour laquelle le Parlement suisse a voulu agir à l’encontre des phénomènes sectaires.

«En 1999, une commission du Conseil national (Chambre du peuple) a demandé au Conseil fédéral de formuler une politique à leur égard. Le gouvernement a refusé d’entrer en matière, arguant qu’une telle politique n’était pas nécessaire. Dans sa réponse, le Conseil fédéral a également souligné que la recherche d’informations sur les sectes était du ressort du monde académique», relève René Pahud de Mortanges.

A cette occasion, le gouvernement fédéral n’a donc pas voulu remettre en cause sa neutralité à l’égard des phénomènes religieux et sa faible emprise sur le divin, ce domaine étant du ressort des cantons.

Un danger pour ses membres

Pour autant, la Suisse a bien des garde-fous face aux dérives sectaires. «Avec la législation actuelle, il est parfaitement possible de lutter contre toute une série d’abus. Mais encore faut-il que les membres de telle ou telle secte porte plainte. Leurs familles ne peuvent en effet le faire à leur place. Or des mouvements comme la scientologie peuvent représenter un danger, surtout pour leurs membres», souligne René Pahud de Mortanges.

Un danger que détaille Jörg Stolz, directeur de l’Observatoire des religions de l’Université de Lausanne: «Pour placer leurs cours, les scientologues s’y prennent comme les vendeurs d’assurances des années 50, en mettant la pression pour que vous en achetiez d’autres. Comme ces cours sont très chers, la scientologie offre la possibilité de travailler dans ses centres pour avoir des réductions. Ainsi vous êtes vraiment sous l’emprise de l’organisation.»

Et le chercheur de poursuivre: «Face à ce genre de mouvements, nous avons toujours le choix. Mais si vous avez vécu des années dans un tel mouvement, que vous y avez vos amis, que vous y avez investi de l’argent et du temps dans le cadre d’une formation, il devient très difficile d’en sortir.»

L’absence en Suisse de plainte de membre de la scientologie à l’encontre de leur Eglise ne signifie donc pas que cette organisation soit parfaitement inoffensive.

Le regard que l’on jette

Néanmoins, le mouvement fondé dans les années 50 par l’auteur américain de science-fiction Ron Hubbard subit aussi le sort réservé aux nouveaux venus de la scène religieuse. «La scientologie est un mouvement très récent, en phase avec les préoccupations de l’homme moderne occidental. Elle propose une quête très individualisée du succès, de la performance et du perfectionnement de soi. Mais ses démêlés avec la justice ont bien sûr freiné ses ambitions», relève Jörg Stolz.

«Nous constatons, ajoute le sociologue des religions, que très souvent ces mouvements spirituels démarrent de manière très effervescente et sont perçus comme bizarres et inacceptables par la société. A ses débuts, l’Armée du salut était considérée comme la pire des sectes.» On pourrait en dire autant des premiers chrétiens.

Au fil des années, selon Jörg Stolz, la plupart de ces mouvements tendent à se normaliser et comprennent qu’ils doivent faire des compromis avec le reste de la société, s’ils veulent durer.

Plaidoyer scientologue

Francine Bielawski, porte-parole de l’Eglise de scientologie pour la Suisse romande, assure que cette normalisation est faite: «Nous avons adopté des règles très strictes pour nos membres que feraient preuve d’excès de zèle, suite aux procès qui se sont déroulés dans le passé.»

Et la scientologue de poursuivre son plaidoyer: «Dans les pays où nous avons été reconnus comme religion, nos comptes ont été épluchés. En Allemagne, il y a eu 12 ans d’enquête à notre sujet. Elle a conclu à la fin de l’année dernière qu’il n’y avait rien à nous reprocher et que nous étions d’utilité publique.»

Une affirmation que tempère René Pahud de Mortanges: «La scientologie est toujours sous surveillance des autorités allemandes de protection de la Constitution.»

«Suite aux procès des années 90, les scientologues ont compris qu’ils devaient changer d’attitude, reconnait ce spécialiste de l’histoire du droit et du droit canon. Et ce d’autant que ces procès leur ont fait perdre des adhérents»,

De son coté, Jörg Stolz fait preuve de prudence sur les changements que connaîtrait l’Eglise de scientologie. «C’est difficile de le savoir vraiment. Mais j’ai l’impression qu’il y a eu des changements. Aux Etats-Unis, des chercheurs estiment que la scientologie devient petit-à-petit un mouvement plus respectable. En Suisse, ils semblent aller dans la même direction. Mais cette évolution, si elle se confirme, se fait très lentement.»

De fait, certaines obsessions demeurent. «La scientologie continue d’avoir une phobie des psychiatres, constate Jörg Stolz. Pour eux, cette profession cacherait une organisation secrète incarnant le mal absolu. Une perception assez étrange. On voit mal une organisation qui se veut respectable tenir de tels propos.»

Frédéric Burnand, Genève, swissinfo.ch

Bloqué Citant un «combat de longue date» entre admirateurs et détracteurs de la scientologie, l’encyclopédie en ligne Wikipédia a décidé fin mai de bloquer les interventions en provenance d’ordinateurs «détenus ou utilisés par l’Eglise de Scientologie et ses associés».

Intervention Un certain nombre d’internautes ayant participé à cette guerre d’image sur le site qui se base sur les contributions des utilisateurs ont également été privés d’intervention pour tout ce qui a trait à la scientologie.

Dates Le procès pour «escroquerie en bande organisée» de la scientologie s’est ouvert le 25 mai à Paris et durera jusqu’au 17 juin.

Parties Six responsables, dont son dirigeant français Alain Rosenberg et ses deux principales branches françaises, l’Association spirituelle de l’Eglise de Scientologie (ASES-CC – Celebrity Centre) et la librairie SEL (Scientologie espace liberté) font face à trois plaignants – deux ex-adeptes et l’Ordre des pharmaciens.

Accusation Les prévenus sont accusés d’avoir soutiré des dizaines de milliers d’euros à quatre anciens adeptes, en profitant de leur vulnérabilité.

Million Ils encourent au total sept ans de prison et un million d’euros d’amende. Certains sont également poursuivis pour «exercice illégal de la pharmacie».

Première Contrairement à tous les procès précédents, qui n’impliquaient que des personnes, c’est la première fois que la scientologie est accusée aussi en tant qu’organisation.

Dissolution En cas de condamnations, l’Eglise de scientologie encourt la dissolution de ses structures françaises. Mais une telle issue reste lointaine, car si elle était prononcée, elle devrait être confirmée en appel, puis en cassation. Et la scientologie a les moyens de s’offrir de bon avocats.

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