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Encore des attaques contre le Tamiflu

Certains médecins considèrent le Tamiflu comme le meilleur médicament actuellement disponible contre la grippe. imagepoint

Le monde médical est divisé sur le Tamiflu, l’antigrippal qui a rapporté des milliards au géant pharmaceutique suisse Roche. Un journal médical britannique et un réseau de santé international mettent en doute son efficacité à réduire les complications liées à la grippe.

Le 18 janvier, le British Medical Journal publie un article cinglant qui dénonce le manque de preuves disponibles pour établir l’efficacité du Tamiflu et accuse Roche d’avoir «plusieurs fois rompu sa promesse de rendre les rapports des études totalement disponibles».

Parallèlement, la «Cochrane Collaboration» (un réseau de plus de 28’000 professionnels de la santé répartis sur plus de 100 pays) a passé les études sur le Tamiflu au peigne fin, et conclut à des divergences entre les papiers publiés sur le médicament et les données cliniques disponibles. Ainsi, l’efficacité ne pourrait pas être totalement prouvée, parce que Roche n’aurait pas publié les données complètes de ses tests cliniques.

Selon le réseau Cochrane, si le Tamiflu aide les patients à se sentir mieux en moyenne 21 heures après avoir ressenti les premiers symptômes, il ne permet pas de réduire le nombre de patients qui doivent finalement être hospitalisés.

Plusieurs pays ont constitué des stocks de Tamiflu pour faire face aux épidémies de grippe. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) maintient qu’elle le gardera sur sa liste de médicaments essentiels vu qu’elle prend en compte les données récoltées sur le terrain pendant les épidémies aussi bien que les tests cliniques.

3200 pages de données

Tom Jefferson, de Cochrane, clame que Roche – bien que rien ne l’y oblige légalement – aurait dû fournir davantage de données. Le réseau n’a reçu qu’une partie des rapports d’études cliniques, le résumé des méthodes et les résultats. Mais cela ne représentait en tout qu’un quart de ce qui avait été demandé.

Le géant bâlois réplique qu’il a fourni une vaste information. Dans une réponse rendue par courriel à nos questions, un porte-parole écrit que «Roche a donné au réseau Cochrane l’accès à 3200 pages d’informations très détaillées, qui permettent de répondre à leurs questions».

«D’amples études cliniques et les expériences sur le terrain montrent que le Tamiflu offre généralement une bonne sécurité et est bien toléré», écrit encore Roche.

«Sommaire et sporadique»

L’oseltamivir, vendu sous la marque Tamiflu, a été utilisé à grande échelle pour combattre la grippe aviaire en 2005 et la grippe porcine en 2009-2010.

Selon Roche, les données de la pandémie de 2009 ont montré que le Tamiflu «est efficace et bien toléré, réduit le risque de complications, le nombre d’admissions aux soins intensifs et la longueur des séjours à l’hôpital et améliore les chances de survie». «Nous nous portons garants de la solidité et de l’intégrité de nos données, qui étayent l’efficacité et la sureté du Tamiflu», écrit encore le géant bâlois.

Mais Tom Jefferson persiste. Pour lui, «les meilleures sources de preuves pour établir l’efficacité et la sûreté d’un médicament restent les études cliniques formelles» et les performances mesurées durant la pandémie de 2009 l’ont été sur la base d’études «très sommaires et sporadiques».

Le bébé et l’eau du bain

Malgré ces remous, l’oseltamivir a toujours ses supporters. Pascal Meylan, de l’Institut de microbiologie du Centre hospitalier universitaire vaudois de Lausanne, en fait partie. S’il reconnaît ne pas être familier avec le réseau Cochrane, il trouve que le médicament est bon, et qu’il a prouvé son utilité durant la pandémie de 2009-2010.

«Je pense que c’est un médicament efficace, le meilleur que nous ayons en ce moment pour traiter l’influenza, et il serait dommage de s’en passer», explique ce spécialiste des maladies virales. Tout en insistant sur la nécessité de le prendre assez tôt, dans les 48 heures après avoir attrapé la grippe: «je le conseille aux patients, mais en étant très attentif au timing. Il y a très peu d’effets secondaires».

Pascal Meylan ajoute que ceux qui se livrent à des vérifications indépendantes (comme l’a fait le réseau Cochrane) ont tendance, par nature, à «démonter radicalement toutes les preuves». «Il y a peut-être un problème, mais rejeter totalement le Tamiflu serait comme jeter le bébé avec l’eau du bain», conclut le praticien.

Le prochain round

Pas de quoi convaincre Tom Jefferson, irrité de voir que tant d’argent public a été dépensé pour constituer des stocks d’un médicament dont l’efficacité et la sureté sont sujettes à caution.

«En tant que médecin, si je prescris un médicament, je veux savoir comment il agit et avec quoi il interagit. Je serais très prudent face à une substance pour laquelle les preuves ne sont pas bien établies», explique le membre du réseau Cochrane.

Car celui-ci n’a guère trouvé de preuves à l’appui des affirmations de Roche. Par contre, il a trouvé des données non publiées sur les effets secondaires, qui montrent que le Tamiflu pourrait provoquer la nausée.

Pour Tom Jefferson, la balle est maintenant dans le camp de l’Agence européenne des médicaments (EMA, un organe de l’Union européenne), qui aurait le droit de rouvrir le dossier du Tamiflu et d’examiner toutes les preuves. Mais en attendant, l’EMA n’a pas répondu à notre demande de commentaire.

En mai 2009, l’OMS demande aux Etats de constituer des stocks de Tamiflu pour faire face à ce qu’elle nomme une pandémie globale de grippe porcine H1N1. Cette année-là, le médicament de Roche cumule des ventes pour 3,2 milliards de francs suisses.

L’alerte à la pandémie est levée en 2010. La grippe saisonnière ayant été relativement peu virulente et la plupart des gouvernements ayant constitué leurs stocks, les ventes de Tamiflu chutent drastiquement: 873 millions en 2010 et 301 millions sur les neuf premiers mois de 2011.

En 2009, Roche avait fait état de deux nouvelles études démontrant l’efficacité de son médicament. Selon elles, 53% des patients atteints de grippe aviaire et ayant reçu du Tamiflu avaient survécu, contre 12% des patients non traités. Quant aux patients à hauts risques atteints d’une sévère grippe saisonnière, le Tamiflu permettait de réduire leur mortalité de 37%.

Selon Roche, le Tamiflu est capable de lutter contre tous les types de virus de type influenza. Il agit en bloquant l’action de la neuraminidase, enzyme présente en surface du virus, ce qui l’empêche de se propager dans le corps.

La grippe (influenza) est une maladie infectieuse aiguë connue depuis des siècles. Il s’agit d’une infection des voies respiratoires déclenchée par les virus Influenza A et Influenza B. Ces virus circulent surtout en hiver et se transmettent très facilement, surtout dans les espaces clos, par les sécrétions de la gorge et du nez, ou par poignée de main.

Les symptômes de la grippe peuvent être une forte fièvre, des douleurs musculaires et articulaires, ainsi que des maux de tête et de gorge. Pour les personnes de 65 ans et plus et pour les malades chroniques, qui font partie des personnes à risque, la grippe peut entraîner de graves complications et une perte d’autonomie.

Pour les personnes à risque, la grippe n’est pas une maladie bénigne. En Suisse, elle est chaque année la cause de 100’000 à 300’000 consultations médicales, débouchant sur 1000 à 5000 hospitalisations. Elle cause en moyenne 400 décès par an (surtout des personnes âgées), mais le chiffre peut monter à 1500 en cas de grosse épidémie.

La prévention la plus efficace contre la grippe est la vaccination, au moyen d’une injection annuelle.

(Source: Office fédéral de la Santé publique)

Traduction de l’anglais: Marc-André Miserez

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