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Ernst Sieber, pasteur emblématique des déshérités

Le pasteur Ernst Sieber a fêté ses 80 ans au mois de février. Keystone

Ernst Sieber, le pasteur zurichois des sans-logis, est devenu une figure légendaire. Agé de 80 ans, son espoir d'un monde solidaire et plus juste est resté intact et continue à animer son existence.

swissinfo s’est entretenu avec l’un des plus célèbres pasteurs de Suisse qui, depuis des décennies, consacre sa vie aux déshérités et aux marginaux.

swissinfo: quelle est pour vous la signification des fêtes de Pâques?

Ernst Sieber: Pâques évoque pour moi la résurrection du Christ. Pour les Chrétiens, Pâques est synonyme d’espérance. «Celui qui croit en moi aura la vie éternelle, il est passé de la mort à la vie», pour reprendre une parole du Christ.

Par rapport à la réalité politique et économique de notre monde, Pâques a une dimension révolutionnaire: ceux qui ont faim dans ce monde, ceux qui chez nous n’ont pas assez pour vivre, tous ont besoin de pain et d’amour; le monde doit ressusciter. Pâques est en nous, maintenant!

swissinfo: que représente la foi pour vous?

E.S.: Je vous répondrai en vous racontant une petite histoire. Un pasteur se rend chez un paysan qui vient de retourner la terre de son jardin. Le pasteur contemple les pousses sortir de terre et dit au paysan : «Dieu et vous-même avez déjà accompli beaucoup.» Et le paysan de répondre: «Oui, oui, et vous auriez dû voir le jardin lorsque Dieu seul s’en occupait.»

Nous sommes les artisans du Christ, pas seulement par la liturgie ou la spiritualité mais par notre présence au monde. Nous sommes là pour accomplir quelque chose, apporter l’amour et la dignité. Nous avons le pouvoir de construire un monde meilleur et plus juste.

swissinfo: la confrontation des religions vous inquiète-t-elle?

E.S.: J’étais en Afghanistan et j’ai rencontré un groupe de représentants du pouvoir législatif de ce pays islamique. L’un d’entre eux s’est approché de moi et a ouvert sa main, elle contenait une petite croix en argent. «Je l’ai trouvé sur une très vieille tombe. Je te l’offre en signe de respect.»

Témoigner son amour pour l’autre fait tomber toutes les barrières religieuses, c’est ce qu’il m’a été une nouvelle fois donné de vivre durant ce voyage en Afghanistan. Et celui qui affirmerait que Jésus s’oppose à cette fraternité et à cette réconciliation est sur le chemin de l’erreur.

swissinfo: près de 2000 personnes, de tout âge, de toute condition et même des personnalités du monde politique étaient présentes dans l’église du Grossmünster lors du culte de célébration de votre 80e anniversaire. Cela vous a-t-il touché?

E.S.: Cette présence m’a touché, je ne m’y attendais pas. C’était toutes des personnes qu’il m’avait été donné de côtoyer durant ces dernières décennies.

J’étais ému car quelque part je sentais aussi la présence du Christ malgré les chiens qui ont aboyé au beau milieu de la prédication!

swissinfo: à Zurich, vous êtes l’homme que l’on peut aller trouver et qui va vous aider si vous en avez besoin. Monika Stocker, responsable de l’aide sociale à Zurich, vous a qualifié de «populiste de Dieu». Y-a-t-il parfois des conflits entre l’aide sociale de l’Etat et vous-même?

E.S.: S’il n’y avait pas de problèmes, cela voudrait dire que l’Eglise n’est pas vraiment à la hauteur de sa mission.

D’ailleurs, Monika s’adresse en moi en disant «Frère Ernst» et je lui réponds en lui disant «Sœur Monika». Et qu’est-ce que notre «Sœur Monika» a récemment déclaré? «Que l’Etat ne pouvait pas aimer»

swissinfo: Et vous avez récemment déclaré qu’il vaudrait mieux abolir l’aide sociale…

E.S.: Justement parce que l’Etat n’est pas là pour aimer! Je vous le demande: l’homme vit-il seulement de pain ou a-t-il d’abord besoin d’amour?

Pour moi, guérir les gens, c’est donner à ceux qui n’ont plus de toit, aux déshérités, non seulement du pain mais c’est surtout leur rendre leur dignité et leur fierté.

swissinfo: vous avez 80 ans mais vous êtes toujours aussi actif. Où trouvez-vous cette force qui vous pousse à continuer?

E.S.: Voyez-vous, ce soleil qui brille dehors est déjà source de joie. Mais je me nourris des rencontres que je fais: je donne à l’autre, certes mais en même temps, je suis à son écoute et il m’apporte beaucoup.

Et puis j’ai les gens qui travaillent avec moi et j’ai ma femme qui me soutient depuis toujours dans mon entreprise. Mes huit enfants m’ont aussi suivi dans toutes mes entreprises. Il y a bien sûr, chaque jour, le moment de la prière, sans lequel je ne peux rien faire. Je prends Dieu au mot même s’il me faut parfois vivre des ruptures.

swissinfo: La fondation des œuvres sociales du pasteur Ernst Sieber (SWS) a connu il y a quelques années une situation économique difficile. L’une de vos personnes de confiance avait détourné de l’argent. Vous avez réagi alors comme un «père de famille» et vous avez essayé de dissimuler les actes répréhensibles de votre comptable ce qui vous a contraint à quitter la fondation. Un événement douloureux pour vous?

E.S.: Cela ne m’a pas arrêté dans mon œuvre. Je n’ai jamais eu de position de pouvoir; je ne peux aller au devant de ceux qui souffrent que comme un partenaire.

Et puis, je suis théologien pas comptable. En tant que serviteur de Dieu, je suis prêt à prendre sur moi les fautes des autres.

swissinfo: Notre monde connaît la guerre, la pauvreté, la misère, la violence. Même la riche Suisse a ses sans-abris et ses marginaux. Dieu a-t-il failli?

E.S.: Non, On attend de Dieu qu’il apporte des réponses à tout, qu’il permette à l’Etat de s’occuper de nous tous. Impossible. Avec le message de la croix, Dieu montre aux hommes et aux femmes les forces qu’il faut mettre en œuvre pour construire un monde de paix.

Nous devons agir ici et maintenant. Aujourd’hui et non pas demain, nous devons essayer de sauver notre monde. Je ne suis pas en colère contre Dieu ; je suis plutôt surpris qu’il ne soit pas plus en colère contre les hommes.

swissinfo: comme pasteur des sans-logis, vous avez donné aux autres et vécu que pour les autres. Avez-vous reçu en retour?

E.S.: Un sentiment d’éternité. Je pense à mon dernier culte ou à notre rencontre aujourd’hui. N’y-a-t-il rien de mieux que de sentir des individus qui vivent dans l’espérance d’un monde meilleur, des individus qui savent que l’amour triomphe de la mort?

swissinfo-Interview: Jean-Michel Berthoud
(Traduction et adaptation de l’allemand: Bertrand Baumann)

Pour de nombreux déshérités en Suisse, Ernst Sieber est comme un père. Durant le très rigoureux hiver 1963, il fit d’un container un abri pour les sans-logis.

Dans les années 80, Ernst Sieber s’acquit une audience nationale en s’élevant contre la misère de la scène des toxicomanes du Platzspitz de Zurich, ce qui lui ouvrit la voie d’une carrière politique comme député du Parti national évangélique au Conseil national (Chambre basse du Parlement).

Au faîte de leur expansion, les œuvres sociales de Ernst Sieber comprenaient des communautés thérapeutiques, des foyers pour sans-logis et des centres de rencontre dans quatre cantons employant 215 collaborateurs.

Puis, des malversations financières ont ébranlé la Fondation, l’instance responsable des Œuvres du pasteur Sieber. Fin 2004, elle était menacée de faillite. L’Eglise, l’Etat et les donateurs se sont mobilisés pour la sauver.

Ernst Sieber dut se retirer de la fondation. Il conserva la présidence d’honneur et le «Pfuusbus» pour sans-abri et marginaux dans le quartier de l’Albisgütli à Zurich.

Ernst Sieber est né le 24. 02. 1927 à Horgen (ZH). Il fut garçon de ferme en Suisse romande avant de faire un diplôme d’agriculture à l’Ecole d’agronomie du Strickhof (1947).

Après son baccalauréat (1950), études de théologie et consécration comme pasteur (1956).En 1987, docteur honoris causa de la faculté de théologie de l’Université de Zurich. Puis pasteur jusqu’en 1992 à Zurich Altstetten.

Fondateur de plus de 30 institutions diaconales.

Depuis 1958, marié avec la chanteuse Sonja Sieber-Vasalli avec laquelle il a eu 8 enfants.

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