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Etablir le droit en Asie centrale

LARC, un réseau d’avocats au service des victimes de l’arbitraire. swissinfo.ch

A l’époque soviétique, il n’existait pas de justice indépendante. Mais, les nouveaux maîtres de la région ont parfois adopté les méthodes de la mafia. Et la privatisation a lésé nombre de petites gens.

Aujourd’hui, au Kirghizstan, des avocats tentent d’obtenir réparation. Avec l’aide la Suisse.

«Le maire-adjoint de la commune exigeait la moitié de mes terres, se souvient Tapaiev Amarvek. Un soir, ses collègues sont venus chez moi. Ils étaient ivres et m’ont menacé de tout me prendre.»

A l’origine, on avait promis trente hectares à cet éleveur de chevaux dans le cadre de la privatisation des terres. Mais les problèmes n’ont pas tardé à surgir.

«La police ne voulait pas m’aider et les tribunaux m’ont éconduit, raconte Tapaiev Amarvek. Et c’est alors que j’ai entendu parler de LARC.»

LARC, ou «Legal Assistance to Rural Citizens», est un programme de soutien aux populations rurales en cas de problèmes avec la loi. Ses buts: améliorer les connaissances générales en matière de droit, renforcer la justice et contribuer ainsi à rendre l’autorité plus transparente et plus fiable.

Pour 2003, LARC roule sur un budget de 850’000 francs, fournis par la Direction suisse du développement et de la coopération (DDC) et par USAID, l’agence américaine d’aide au développement.

Et sur place, c’est l’œuvre d’entraide suisse Helvetas qui applique le programme.

L’autorité hors-la-loi

En trois ans pas moins de 21 bureaux LARC sont nés au Kirghizstan, animés chacun par deux ou trois avocats. Kachynbaev Nadyrbek est l’un d’entre eux. Il dirige le bureau de Jalal Abad, au sud du pays. Et des cas comme celui de Tapaiev Amarvek, il n’en connaît que trop.

«La privatisation a apporté son lot de problèmes et les nouvelles lois ne les règlent pas tous, note l’avocat. Nous avons donc un certain nombre de précédents auxquels chacun doit se référer.»

Ainsi, les bureaux LARC peuvent échanger leurs expériences et les cas survenus dans les régions servent d’exemples pour tout le pays.

Pour Kachynbaev Nadyrbek, le plus important est d’informer la population. Au Kirghizstan, de nombreuses personnes ne connaissent que mal ou pas du tout leurs droits. Et les services officiels ne sont pas toujours sûrs. Il leur arrive d’imposer leur volonté par des moyens illégaux.

Le maire de la commune de Bazar-Korgon (30’000 habitants) ne peut que confirmer. «Pour empêcher des gens de cultiver des champs qui ne leur appartenaient pas, il m’est arrivé de confisquer la terre sans autre forme de procès. Et c’est illégal», admet Nishanbaev Gairat.

«Aujourd’hui, je ne le fais plus. Ces affaires se règlent au tribunal», poursuit le maire. Et pour lui, comme pour les gens qui veulent défendre leurs droits, LARC est désormais un interlocuteur.

Malgré cela, en tant qu’agent de l’autorité, Nishanbaev Gairat se défend d’entretenir des relations particulières avec les avocats de LARC. «Ils ne peuvent bien faire leur travail que s’ils restent neutres», explique le maire.

Le droit s’installe

LARC a soutenu la mise sur pied d’un système qui permet de vendre les terrains de la commune aux enchères. «Les intéressés doivent prouver qu’ils ont le savoir-faire pour exploiter ces terres et déclarer leurs crédits impayés s’ils en ont», explique Kachynbaev Nadyrbek.

Ce système soulage également le maire: «je ne subis plus les pressions de ma famille, qui me demandait de lui accorder des avantages. En outre, le produit de ces ventes nous permet de maintenir les services sociaux de la commune», se réjouit Nishanbaev Gairat.

Ainsi se développe lentement mais sûrement une nouvelle culture du respect et de la compréhension du droit.

A titre d’illustration, Kachynbaev Nadyrbek brandit un classeur rempli de contrats-type que LARC met à la disposition de ses clients. Lorsque, par exemple, un producteur de coton vend sa récolte à une filature, les choses sont nettement plus claires avec un contrat écrit.

Beaucoup reste à faire

Aujourd’hui, tout le monde est d’accord pour dire que les plus gros problèmes découlant de la privatisation des terres sont réglés.

Ce qui ne veut pas dire que les hommes de loi n’ont plus rien à faire: en 2003, les trois avocats du bureau de Jalal Abad ont conseillé pas moins de 439 clients, dont un tiers étaient des femmes. «Nous nous occupons de plus en plus d’affaires de propriété et d’héritage», constate Kachynbaev Nadyrbek.

Une grande nouveauté aura été l’introduction des honoraires. De cette manière, LARC devrait parvenir à moyen terme à s’autofinancer, afin de s’installer comme une structure durable.

«Cela nous met également sous pression et nous oblige à faire du bon travail, explique le chef du bureau de Jalal Abad. Il est clair qu’aucun paysan ne payera pour un service qui ne le convainc pas.»

Convaincu de l’utilité de LARC, Tapaiev Amarvek l’est assurément. «Depuis que les avocats s’occupent de mon cas, j’ai pu récupérer toutes mes terres, se réjouit l’éleveur de chevaux. Et le maire adjoint qui prétendait me les prendre a été destitué.»

swissinfo, Philippe Kropf et Jacob Greber, Jalal Abad

Le logo de LARC représente un homme coiffé du chapeau traditionnel kirghize en train de lire un recueil de lois.
Le noir et le blanc symbolisent le fait que le droit ne doit pas connaître de zones grises.

– Au Kirghizstan, la privatisation des terres a débuté en 1996. Elle a créé nombre de problèmes et de situations d’injustice.

– Aujourd’hui, la plupart des terres des anciennes fermes collectives ont été distribuées.

– Le système juridique se renforce peu à peu et une culture du droit commence à s’installer.

– Exemple concret de ces progrès: la plupart des affaires se traitent désormais sur la base de contrats écrits.

– Le réseau LARC participe à ce mouvement, en éditant par exemple des contrats-type pour toutes sortes de transactions.

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