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Fée verte et fumette, même silence?

Les cultures de cannabis neuchâteloises étaient pourtant peu discrètes. RTS

La police neuchâteloise n’en finit pas de découvrir des cultures de cannabis dans la région du Val-de-Travers. Jusqu’ici, plus de 30’000 pieds ont été mis au jour.

Immédiatement, les médias ont tiré un parallèle avec l’absinthe en évoquant une tradition d’omerta. Un cliché qui n’a rien de réel, selon l’historien Pierre-André Delachaux.

Cette semaine, deux nouveaux sites de production ont été découverts dans la région neuchâteloise, portant à 11 le nombre de lieux impliqués dans une culture industrielle de chanvre. Jusqu’ici, plus de 30’000 plants de cannabis ont été saisis.

L’événement n’est pas exceptionnel. L’an dernier, la police avait aussi mis au jour d’importantes cultures de chanvre «indoor» au Tessin et en Valais. Mais le fait qu’il s’agisse du Val-de-Travers, berceau de la Fée verte, a apporté un relief particulier à l’affaire.

La loi du silence

D’emblée, plusieurs médias ont évoqué l’omerta vallonnière pour expliquer la découverte tardive de ces plantations, si vastes qu’elles ne pouvaient pas, disent-ils, échapper au regard des habitants. C’est donc qu’on savait et qu’on n’a rien dit.

Après tout, plusieurs années de distillation clandestine d’absinthe ont probablement habitué les gens au silence. Dès lors, pourquoi ne fermeraient-ils pas les yeux sur une production de cannabis?

Le Vallonnier Pierre-André Delachaux, historien, auteur de plusieurs ouvrages sur la Fée verte, regrette ce parallèle, cet «amalgame désagréable pour le Val-de-Travers».

«Lorsqu’on parle d’absinthe, on est dans un contexte culturel précis. La région vit avec elle depuis deux siècles. Il est question de plaisir, de tradition», observe-t-il.

«Quand on parle de chanvre, c’est une autre dimension. Il est question de crime organisé et d’argent». Les cultures, véritablement industrielles, auraient en effet pu générer un chiffre d’affaires annuel de 13 à 15 millions de francs.

Secrets de villages



Pour Pierre-André Delachaux, c’est clair: il n’y pas d’omerta vallonnière, de loi du silence ancrée dans la tradition locale.

«Dans tous les villages, des secrets traînent pendant des années sans être révélés, ajoute l’historien. Le maire-entrepreneur qui s’attribue tous les travaux, les prêtres pédophiles, etc. On attend trente ans avant que l’histoire ne soit dévoilée.»

«J’ai un peu discuté avec les habitants. L’immense majorité ne savait pas». Pourtant, vu l’ampleur des cultures, difficile de ne pas les voir et même de les sentir, l’odeur n’étant pas très discrète.

«Selon la police, certains habitants ont été menacés. D’autres ne mesuraient peut-être pas l’ampleur du délit, souligne Pierre-André Delachaux. On est aussi à la veille d’une légalisation du cannabis. Dans un an, l’affaire ne se serait pas déroulée de la même façon.»

Cliché pittoresque



Comment expliquer alors qu’autant de médias interprètent l’affaire du «cartel de Noiraigue» de la même manière? «Parce qu’il est des clichés qu’on aime véhiculer», répond l’historien.

Certaines images séduisent par leur aspect pittoresque. Celle du distillateur clandestin, du rebelle neuchâtelois, par exemple. Et les promoteurs du Val-de-Travers – parmi lesquels Pierre-André Delachaux – s’en servent volontiers aussi…

«Bien sûr, avoue ce dernier. Le mystère, le secret, qui entoure la Fée verte est enivrant. Nous aimons en jouer lorsqu’il s’agit d’évoquer l’absinthe. Mais il ne faut pas tout mélanger!»

swissinfo, Alexandra Richard

– La Loi fédérale sur les stupéfiants est en cours de révision. Le projet prévoit une dépénalisation du cannabis.

– En septembre 2003, le Conseil national (Chambre du peuple) s’est prononcé, à une courte majorité, contre l’entrée en matière sur la révision, en dépit des avis favorables de la Chambre des cantons et du gouvernement.

– Le 14 juin, le Conseil national est à nouveau appelé à en débattre. En cas de refus, le projet serait définitivement enterré.

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