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Face à la crise en France, un pragmatisme très… suisse

Lors de son discours à Toulon, Nicolas Sarkozy a averti que la crise n'était pas finie. Keystone

La France en pleine débâcle financière? Des éléments sont venus crisper le climat général français, allant jusqu'à devenir LE sujet sur toutes les lèvres hexagonales. Début d'une psychose? swissinfo a posé la question aux Suisses de France. Et visiblement... on ne vit pas la même crise des deux côtés du Léman.

«Dire la vérité aux Français, c’est leur dire que la crise n’est pas finie, que ses conséquences seront durables». C’était le 25 septembre dernier, à Toulon, le discours du président français Nicolas Sarkozy sur la politique économique du pays. Pour le moment, on ne prononce qu’à demi-mot le terme de «récession».

Mais les premiers indices sont là: mise en garde des dirigeants politiques, resserrement des conditions de crédit, et dernièrement, l’Etat au chevet d’une banque franco-belge, Dexia. Une intervention largement commentée en France, qui a agi comme un déclencheur: la crise arrive. Elle ne s’arrêtera pas aux frontières de l’Hexagone, comme l’idée répandue il y a deux décennies, que le nuage nucléaire de Tchernobyl avait contourné les frontières françaises.

L’Etat se presse au chevet du malade

Pas de mouvement de panique cependant, seulement des Français qui s’interrogent. Parmi ces 63,8 millions d’habitants (source INSEE recensement de janvier 2008), près de 200’000 Suisses et binationaux, à l’œil pour le moins critique. Le cas Dexia, par exemple, les fait bondir.

Philippe Alliaume, binational Parisien, originaire de Lausanne, St-Gall et Neuchâtel, n’est pas inquiet pour ses propres économies. Ce qui le fait réagir, c’est la différence de culture entre Berne et Paris.

«L’Etat français va se dépêcher d’intervenir, alors que le non-interventionnisme de l’Etat suisse est une évidence, issue d’une tradition de responsabilité et de séparation de la fonction régalienne et de l’économie. C’est malheureusement ce qui a coûté la vie à Swissair et à Swiss.»

Pour François Borel-Hänni, Lillois de 25 ans, originaire du canton de Vaud, «la différence entre la Suisse passive et la France interventionniste est culturelle, certes, mais surtout due à la personnalité du président français.» Une crise omniprésente en France parce que les hommes politiques se servent de son image?

Crise de confiance

Philippe Alliaume rebondit sur cette guerre d’images: «Il est important d’éviter une crise de confiance, bien plus dangereuse que la crise actuelle», pour ce quadragénaire rédacteur en chef de Suisse Magazine, manager de société, longtemps actif dans le domaine bancaire.

Une crise de confiance que tempère François Borel-Hänni. «Il y a une différence entre sauver Dexia, dont le nom ne parle pas beaucoup aux Français, et renflouer un nom qui parle aux ménages, où ils ont déposé leurs économies, comme BNP Paribas ou Société Générale côté français, ou UBS et Credit Suisse côté helvétique».

Pour ce jeune travailleur, la crise de confiance est plutôt imputable aux banques: «Les Français qui s’inquiètent à juste titre sont les 50% de salariés en dessous des 1’300 euros nets. Pour eux, les conditions de crédit vont se resserrer.» La France, eldorado de la frilosité bancaire?

Cette question fait sourire Martin Strebel, l’un des piliers de la communauté suisse, en France depuis 41 ans. Et de lancer une petite pique: «Les banques françaises veulent toujours des garanties, elles ne prennent aucun risque.»

Ce consultant pour les PME suisses en France est rompu aux différences de mentalité entre les deux rives du Léman. Pour lui, crise ou pas, la clé, c’est l’attentisme des acteurs économiques français: «Il y a un passage à vide actuellement, mais ce n’est pas la première crise. Les Français bloquent leurs investissements. Ils attendent.»

Flegme à la mode helvétique?

La prudence, un terme qui pousse François Borel-Hänni à proposer un éclairage philosophique. «En Allemagne, en Suisse, l’argent représente quelque chose de concret, une valeur. Dans ces pays, on paye en liquide, et la carte de crédit dont tous les débits sont reportés à la fin du mois y est inconcevable. Ces pays sont relativement tranquilles, car ils ont des bases solides qui ne mentent pas.»

Des bases qui ne la placent pas à l’abri d’une contagion. Philippe Alliaume reste circonspect et s’appuie sur son expérience du marché: «Lors de récents contacts, j’entendais que de très grands établissements bancaires helvétiques étaient aujourd’hui en crise d’excès de liquidités. Ces liquidités affluent de l’étranger – liquidation de placements étrangers, d’un établissement suisse en difficulté – et ne trouvent pas de contrepartie à part les créances sur la Confédération, des créances très mal rémunérées en ce moment.»

Pour Martin Strebel, l’habitué des relations franco-suisses, les acteurs économiques de la Confédération n’ont aucune raison d’être méfiants: «Notre économie s’appuie sur des PME redoutables qui sont des niches dans l’industrie. Certaines d’entre elles travaillent pour la NASA. Notre force, c’est notre savoir-faire.»

swissinfo, Aurélie Boris, Paris

176’723 Suisses et binationaux vivent en France (source: ASO, Association des Suisses de l’Etranger, chiffres de 2007).

43’800 d’entre eux vivent dans l’arrondissement consulaire de Paris (qui comprend également Bordeaux depuis cette année).

Pour tenter de trouver une réponse commune à la crise financière, le président en exercice du Conseil de l’Union européenne (UE) Nicolas Sarkozy a convoqué samedi un mini-sommet à Paris.

Angela Merkel, Gordon Brown et Silvio Berlusconi se sont retrouvés avec les présidents de la Commission européenne, de l’Eurogroupe et de la Banque centrale européenne.

Il a notamment été question de la création d’un système commun pour protéger les dépôts bancaires des particuliers.

Le «G-4» convoqué par le président français n’avait toutefois pas pour ambition de déboucher sur des propositions concrètes, lesquelles devraient être formulées lors du conseil réunissant les 27 chefs d’Etat les 15 et 16 octobre à Bruxelles.

Les dirigeants présents à Paris ont notamment souhaité la tenue d’un sommet international destiné à revoir les règles du capitalisme financier.

Dans le cadre de la crise des crédits à risques américains, l’UE a d’ores et déjà exclu un plan de sauvetage généralisé comparable à celui adopté vendredi par le Congrès américain.

Plusieurs grands établissements financiers européens ont été touchés depuis que la crise a gagné le Vieux Continent. Les mesures de sauvetage annoncées ont jusqu’ici été nationales.

L’Etat français a injecté 3 milliards d’euros (4,71 milliards de francs suisses) pour éviter la faillite du bancassureur franco-belge Dexia.

La France détient désormais 12% du capital de cette institution, mais c’est la Belgique qui en assure le contrôle.

L’intervention de l’Etat français a été décidée dans la nuit du 29 au 30 septembre 2008.

Sur ces 3 milliards d’euros levés, 2 milliards l’ont été par la Caisse des Dépôts et Consignations, un investisseur institutionnel qui fait office de banquier du service public. Un milliard, à la charge de l’Etat, a finalement été puisé sur les marchés.

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