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L’Eiger continue de défier les meilleurs grimpeurs

De gauche à droite, Heinrich Harrer, Ludwig Vörg, Anderl Heckmair, Fritz Kasparek RDB

En juillet 1938, un quatuor de grimpeurs allemands et autrichiens atteint pour la première fois le sommet de l'Eiger en escaladant sa redoutable face nord. swissinfo.ch s’est rendu au pied du «mur de la mort» qui continue d’attirer les meilleurs alpinistes comme les touristes ordinaires.

Invitée par l’office du tourisme de Grindenwald avec un groupe de journalistes à l’occasion du 75e anniversaire de l’exploit austro-allemand, j’ai éprouvé les plus grandes difficultés, au pied de la célèbre face nord à imaginer comment certains alpinistes pouvaient grimper cette paroi verticale de 1800 mètres. Et ce en quelques heures.

Même notre sage randonnée n’est pas sans péril. Parce que des blocs de roche tombent régulièrement de l’Eiger, un danger si vous êtes distrait.

Le brouillard est tenace. Il est difficile de voir la montagne distinctement. Ce qui ajoute une touche de mystère à cette montagne qui fascine dans le monde entier.

«Ce brouillard est assez fréquent en été. Les nuages se déplacent et se condensent ici. Et vous avez souvent des chutes de neige à cette époque. Ce qui est difficile à croire par beau temps», raconte Stephan Siegrist, un alpiniste suisse et guide de montagne qui a gravi 29 fois la face nord.

Réalisée quelques mois après l’annexion de l’Autriche par les nazis, l’escalade de l’équipe germano-autrichienne en 1938 est abondamment utilisée par la propagande allemande.

Cette «victoire sur la paroi des titans» est fêtée comme le symbole de la détermination et de la force commune des peuples du «royaume pangermanique». Adolf Hitler reçoit personnellement les quatre alpinistes à leur retour.

L’alpiniste autrichien Heinrich Harrer rejoint la waffen SS Parti nazi en mars 1938, lorsque l’Allemagne a annexé l’Autriche (l’Anschluss) et devient ensuite membre du parti nazi.

Heinrich Harrer séjourne sept ans au Tibet pendant la Deuxième Guerre mondiale, se lie d’amitié avec le jeune Dalai Lama, parvient à masquer son passé nazi durant des décennies et décède à l’âge de 94 ans.

Guide en 1937 de Leni Riefenstahl, la cinéaste de Hitler, l’Allemand Anderl Heckmair n’adhère pas au parti nazi. Honoré toute sa vie comme héros de l’Eiger, il meurt en 2005 à 98 ans.

Ludwig Vörg, alors brigadier dans l’armée allemande, tombe en 1941 lors de la campagne de Russie.

Fritz Kasparek rejoint pour sa part les SS après son exploit dans l’Oberland bernois, et combat en France et en Russie. Quelques années après la fin de la guerre, il fait une chute fatale à l’occasion d’une expédition dans les Andes.

Source: ATS

Exploit nazi

En 2002, Stephan Siegrist et son collègue Michal Pitelka ont reconstitué la première expédition de 1938, en utilisant des vêtements et des équipements d’époque. «Les chaussures étaient terriblement lourdes et douloureuse», se souvient-il, ajoutant que transporter les cordes à l’ancienne était aussi un sacré fardeau.

Pourtant c’est ainsi que les Allemands Anderl Heckmair et Ludwig Vörg, ainsi que les Autrichiens Heinrich Harrer et Fritz Kasparek ont été les premiers à conquérir la face nord de l’Eiger, il y a 75 ans, les tentatives précédentes ayant causé la mort de 9 alpinistes.

L’expédition a duré près de quatre jours, parsemée d’avalanches et de chutes. Un exploit massivement utilisé par les nazis qui venaient d’annexer l’Autriche.

Depuis lors, au moins 55 autres personnes ont été tuées en essayant de gravir la face de 1800 mètres de l’Eiger, un sommet qui culmine à 3,970 mètres.

L’une des victimes était John Harlin II, qui a chuté après la rupture de sa corde à 1300 mètres d’altitude en mars 1966. L’Américain avait tenté de tracer une voie plus directe pour gravir la face nord. Une voie qui a permis à son partenaire  écossais et une équipe de quatre Allemands d’atteindre le sommet le 25 mars. Baptisée Harlin, une nouvelle route était née.

Son fils, John Harlin III, n’avait que 9 ans à l’époque, et la perte de son père l’a à la fois hanté et inspiré. En 2005, il escalade la face nord. «Les Alpes», un film au format IMAX raconte l’histoire de sa quête. Plus récemment Harlin a produit un blog multimédia pour swissinfo.ch: Histoires de frontières.

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«L’Everest de vrais grimpeurs»

«L’Eiger a toujours fasciné les alpinistes du monde entier. C’est la plus grande paroi des Alpes (et l’une des plus hautes au monde). Mais la réputation de l’Eiger est au moins aussi importante que sa taille et sa difficulté», assure Harlin à swissinfo.ch, se référant aux incroyables histoires de réussites et d’opérations de sauvetage.

John Harlin III estime que la réputation et l’histoire de l’Eiger donne le sentiment à ses grimpeurs d’entrer dans cette légende. «Il n’y a que quelques falaises et montagnes emblématiques dont nous voulons tous faire l’expérience. La plupart ne peuvent que rêver de faire l’Eiger, mais si vous sentez que vous avez les compétences et le courage, alors vous voulez le prouver à vous-même. Pour moi, l’Eiger est l’Everest de vrais grimpeurs.»

De son coté, Stéphane Siegrist souligne le contraste entre la roche gris froid et la verdure de la campagne environnante: «C’est une grande aventure d’alpinisme et il est toujours agréable de grimper ici. Nous avons une très belle vue sur le paysage.»

24 juillet 1938 Première ascension par une équipe de deux Allemands (Anderl Heckmair et Ludwig Vörg) et deux Autrichiens Heinrich Harrer (et Fritz Kasparek) après trois jours et demi d’escalade.

12 mars 1961 Première ascension hivernale par une équipe de quatre Allemands.

3 août 1963 Le Suisse Michel Darbellay fait la première ascension en solitaire en 18 heures.

3 septembre 1964 L’Allemande Daisy Voog (avec Werner Bittner) est la première femme à atteindre le sommet par la face nord.

25 août 1981 Le Suisse Ueli Bühler le fait dans les 8 heures.

27 juillet 1984  L’Autrichien Thomas Bubendorfer atteint le sommet sans corde en 4 heures, 50 minutes.

9 mars 1992  La Française Catherine Destivelle est la première femme en solitaire. Elle met 17 heures.

12 février 2008 Le Suisse Ueli Steck établit un nouveau record: 2 heures, 47 minutes.

20 avril 2011 Le Suisse Daniel Arnold améliore le temps de Steck et achève de la montée en 2 heures, 28 minutes.

Un produit d’appel

Fredi Abegglen, le président de l’association des guides de Grindelwald, fait remarquer que tous les chalets y ont été construits pour profiter de la vue sur l’Eiger: «Si vous êtes à Grindelwald, la face nord de l’Eiger est tellement présente que c’est comme se regarder dans le miroir le matin.»

Johann Kaufmann, guide de montagne et à la tête de l’école de sports de montagne de Grindelwald, ajoute: «C’est notre USP (unique selling proposition). J’ai vu beaucoup de montagnes, mais rarement d’aussi fascinantes.» Indice que l’Eiger est une grande attraction pour les non-grimpeurs: un office du tourisme pour les visiteurs japonais a été mis en place il y a près de 30 ans.

«Ils ne viennent pas pour escalader, mais pour voir où les grimpeurs japonais comme Yuko Maki sont passés», précise Yuri Ichikawa, de la rédaction japonaise de swissinfo.ch. Yuko Maki faisait partie de la cordée qui a effectué la première ascension de l’Eiger par l’arête Mittellegi le 10 septembre 1921.

«Les Japonais ont une image de la Suisse, et c’est Grindelwald», souligne Yuri Ichikawa  expliquant que les artistes d’animation japonais qui ont réalisé le dessin animé Heidi avaient conçu leur paysage en s’inspirant de sommets de l’Eiger, du Mönch, de la Jungfrau et de la vallée de Lauterbrunnen.

Comme Heidi, je suis contente de batifoler, dans les contreforts, sur les sentiers de randonnée douce, sans le lourd équipement de grimpe et sans la peur de m’écraser au bas d’une falaise. Oui, je préfère admirer la face nord en terrain sûr.

Adapté de l’anglais: Frédéric Burnand

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