Des perspectives suisses en 10 langues

Fin de carrière pour la pierre mythique d’Unspunnen

Shawne Fielding s’est défaite de son imposant cadeau. Keystone

On ne sait pas qui de Shawne Fielding ou de la pierre d'Unspunnen profitera le plus de la célébrité de l'autre. Mardi, l'ambassadrice d'Expo.02 avait, en tout cas, beau jeu de rendre l'encombrant caillou aux gymnastes d'Interlaken. Qui le vénéreront désormais, à défaut de s'en servir pour montrer leurs muscles.

Trois jours après avoir été offerte emballée de papier de fête à une noble dame tout de rose vêtue, la pierre d’Unspunnen, portée disparue depuis 1984, a été ramenée mardi à son domicile de l’Oberland bernois par deux agents en civil de la police jurassienne. L’image de Shawne Fielding rendant le gros bijou à ses propriétaires vaut son pesant de granit.

L’épouse de l’ambassadeur de Suisse en Allemagne Thomas Borer a dû s’en poser des questions, samedi soir, lorsqu’elle a déballé cet inattendu cadeau de 83 kilos et quelques grammes. On n’a pas de peine à imaginer son mari lui racontant avec force détails quelques épisodes d’Histoire suisse.

Comment comprendre, en effet, la portée de l’événement-surprise du dernier Marché-Concours des Franches-Montagnes sans remonter à 1315 et à la bataille de Morgarten où les troupes confédérées s’étaient débarrassées de leurs ennemis autrichiens en faisant dévaler sur eux les plus gros rochers de la colline?

Comment comprendre aussi ce qui, voici dix-sept ans, a poussé une poignée d’irréductibles autonomistes jurassiens à mettre la main sur cet objet de culte sportif, emblème permanent de la mythologie alpestre et de la force de frappe helvétique, et d’en faire l’enjeu d’un chantage politique jusqu’au jour hypothétique de la réunification de leur canton?

Objet bien identifié et récupérable

Toute cette lourde symbolique explique pourquoi, passé l’étonnement de Shawne Fielding, tout le monde s’est empressé de donner son avis, à commencer par la Société de gymnastique d’Interlaken pressée de récupérer son précieux trésor, mais freinée par quelques procédures policières visiblement improvisées.

Les faiseurs de ponts d’Expo.02, sa directrice Nelly Wenger et son ambassadeur Jean-François Roth, ont immédiatement levé les bras, non pour s’exercer au jet de pierre (le record à battre est de 3 m 97), mais pour le V de la victoire de la convivialité nationale sur les mésintelligences cantonales.

Les organisateurs vaudois de la Fête fédérale de lutte suisse et de jeux alpestres organisée dans dix jours à Nyon ont même fait le pèlerinage à Interlaken pour proposer aux athlètes oberlandais d’amener avec eux l’inestimable relique et de l’exposer ces jours-là à la vénération populaire.

Relique est bien le mot qui convient, car la pierre d’Unspunnen a perdu quelques grammes pendant ses années de cachot introuvable. Ses ravisseurs y ont gravé leur empreinte, nom et logo du Groupe Bélier. Plus une date, celle du 6 décembre 1992 où la Suisse a dit non à son entrée dans l’Espace économique européen, et une constellation d’étoiles à l’image du drapeau européen.

Le dilemme de l’helvétiquement correct

Règlement sportif oblige, les cinquante lanceurs sélectionnés pour le concours de Nyon ne pourront donc pas utiliser la pierre originale puisqu’elle n’a plus le poids requis. Ils devront, une fois encore, faire avec sa copie utilisée depuis le rapt du 3 juin 1984.

Rien, en principe, ne devrait empêcher plus tard une révision des règles de cette compétition authentiquement suisse. Cependant, on voit mal ses promoteurs accepter les décorations supplémentaires dont leur caillou est désormais garni. A moins de le passer au fraisage, ce qui le ferait encore maigrir.

Les détenteurs de la tradition vont donc devoir se pencher sur un nouveau dilemme quasi shakespearien: la pierre d’Unspunnen restera-t-elle en l’état, définitivement condamnée à l’ennui du musée oberlandais? Ou va-t-on lui refaire une beauté capable de doper plus que jamais l’ardeur des athlètes patriotes?

Le Bélier honteux et confus

Pendant ce temps, du côté du Jura, les Béliers et leurs sympathisants ont le rire jaune. Eux qui n’affichent aucune sympathie particulière pour l’Expo.02, bien au contraire, constatent aujourd’hui avec une certaine amertume qu’ils ont été «trahis» de l’intérieur.

Très peu de gens savaient où la pierre avait été cachée. Au fil des ans, des entrées et des sorties dans le Groupe Bélier qui est essentiellement composé de jeunes jurassiens, le secret avait été bien gardé.

Son animateur principal, Gérald Jeanneret, affirme même ignorer qui a décidé de la restituer. Voilà le genre d’humiliation dont il se serait sans doute passé, lui qui en novembre 2000, écrivait aux gymnastes d’Interlaken pourquoi leur pierre ne leur serait pas rendue.

Il aura tout loisir maintenant de méditer sur quelques-unes des pages où Philipp-Albert Stapfer, ancien ministre de la République helvétique, décrivait en 1812 le jeu du lancer de pierre des pâtres d’Unspunnen. Et qui en concluait que «la vie coule dans ces vallées comme les rivières qui les traversent, ce sont des ondes nouvelles, mais qui suivent le même cours».

Bernard Weissbrodt

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision