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Le sport-business va souffrir de la crise financière

A Lausanne, Me Jean-Philippe Rochat et Sergeï Aschwanden (à droite) se sont exprimés sur les relations entre affaires et sport. Olivier Grivat

Le monde du sport est devenu un business avec des revenus aussi mirifiques que les bonus des banquiers. C'est le constat tiré vendredi à Lausanne par le 8e Forum économique rhodanien. Dans ce contexte globalisé, le sport va souffrir à son tour de la crise.

«Le sport est de plus en plus un business avec des enjeux qui se chiffrent en centaines de milliards», estime le professeur Wladimir Andreff, de l’Université de Paris 1 à la Sorbonne.

Orateur-vedette du 8e Forum économique rhodanien dans la «Ville olympique», le professeur ès sciences économiques est l’un des auteurs d’un rapport destiné aux ministres des 27 pays de l’Union européenne (UE) et qui porte sur les incidences financières du sport. «Des pays les plus pauvres comme la Bulgarie aux plus riches comme la France, chaque Européen dépense entre 15 centimes d’euros et 406 euros par habitant et par an. Le sport amateur représente 90% des dépenses, celui du monde professionnel seulement 10% du tout», déclare-t-il.

Jusqu’à 23 naturalisés

Dans cette «mondialisation du sport», le football vient en tête avec 230 milliards d’euros, tandis que le «marché mondial du dopage» totalise 6 milliards d’euros.

Cette concentration d’argent sur les pays les plus riches ne va pas sans poser de problèmes, analyse le professeur français. «Dans l’équipe de football Chelsea, il est arrivé qu’on trouve onze joueurs non-britanniques. C’est l’une des raisons pour laquelle l’Angleterre ne s’est pas qualifiée pour l’Euro 2008. L’équipe olympique française n’est pas en reste: elle a compté jusqu’à 23 naturalisés!», souligne Wladimir Andreff.

Plus que l’industrie horlogère

Pour le professeur Jean-Loup Chappelet, directeur de l’IDHEAP à Lausanne, le sport génère en Suisse plus de 80’000 emplois (1,8% du PIB), soit plus que l’industrie horlogère. Viennent en tête des activités sportives le cyclisme devant la randonnée, la natation et le ski alpin. «Quand on leur pose la question, 72% des Suisses âgés de 10 à 74 ans assurent exercer une activité sportive», explique Jean-Loup Chappelet.

Cette passion pour tout ce qui touche au sport influence évidemment un média comme la télévision. Gilles Marchand, le directeur général de la TSR, voit ses budgets constamment influencés par l’accroissement des droits de télévision (100 millions par an). «Pour la couverture des grands événements sportifs, on a affaire aujourd’hui à des sociétés qui jouent les intermédiaires, assistées par des bataillons d’avocats», déclare-t-il.

Un poisson et des requins

L’UEFA a vendu les récents championnats d’Europe avec une couverture des matches livrée clef en main. «On n’est parfois plus maître du jeu, regrette Gilles Marchand. Il faut sans cesse se battre pour conserver notre indépendance journalistique, au risque de voir nos commentateurs sportifs porter un jour la casquette d’un sponsor.»

Cette manne publicitaire sur les sports les plus médiatisés (football, cyclisme ou Formule1 ) ne touche guère les champions qui se battent dans l’ombre, comme le médaillé de bronze des JO de Pékin, le Lausannois Serguei Aschwanden.

«Je suis un petit poisson qui a parfois peur de se mêler à ce monde de requins, a indiqué le champion. Mais le judo a 20 ans de retard par rapport à d’autres sports. J’ai parfois l’impression d’avoir plus affaire à des mécènes qu’à des sponsors, mais j’arrive à survivre, analyse le sportif vaudois qui songe à la retraite. Ma médaille de Pékin a quand même changé ma vie. Je côtoie un monde un peu différent. J’ai atteint l’objectif qui me manquait, mais cela n’a pas vraiment modifié ma situation financière.»

La fin des gros bonus

Si le sport est devenu un business comme un autre, l’arrivée de la crise financière n’ira pas sans conséquences. Les gros revenus des sportifs vedettes risquent d’être fortement remis en question, tout comme les gros bonus des banquiers. «Il est quasi-certain que des sponsors comme UBS ou Audemars-Piguet ne repartiront pas dans la prochaine Coupe de l’America au côté d’Alinghi, avance Me Jean-Philippe Rochat.

Pour l’ancien secrétaire général du Tribunal arbitral du sport, à Lausanne, il est clair que la crise économique va influencer le monde du sport. Comparer les bonus des banquiers avec les revenus des grands sportifs n’est pas tout à fait juste, relativise l’avocat lausannois. Quand les grands champions perdent, ils ne repartent pas avec des millions dans leurs valises!» Me Rochat reconnaît que le sport génère aussi pas mal d’emplois dans le monde judiciaire.

Le Tribunal arbitral du sport emploie à Lausanne vingt personnes à plein temps et rend 250 sentences arbitrales: transferts de joueurs, accidents de sport, contrats de télévision ou recours concernant des fédérations sportives. «On vit dans un monde où les intérêts financiers sont très importants. Il y a toujours plus de litiges et donc toujours plus de travail pour les juges», conclut Me Rochat.

swissinfo, Olivier Grivat

Le sport a engendré un marché qui se monte en centaines de milliards, comptabilise le Belgo-Suisse André Gorgemans. Pour l’ancien secrétaire de la Fédération mondiale de l’industrie du sport (World Federation of sporting goods Industry – WFSGI), ce pactole représente 278 milliards de dollars (300 milliards de francs).

Le produit-phare est celui du vêtement sportif avec 123 milliards de dollars devant les équipements sportifs (67 milliards), les chaussures de sport (56 milliards) et le vélo.

Dans l’ordre d’importance, les marques Nike, Adidas et Puma se partagent la part du lion. «Mais il paraît évident que le marché va subir un phénomène de concentration à l’instar de l’automobile, qui comptait 40 à 50 marques il y a trente ans et qui ne compte plus qu’une dizaine de groupes, comptabilise cet ancien dirigeant d’Adidas. Les petits ne survivront pas», prédit André Gorgemans.

Les secteurs de la recherche et de la technologie vont profiter des retombées financières. «Des laboratoires effectuent des recherches pour avancer dans les domaines de l’hygrométrie, de l’altitude et des phénomènes vibratoires», estime Claude Stricker, directeur exécutif de l’Académie internationale des Sciences et Techniques du sport (AISTS), à Lausanne.

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