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Des fours solaires pour sauver les forêts malgaches

La cuisine à l’énergie solaire se répand peu à peu à Madagascar, même si les résistances sont nombreuses. swissinfo.ch

Chaque année, 200'000 hectares de forêt disparaissent à Madagascar, conséquence de l’utilisation intensive du bois de chauffe et du charbon pour la cuisine. Afin de lutter contre ce phénomène, une organisation suisse s’est lancée dans la production semi-industrielle de fours solaires.

Tout au long des 1000 kilomètres de la Route nationale 7, qui relie la capitale Antanarivo à Tuléar, principale ville du sud-ouest, les mêmes paysages décharnés s’offrent aux yeux des voyageurs. Pas une forêt en vue. Seuls quelques arbres isolés, reliquats de la luxuriance passée de Madgascar, semblent attendre un même destin: coupés et transformés en bois de chauffe ou en charbon, ils seront vendus par sac entier au bord de la route aux taxi-brousse de passage.

Depuis 20 ans, un million d’hectares de forêt auraient ainsi été détruits à Madagascar. Déforestation et pillage de bois précieux  – bois de rose et ébène notamment – ont encore été accélérés depuis la crise politique de 2009 et le changement de régime. La Grande Ile ne compte plus que 10% de ses forêts d’origine. A ce rythme-là, la couverture forestière aura totalement disparu dans 50 ans.

Autrefois surnommée l’île verte, Madagascar est en passe de devenir un «second Sahel». Désertification, érosion des sols, manque d’eau et disparition annoncée d’une biodiversité unique sont les principales conséquences de cette déforestation sauvage.

Créée en 2001, l’Association pour le Développement de l’Energie Solaire (ADES) produit environ mille fours solaires et 5000 foyers améliorés par année à Madagascar. Elle emploie une centaine de collaborateurs sur ses quatre sites de production répartis sur la Grande Ile.

Construction. Les fours solaires permettent d’atteindre des températures de cuisson jusqu’à 150 C, idéales pour la cuisson des légumes ou des gâteaux. Ils sont conçus avec des panneaux en fibre durs de type isorel, sur lesquelles est apposé un double vitrage ainsi qu’un couvercle réflecteur. Le contenant est lui composé de déchets d’imprimerie métallique.  La plupart des matériaux sont importés de Suisse par container.

Certificats. Le financement est encore en partie assuré par des dons privés. D’ici deux à trois ans, les certificats CO2 rachetés par la fondation suisse «myclimate», qui fait partie des leaders mondiaux en matière de compensation volontaire de carbone, devrait permettre à l’organisation d’assurer son indépendance financière. Chaque four solaire permet en effet d’économiser 2,5 tonnes d’émission de CO2 par année.

Objectifs. Outre la protection des forêts et du climat, l’organisation a pour objectif de lutter contre la pauvreté en créant de nouvelles places de travail ainsi que de renforcer les réseaux féminins avec la mise sur pieds de programmes éducatifs.

Prix. La fondatrice de l’organisation, Regula Ochsner, a reçu l’an dernier le prix Brandenberger, doté de 200’000 francs, pour son engagement sans faille envers la préservation des ressources naturelles et son utilisation novatrice de l’énergie solaire à Madagascar.

Pas pour le plaisir

Quant aux causes, elles sont surtout à chercher du côté de la situation économique et démographique que connaît Madagascar depuis son indépendance en 1960. La population a quadruplé, passant de 5 à 20 millions d’habitants, sans que le développement ne suive. Aujourd’hui, trois Malgaches sur quatre vivent sous le seuil de pauvreté. Brûler des hectares de forêt pour y faire pousser du riz est un moyen de survie comme un autre.

Facile d’accès et longtemps gratuit, le bois est surtout utilisé à large échelle pour les besoins de combustion domestique. «80% du bois coupé à Madagascar sert à cuire les aliments», explique Otto Frei, coordinateur de l’organisation non gouvernementale suisse ADES, qui fabrique depuis dix ans des fours solaires sur la Grande Ile.

«Les Malgaches ne coupent pas le bois pour le plaisir, précise Otto Frei. Dans la région de Tuléar, trois années de sécheresse et la faillite de l’industrie du coton ont poussé de nombreux agriculteurs à se tourner vers l’exploitation du charbon pour survivre. C’est pour cela qu’il est indispensable de développer d’autres moyens de production d’énergie», soutient Otto Frei.

Résistances

A Tuléar, c’est tout naturellement vers le soleil que se sont tournés les yeux de Regula Ochsner, fondatrice de l’organisation, lorsqu’elle a débuté son action en 2001. Avec 300 jours de beau temps par année, à raison d’un minimum de six heures d’ensoleillement par jour, la région offre des conditions idéales pour l’exploitation de l’énergie solaire.

Depuis sa création, l’ONG a déjà vendu plus de 6000 fours solaires à destination de ménages ou d’établissements scolaires malgaches. La production a aujourd’hui atteint un niveau semi-industriel et se répartit dans divers endroits du pays. Pour régater avec le prix du bois et du charbon, les fours solaires sont vendus 35’000 Ariary (environ 15 CHF) l’unité, soit moins de 20% de leur coût réel de production.

Mais même à ce prix-là, le succès n’est pas garanti. «La cuisson est bien plus lente et les aliments sont moins bons», claironnent en chœur les trois cuisinières de l’école des Salines de Tuléar. L’établissement est un partenaire d’ADES et dispose de trois fours solaires. Mais à l’heure du repas, alors que le soleil est à son zénith, ceux-ci sont soigneusement rangés dans la remise. En revanche, les trois fourneaux flambant neufs, alimentés au bois, fonctionnent à plein régime. «Ca prend beaucoup trop de temps de préparer à manger pour 350 enfants avec les fours solaires. De plus, à chaque passage nuageux, la cuisson est mise en péril», affirment-elles.

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Rentable à long terme

Les responsables d’ADES le reconnaissent: les habitudes culturelles représentent le principal obstacle à la réussite du projet. «C’est pour cela que nous procédons à un suivi régulier des ménages qui ont acquis un four solaire. Nous comptabilisons entre 15 à 20% d’échec, souvent dus à une mauvaise utilisation du four», explique Anatolie Razafindrafeno, d’ADES. Quant au goût, il serait en fait bien plus proche des aliments de base grâce à la cuisson solaire. «Mais tout le monde a pris l’habitude de manger des denrées trop cuites», regrette-t-elle.

Le four solaire ne permet cependant pas de préparer le ranovola, cette eau de cuisson du riz légèrement brûlée qui accompagne les repas malgaches traditionnels. Ni certains plats grillés à base de viande ou de poisson. Pour pallier à cela, ADES s’est lancé l’an dernier dans la fabrication de foyers améliorés, qui permettent de réduire de 50% la consommation de charbon. «Nous en avons déjà vendu 5000 et nous n’arrivons pas à satisfaire la demande, se félicite Anatolie Razafindrafeno. Ce sont surtout les petits restaurants qui sont preneurs, car ça leur permet d’économiser beaucoup de charbon».

Paradoxalement, la déforestation croissante devient une alliée de l’organisation. Le bois se fait de plus en plus rare et le prix du charbon explose. L’an dernier, un sac coûtait 6000 Ariary (environ 2,50 CHF), il en vaut 8000 aujourd’hui. Le prix est même monté jusqu’à 15’000 Ariary durant la saison des pluies.

Assez de temps?

Au fil du temps, ADES a diversifié ses activités liées à l’énergie solaire, pour devenir l’une des organisations majeures de la Grande Ile en la matière. Les employés du centre de Tuléar planchent par exemple sur un four solaire équipé de panneaux photovoltaïques permettant de brancher la radio ou de recharger les téléphones portables. Les paraboles solaires, qui permettent de griller des aliments à 600 C (150 C pour le four solaire), sont également en vogue.

ADES s’est fixé pour objectif d’équiper une grande partie de la population du sud de Madagascar d’ici 2030. «Nous ne sommes qu’une goutte d’eau dans un océan, concède toutefois Otto Frei. Nous espérons agir comme une sorte de détonateur, mais il faudrait des projets beaucoup plus grands pour sauver les forêts malgaches. Aura-t-on suffisamment de temps devant nous?»

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