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Fukushima: «une tragédie humaine»

Les agriculteurs Satoshi Nemoto (gauche) et Walter Ramseier à proximité de la centrale de Mühleberg. swissinfo.ch

Une année après la catastrophe nucléaire de Fukushima, Greenpeace a invité des Japonais en Suisse pour témoigner du drame. L’organisation écologiste entendait ainsi donner «un visage humain» à la catastrophe.

Le paysage ne pourrait être plus idyllique. Nous nous trouvons au bord de l’Aar, dans la lumière du soir, et le fleuve s’écoule paisiblement à nos pieds. Mais juste en face se dresse la centrale nucléaire de Mühleberg, 40 ans d’âge. Le centre de Berne se trouve à environ 13 kilomètres.

«Je suis étonné que nous puissions nous trouver si près d’une centrale», relève Satoshi Nemoto, un ouvrier de la construction âgé de 55 ans et habitant dans la région de Fukushima. «Au Japon, la police serait déjà arrivée.»

Discutant avec l’agriculteur biologique Walter Ramseier, Satoshi Nemoto lui explique que son entreprise, située dans la ville de Nihonmatsu, se trouve à 60 kilomètres de la centrale de Fukushima Daiichi. Les deux hommes s’accordent pour dire que la proximité est un concept très relatif.

Satoshi Nemoto et Yuko Nishiyma, traductrice et professeure d’anglais, ont été invités en Suisse par Greenpeace. Ils participent à plusieurs manifestations destinées à informer les Suisses sur la situation au Japon, une année après le tsunami.

«Une catastrophe nucléaire est toujours, en premier lieu, une tragédie humaine. C’est ce que nous avons voulu montrer en invitant des personnes touchées par le drame», explique Franziska Rosenmund, porte-parole de Greenpeace Suisse.

Riz irradié

Avant mars 2011, Satsohi Nemoto cultivait aussi du riz, des légumes et des kakis. Mais il ne peut plus vendre son riz depuis que Fukushima a laissé échapper ses dangereuses fuites radioactives et n’en cultive plus que pour ses propres besoins.

A Nihonmatsu, des valeurs supérieures à 500 becquerels, l’unité de mesure de l’irradiation, ont été mesurées. «Même si le riz n’était pas touché, les consommateurs n’achèteraient plus de produits de ma région», affirme le Japonais.

Walter Ramseier connaît ce problème. Son domaine ne se trouve qu’à un kilomètres à vol d’oiseau de Mühleberg. «Lorsque les gens ont appris qu’il y avait des légumes bios à côté d’un réacteur, ils ont secoué la tête et déclaré que ce n’était pas compatible. Cela nous a coûté de l’argent.»

Autrefois, on croyait davantage dans la sécurité des installations. «Aujourd’hui, j’ai de plus en plus peur», affirme l’agriculteur de 68 ans, qui est passé au bio en 1979 déjà. Surpris que deux des 54 centrales japonaises soient encore en service, il est convaincu que l’heure est venue de passer à d’autres sources d’énergie.

Obtenir des dédommagements

Un changement d’attitude que Satoshi Nemoto appelle aussi de ses vœux. Président de l’association locale des paysans «Nomiren Fukushima», il se bat pour que les agriculteurs obtiennent des dédommagements. C’est lui qui les représente auprès des autorités.

Les agriculteurs touchés par les irradiations doivent eux-mêmes changer de mentalité, selon lui. «Les champs contaminés pourraient être utilisés pour la production d’énergies renouvelables. Nous ne devons pas revenir en arrière, mais penser à l’avenir, affirme Satoshi Nemoto. Ce changement me fait même plaisir!»

Satoshi Nemoto ne croit pas que la mise hors service des centrales nucléaires pose des problèmes au Japon. Depuis 2006, l’archipel voit sa population reculer. Les besoins en énergie diminuent. Fukushima est aussi une chance, selon lui. La catastrophe montre la voie pour vivre dans une société «intelligente».

La Suisse intéresse particulièrement Satoshi Nemoto, parce que le pays a décidé de sortir du nucléaire peu de temps après Fukushima, ce qu’il salue. Il espère que la Suisse envoie au Japon un signal fort: «énergie nucléaire et humanité – cela ne va pas ensemble.»

Mais lui aussi, avant la catastrophe, croyait en la «sécurité absolue» de la technologie nucléaire, telle qu’assurée par les autorités de son pays. «Elles se sont révélées totalement impuissantes. Personne ne savait ce qui se passait dans le réacteur». Pour Satoshi Nemoto, désormais, une chose est sûre: «l’énergie nucléaire n’est pas contrôlable».

«Evacués volontaires»

Yuko Nishiyama fait partie des «évacués volontaires» de Fukushima. Elle ne vivait pas dans la zone aujourd’hui interdite de 20 kilomètres autour de la centrale mais a toutefois décidé de quitter la région avec sa petite fille de deux ans, Mariko.

La décision a été difficile à prendre. «Nous n’avions pas assez d’informations, raconte-t-elle. J’ai dû m’imposer contre les recommandations de mes parents, de mon mari et du gouvernement.»

Comme elle, la plupart des personnes évacuées sont des mères inquiètes pour la santé de leurs enfants. En décembre dernier, Yuko Nishiyama a créé l’organisation «Minna no te» («toutes les mains») pour aider les personnes ayant fui la région de Fukushima.

Une heure par jour de jeux à l’extérieur

Yuko Nishiyama et sa fille peuvent loger gratuitement dans un appartement de l’ancienne ville impériale jusqu’en juin 2013. Mais elle ne sait pas ce qui se passera ensuite. «Je veux vivre avec mon mari, mais dans un endroit sûr», dit-elle. Selon elle, une vie normale à Fukushima n’est plus imaginable. «Les enfants n’osent jouer dehors qu’une heure par jour et il faut laver leurs habits quand ils rentrent.»

Son mari ne voulant pas quitter son travail à l’est du Japon et elle souhaitant s’établir à l’ouest, Yuko Nishiyama a donc «un problème de famille». Mais, pour le moment, son mari travaille à Tokyo, à 250 kilomètres de la centrale détruite. «Il ne risque donc rien», lui font remarquer ses interlocuteurs. «Parce que vous pensez que Tokyo est en sécurité?», rétorque-t-elle.

«Avant Fukushima, il y déjà eu beaucoup d’accidents, affirme-t-elle. Les responsables n’ont jamais fourni d’explications, mais ils ont essayé de camoufler ce qui se passait.» Elle a toujours été sceptique vis-à-vis des centrales nucléaires et de la société d’exploitation Tepco. «En même temps, je suis Japonaise; je ne croyais pas pouvoir changer la situation.»

Mais elle veut transmettre la leçon qu’elle a retirée de la catastrophe et le dire bien haut aux enfants suisses: «Vous devez savoir ce qui s’est passé à Fukushima. Aujourd’hui, je sais que même les enfants peuvent changer le monde!»

La dimension de la catastrophe nucléaire de Fukushima fait souvent oublier l’énorme souffrance de milliers de familles touchées par le tremblement de terre surla côte est de l’île principale du Japon, Honshu.

Plus forte secousse sismique jamais enregistrée au Japon, le tremblement de terre du district Tohoku, sur la côte de Sanriku, est survenu le 11 mars 2011 à 14h46, heure locale, avec une magnitude de 9 sur l’échelle de Richter.

Le tsunami provoqué par la secousse a dévasté des dizaines de villages et de villes, tuant 15’000 personnes. Les corps de milliers d’autres habitants n’ont jamais été retrouvés.

Le tsunami a aussi touché de plein fouet la centrale nucléaire Fukushima I. Le refroidissement des réacteurs s’est arrêté. Le soir même, des barres de combustible ont commencé à fondre.

Le 12 mars, une première explosion a eu lieu dans le réacteur I. D’autres explosions ont suivi les jours suivants, dans les réacteurs 2 et 3. Tous trois ont subi une fusion partielle ou complète, selon les versions, de leur cœur.

Après avoir hésité, les autorités ont finalement décidé d’évacuer 150’000 personnes habitant dans un périmètre de 20 kilomètres autour de la centrale.

La zone est aujourd’hui encore interdite. Près de 80’000 personnes n’ont plus pu retourner chez elles.

Greenpeace a invité deux Japonais de la région de Fukushima à séjourner en Suisse pendant une semaine.

Les deux invités ont participé à diverses discussions publiques à Genève, Berne, Langenthal, Langnau et Wohlen bei Bern (à proximité de la centrale de Mühleberg) et visité des écoles.

Les deux citoyens japonais ont aussirencontré des représentants des autorités de surveillance nucléaire de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) et la vice-présidente du Conseil national, l’écologiste bâloise Maya Graf.

(Traduction de l’allemand, Ariane Gigon)

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