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Garantir l’accès à Gaza est une urgence

Keystone

Responsable de l'aide humanitaire suisse, Toni Frisch estime que l'accès à Gaza pour distribuer secours et produits médicaux y est actuellement le problème le plus grave. Il décrit le territoire comme une prison.

Chef du corps suisse d’aide humanitaire (CSA) de la Direction du développement et de la Coopération (DDC), Toni Frisch est rentré dimanche dernier de sa visite à Gaza.

Swissinfo l’a interrogé par téléphone alors qu’il se trouvait dans la vallée du Jourdain. Selon lui, il est difficile pour l’heure d’estimer l’étendue des dégâts collatéraux résultant du lourd bombardement israélien du mois de janvier.

L’Etat juif a été accusé d’avoir déployé des forces disproportionnées pour un conflit de 22 jours qui a tué entre 1200 à 1300 Palestiniens. Israël a rétorqué en disant que des combattants du Hamas se cachaient parmi les civils et que l’organisation islamiste se servait des écoles et des mosquées comme bases pour attaquer Israël.

swissinfo: Pouvez-vous décrire ce dont vous avez été témoin à Gaza?

Toni Frisch: Je n’étais guère surpris de ce que j’y ai vu, surtout après avoir entendu, lu et pris connaissance des informations de notre équipe. Je suis dans l’humanitaire depuis 30 ans. Des désastres, des crises et de situations très dramatiques, j’en ai vus beaucoup. Naturellement, il y avait toujours des dégâts, beaucoup de tués et de blessés.

swissinfo: Quelle sont vos observations?

T.F.: Les gens admettent d’une certaine manière qu’il y a eu des attaques et des raids aériens. Mais ils ne peuvent ni comprendre l’ampleur des dégâts collatéraux, tant dans les écoles que dans les grandes surfaces, ni le fait que les hôpitaux aient été affectés qu’il y ait eu tant de civils tués. Il leur est aussi difficile d’accepter que les programmes d’agriculture aient été menacés. Naturellement, les chars et les bulldozers ont traversé les champs et les fermes.

Le problème le plus sérieux a toujours été celui du passage. La situation de la bande de Gaza est telle que la population se trouve comme dans une prison. Ils n’ont aucune liberté de mouvement. Depuis une année et demie, aucun bien nécessaire au quotidien n’a pu y circuler. L’accès aux secours et aux médicaments n’a pas été accordé et les gens n’en ont pas compris la raison.

Nous avons eu le privilège de faire entrer notre aide, mais beaucoup d’autres ont dû attendre, jour après jour, pour acheminer leurs aides. C’est là le problème le plus sérieux.

swissinfo: Vous avez dit avoir été choqué par les dégâts dans le domaine agricole et dans les écoles à Gaza. Jusqu’où vont les capacités de l’administration du Hamas à organiser un processus de reconstruction ?

T.F.: Je peux vous dire que tous ces programmes sont entièrement indépendants du gouvernement local ou de l’autorité politique responsable ou de qui que ce soit – fût-ce le Hamas. Ce n’est pas – comme les gens le croient ou que les journalistes le pensent – que nous sommes en train d’apporter de l’argent ou de l’aide «aux terroristes», comme l’a écrit un journal suisse.

Nous avons notre propre réseau de distribution, ainsi que des spécialistes et des collaborateurs locaux depuis de nombreuses années. Nous collaborons avec l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) et avec le Comité international de la Croix-Rouge (CICR). De plus, nous avons un réseau de centaines de personnes et nous pouvons identifier précisément où va l’aide alimentaire.

Les projets de réparation et de reconstruction seront organisés dans l’avenir pour éviter ce genre de danger. Les gens croient que l’aide humanitaire s’apprend aujourd’hui et que le lendemain on devient un spécialiste. Ce n’est pas du tout le cas. C’est aussi un métier. Beaucoup trop de gens s’imaginent que l’humanitaire consiste juste à donner quelque chose de bon cœur. Or, c’est insuffisant.

swissinfo: L’aide humanitaire de l’ONU fournie à Gaza a été stoppée au cours de ce mois après que le Hamas s’en soit saisie. Comment réussissez-vous à opérer de manière autonome tout en maintenant la relation avec le Hamas qui est le gouvernement élu à Gaza ?

T.F.: C’est évident que beaucoup d’organisations et de gouvernements sont réticents à coopérer complètement. S’ils le font, ils sont critiqués et c’est un problème. Finalement, chaque gouvernement décide pour lui-même de la meilleure façon de faire.

Nous avons notre propre manière de procéder: nous avons une vision claire de comment nous voulons agir. Pour la Suisse, que nous soyons dans la phase de réparation ou celle de la continuation de projets en cours actuellement, je ne vois aucun problème. Et je peux vous dire que rien ne tombe entre de mauvaises mains.

A la conférence de Sharm el Sheikh, le débat tournait autour de deux sujets : l’aide humanitaire, les premières réparations et la reconstruction. Mais cela ne sert à rien de parler de réparation d’urgence tant qu’on ne peut même pas faire entrer du ciment en quantités suffisantes. Le problème le plus sérieux, c’est de donner un accès libre aux biens de première nécessité au quotidien.

swissinfo: A supposer qu’il y ait un accès libre à un certain endroit. Quel est l’investissement nécessaire pour élever le standard de vie à la hauteur des voisins arabes ?

T.F.: Je ne sais pas. Franchement, ce sont des questions politiques. Elles doivent être soulevées pendant la conférence et on doit trouver des solutions pratiques et bien entendu faciliter l’accès… au moins à une quantité suffisante de camions pour que les dommages causés aux maisons, aux hôpitaux et aux écoles puissent être réparés. C’est absolument fondamental que cela soit fait.

swissinfo: Voyez-vous Gaza devenir indépendant de l’aide humanitaire dans un avenir proche? Son administration être capable de pourvoir aux besoins de sa population ?

T.F.: J’espère qu’ils sont indépendants. Pour le moment, je dirais que ces gens ne sont pas du tout intéressés par l’aide humanitaire. Ils veulent avoir un accès à l’extérieur et ils veulent avoir les biens dont ils ont besoin pour leur vie normale et pour reconstruire. Ils veulent que les enfants puissent aller à l’école, que les patients aient la possibilité d’être traités dans les hôpitaux.

Mais je peux vous affirmer que dès que la situation redeviendra normale, l’aide humanitaire ne sera probablement plus nécessaire. Peut-être occasionnellement, bien sûr, mais pas d’une manière générale.

A l’heure actuelle, au moins 50%, ou même 70%, de la population de la bande de Gaza dépend d’opérations de secours et de biens apportés de l’extérieur. C’est une situation de détresse absolue et un désastre.

swissinfo: Pensez-vous que le Hamas soit en position de fournir ces services? A-t-il la capacité administrative de le faire, avec un personnel qualifié?

T.F.: Je ne peux pas répondre à cette question. C’est purement hypothétique. En tous les cas, quels que soit les responsables ou l’autorité dans la bande de Gaza, ils doivent viser le retour à une situation plus ou moins normale. Si tel n’est pas le cas, personne ne pourra se dire indépendant et personne ne pourra organiser cette partie du pays.

Interview swissinfo, Justin Häne
(Traduction de l’anglais, Sima Dakkus)

27 décembre 2008: Israël lance des bombardements aériens sur Gaza.

3 janvier 2009: l’armée de terre israélienne pénètre dans la bande de Gaza.

8 janvier: l’ONU appelle a un cessez-le-feu immédiat en vue du retrait israélien.

16 janvier: accord entre les Etats-Unis et Israël portant notamment sur les mesures contre l’approvisionnement d’armes et d’explosifs par le Hamas.

17 janvier: Israël proclame un cessez-le-feu unilatéral.

18 janvier: le Hamas annonce son propre cessez-le-feu, à condition qu’Israël se retire dans le délai d’une semaine. Les forces israéliennes commencent leur retrait.

Entre 1200 à 1300 Palestiniens auraient été tués lors des combats. Israël affirme avoir subi 13 pertes au total.

Géographie. Située sur la côte méditerranéenne, longue d’environ 41 kilomètres sur 12 kilomètres à son point le plus large, la bande de Gaza occupe une surface de 360 km2. Elle est bordée au nord et à l’est par Israël et au sud par l’Egypte.

Population. Elle possède une population de quelque 1,5 million d’individus, ce qui lui donne une densité de 4000 habitants par km2. Ses habitants, pour l’essentiel, sont des réfugiés ou des descendants de réfugiés palestiniens.

Occupation. En 1967, Israël a occupé le territoire et y a crée 21 colonies juives. Après les accords d’Oslo de 1993, l’autorité palestinienne a repris l’administration du pays.

Retrait. Israël s’est complètement retiré en 2005, mais a conservé le contrôle des points frontières.

Hamas. Lors des élections législatives palestiniennes en 2006, le Hamas a remporté une victoire claire. Après une lutte avec le Fatah, parti du Président palestinien Mahmoud Abbas, le Hamas a pris le contrôle de la bande de Gaza en juin 2007.

Blocus. Israël a maintenu un étroit blocus sur le territoire depuis juin 2007.

Rupture du cessez-le-feu. Les militants palestiniens ont lancé des roquettes vers le sud d’Israël, en particulier sur la ville de Sderot, proche de la frontière. Un cessez-le-feu de six mois entre les deux parties, décidé en juin 2008, n’a pas été reconduit lors de son échéance en décembre.

Blocus. Avant la conférence des donateurs prévue lundi en Egypte, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) demande la fin du blocus de Gaza imposé par Israël, comme première mesure urgente sur la voie de la reconstruction.

Cible. Le CICR demande aussi aux factions palestiniennes de cesser de viser des zones civiles en Israël et renouvelle la requête du CICR d’avoir accès au soldat israélien Gilad Shalit, détenu dans la bande de Gaza depuis juin 2006.

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