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Le «seul corps impartial» de la péninsule coréenne veille et attend

Three blue barracks - known as Conference Row - connect North Korea (visible across the street) and the South.
Trois casernes bleues - connues sous le nom de "Conference Row" - relient la Corée du Nord (visibles de l'autre côté de la rue) et le Sud. swissinfo.ch

Le contingent militaire suisse à la frontière entre la Corée du Nord et la Corée du Sud est bien conscient que la moindre erreur peut être désastreuse pour l'humanité. Les soldats restent néanmoins calmes, une force neutre dans un conflit qui est loin d'être terminé.

Depuis plus de six décennies, les soldats suisses sont basés à la frontière entre la Corée du Nord et la Corée du Sud, connue sous le nom de zone démilitarisée (DMZ). Malgré son nom, c’est en fait la zone la plus militarisée du monde. D’un côté, il y a deux millions de soldats nord-coréens et 14’000 canons d’artillerie pointés vers Séoul. L’autre camp est gardé par 600’000 soldats sud-coréens.

Réchauffement entre les deux Corée

La Corée du Nord a déclaré mardi à l’occasion des discussions bilatérales avec son voisin du Sud qu’elle enverrait une délégation aux Jeux Olympiques d’hiver de Pyeongchang en Corée du Sud, tandis que Séoul s’est dit prêt à lever certaines sanctions pour faciliter cette visite. Les 23e Jeux olympiques d’hiver se tiennent du 9 au 25 février prochain.

Les discussions se sont tenues à la Maison de la paix, située dans la partie sud-coréenne de Panmunjom, village frontalier où avait été signé le cessez-le-feu à la fin de la guerre de Corée, en 1953.

Lors de cette rencontre, la première depuis décembre 2015, Séoul a proposé la tenue d’un dialogue entre les armées des deux pays. Sud et Nord ont convenu  d’entamer des pourparlers militaires. Dans une communication conjointe, les deux Etats ont déclaré vouloir “désamorcer les tensions militaires actuelles”.

Les discussions entre les deux pays ont été proposées la semaine dernière par le président sud-coréen Moon Jae-in en réponse à une offre de dialogue du dirigeant nord-coréen Kim Jong-un. Elles ont été rendues possibles par la décision de la Corée du Sud et des Etats-Unis de repousser des manœuvres militaires conjointes. 

L’étincelle qui pourrait mener à une troisième guerre mondiale pourrait être déclenchée ici à tout moment par une erreur ou un malentendu. La récente crise nucléaire nord-coréenne a exacerbé les tensions, notamment en sachant qu’un missile atteindrait Séoul en 92 secondes. L’attitude calme des troupes professionnelles contredit l’angoisse non exprimée qui plane le long de la ligne de démarcation de 270 kilomètres séparant le Nord et le Sud.

«Business as usual»

Plusieurs soldats suisses sont ici depuis des années dans le cadre d’une mission militaire unique. Depuis 1953, un contingent suisse et suédois surveille l’accord d’armistice qui mit fin à la guerre entre la Corée du Nord et la Corée du Sud. Mais les deux pays sont techniquement toujours en guerre, car il n’y a pas de traité de paix.

«Malgré la tension accrue, nous ne sommes pas inquiets ici, déclare le colonel Beat Klingelfuss, 48 ans et natif de Zurich. Quand ma mère, mon frère et d’autres personnes de l’extérieur m’appellent, ils me demandent comment je peux rester ici au milieu d’une guerre. Mais ce n’est pas si mal. Pour nous, c’est business as usual».

Il est ici depuis deux ans. Ayant été affecté au Cachemire, en Afghanistan, au Sud-Liban et en Bosnie, il a d’autres situations difficiles à son actif. Mais servir dans la DMZ est complètement différent: «Le danger n’est pas le même. Nous sommes une toute petite partie d’un grand puzzle. En même temps, nous sommes le seul organe indépendant et impartial de la péninsule coréenne».

Faire les rondes

Les cinq soldats suisses et leurs cinq collègues suédois ont une routine fixe. Chaque jour, ils effectuent des inspections du côté sud-coréen et surveillent l’absence d’escalade militaire. Par exemple, ils contrôlent qu’aucune arme lourde n’est introduite dans la zone démilitarisée et que les exercices militaires n’ont qu’un but défensif. Parfois, ils sont impliqués dans la remise des corps de soldats nord-coréens décédés ou participent à des entretiens avec des transfuges nord-coréens.

The five Swedish (left) and five Swiss soldiers who make up the neutral force at the DMZ
Les cinq Suédois (à gauche) et les cinq Suisses qui composent la force neutre sur la DMZ. swissinfo.ch

«Nous sommes les yeux et les oreilles de la communauté internationale», dit Beat Klingelfuss, en soulignant que toutes les observations de son équipe sont rapportées à la Commission d’armistice militaire du Commandement des Nations Unies (UNCMAC) dirigée par les États-Unis.

«Dans la majorité des cas, toutes les règles sont suivies[par les deux parties]», souligne le colonel.  

Vie quotidienne

En surface, la tension militaire accrue est à peine perceptible dans la DMZ. Des bosquets d’arbres idylliques et des chants d’oiseaux entourent le camp de base suisse et suédois situé sur une petite colline, où s’ébattent également de nombreux écureuils et lapins. Chaque contingent a sa propre maison avec ses chambres privées et un salon spacieux avec piano.

Ils prennent leur repas dans une cantine commune, avec de la cuisine suisse ou suédoise toutes les deux semaines: soupe de saumon ou de pois, raclette ou viandes séchées. La base dispose également d’un gymnase récemment rénové et d’un bunker «que nous n’avons heureusement jamais eu à utiliser, raconte Beat Klingelfuss. Nous sommes comme une grande famille avec les Suédois. Nous avons beaucoup de choses en commun et nous célébrons même Noël ensemble».

Le colonel compare son environnement à celui d’une réserve naturelle, «calme et pleine de beauté» qui contraste avec la métropole de Séoul et sa base militaire américaine où les soldats suisses passent quatre nuits par semaine et la plupart des week-ends en famille. C’est la seule mission de l’armée suisse où les soldats peuvent emmener leur famille, une option qui les aide à se sentir «complètement chez eux», relève Beat Klingelfuss.

Guerre musicale

La zone démilitarisée a une autre particularité. Des haut-parleurs gigantesques du côté nord-coréen diffusent nuit et jour de la musique militaire et de la propagande sur le «Grand Leader» Kim Il Sung. La Corée du Sud réagit en diffusant de la musique pop ininterrompue sur ses propres et puissants haut-parleurs. Un cas classique de guerre psychologique.

Il est très étrange de voir comment on peut s’habituer au son, dit l’un des autres soldats suisses, le lieutenant-colonel Yiannis Locher: «Au début, c’était stressant mais au bout d’un moment, on s’ y habitue».

La table et la porte

Il est temps de marcher jusqu’au légendaire couloir de la Conférence – l’endroit où trois casernes bleues relient la Corée du Nord à la Corée du Sud et où l’accord d’armistice a été signé en 1953. La route traverse les champs par un pont bleu vif que les soldats suisses et suédois traversent chaque jour pour les inspecter.

Arrivé à la Conference Row, un soldat nord-coréen en uniforme vert foncé monte la garde de l’autre côté, regardant les gens approcher avec suspicion. Un seuil de ciment au milieu montre la frontière de facto entre les deux pays.

Une table en acajou brillant se trouve au centre de la pièce à l’intérieur de la caserne. C’est autour de cette table que les soldats suisses et suédois se réunissent chaque mardi depuis l’Armistice. A ce jour, il y a eu 3586 réunions depuis 1953, toutes avec le même ordre du jour. «La plupart du temps, les réunions sont très courtes car il n’ y a pas grand-chose à discuter», dit Beat Klingelfuss.


The letter box in the barracks shows a piece of mail for the KPA, or Korean People s Army of North Korea
La boîte aux lettres de la caserne montre un courrier pour l’APC, ou “Armée populaire coréenne” de Corée du Nord. swissinfo.ch

Avant d’ajouter: «Nous espérons que la Corée du Nord viendra un jour à nos réunions. En étant ici, j’espère que nous pourrons encourager et faciliter le dialogue qui pourrait un jour déboucher sur un accord de paix. L’accord d’armistice ne devait durer que quelques mois et nous voilà, presque 65 ans plus tard, avec la même situation. C’est incroyable».

Traduit de l’anglais par Frédéric Burnand

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