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Genève se souvient de Gallatin, son génie américain

Statue d'Albert Gallatin devant le ministère américain des Finances à Washington D.C. zVg EDA

L'ancien Secrétaire d'État au Trésor de Jefferson est né il y a 250 ans. L'occasion de rappeler le destin extraordinaire de l’émigré genevois. Et d'améliorer les relations américano-suisses?

Au cours des quatre-vingt huit années de sa vie, Albert Gallatin fut tour à tour professeur de français, agriculteur, arpenteur, marchand d’outils agricoles, député, secrétaire américain au trésor, diplomate, fondateur d’université, banquier, ethnologue. À peu près tout ce qu’un homme de génie pouvait faire dans les États-Unis du tournant des 18e-19e siècles.

Tout, sauf rédacteur de la Constitution américaine. C’est pourtant ce qu’ont retenu et écrit, il y a longtemps, les autorités genevoises, sur la plaque commémorative apposée sur la maison natale de Gallatin, au 7 rue des Granges, dans la Vieille-Ville.

Une erreur qui en dit long. Sur le léger mépris de l’Europe à l’égard de l’Amérique naissante? Peut-être. «De Gallatin, il reste peu de traces dans la cité de Calvin, ni écoles ni institutions portant son nom», remarque Fabienne Finat, qui tentera l’an prochain de réveiller l’intérêt des Genevois avec une exposition à la Bibliothèque de Genève.

Au Sénat à Paris

On peut aussi s’étonner que le récent colloque sur «L’héritage de Gallatin» n’ait pas eu lieu à l’Université de Genève, mais… au Sénat, à Paris. En présence de l’ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin et d’universitaires suisses et américains. Fabienne Finat tempère cette impression de vide: «Plusieurs colloques et autres événements jalonneront l’exposition genevoise, à partir d’octobre 2011».

Jean-Pierre Raffarin admet ne pas être un spécialiste de Gallatin. Mais il lui a trouvé toutes sortes de qualités qui feraient merveille aujourd’hui: «Préférence pour la décentralisation, fidélité aux petites gens». Et surtout la rigueur budgétaire. «Avec son intransigeance, Albert Gallatin aurait trouvé sa place aujourd’hui à Bercy, au ministère des Finances…»

Aventurier

Qui fut Albert Gallatin? Né dans une famille genevoise de bonne bourgeoisie, orphelin à neuf ans, le jeune Albert quitte clandestinement Genève à 19 ans. Destination: les États-Unis, en pleine guerre d’indépendance. Il arrive en migrant, en aventurier.

«Quand John Marshall, l’un des plus grands juristes de l’époque, lui propose de rejoindre son étude d’avocat à Boston, Gallatin préfère construire sa cabane de pionnier en Pennsylvanie», rappelle l’ambassadeur Bénédict de Tscharner, auteur d’une biographie courte mais très vivante du grand homme.

Sa maison, entourée de 180 hectares aujourd’hui transformés en parc national historique, est baptisée Friendship Hill. C’est là, après le décès de sa première femme, qu’il entame sa carrière politique.

Gallatin devient «le porte-parole de sa propre classe, celle des colons des comtés occidentaux de Pennsylvanie, note Bénédict de Tscharner. Il se fait remarquer comme orateur qui, dans un style cinglant, peut fustiger sans merci, chiffres à l’appui, toutes les extravagances des responsables fédéralistes au pouvoir: dépenses inutiles, dettes dangereuses, etc. »

Eviter les filiations simplistes

De là à considérer Gallatin comme un ancêtre lointain de la droite républicaine d’aujourd’hui, qui se bat contre le «Big Government»? «On aurait tort d’établir des filiations simplistes, estime Tscharner. Historiquement, les Jeffersoniens, dont Gallatin fait partie, sont les ancêtres de l’actuel parti démocrate. Mais Gallatin se battra contre la guerre et l’aventure extérieure, un isolationnisme qui le rapprocherait plutôt de la tradition républicaine».

Le Genevois n’est pas un doctrinaire. La preuve: quand il arrive au pouvoir dans le sillage de Thomas Jefferson en 1801, le nouveau secrétaire au Trésor participe à la consolidation du nouvel État. Il se débrouille pour réunir les 15 millions de dollars nécessaires au rachat de la Louisiane, ce qui a pour effet de doubler le territoire américain.

L’ancien «populiste» Gallatin se comporte en homme d’État. «En 1808, l’imaginatif secrétaire d’État au Trésor soumit au Sénat son remarquable rapport sur les routes et canaux, écrit l’historien Daniel Boorstin. Il s’agissait d’un plan ambitieux, élaboré avec Jefferson, qui prévoyait la création d’un réseau de voies de communication destinée à couvrir tout le territoire national.»

Et les déplacements forcés d’indigènes?

Gallatin s’opposera à la guerre contre la Grande-Bretagne de 1812. Puis il se convertit à la diplomatie: artisan de la Paix de Gand, puis ministre à Paris et à Londres. De retour chez lui, il s’intéresse aux Indiens d’Amérique et devient le premier président de la Société américaine d’ethnologie. Évolutionniste, contrairement à certains de ses confrères, il croit en l’évolution possible des Indiens vers la «civilisation». Mais que pense le Genevois des déplacements forcés d’indigènes qui se pratiquent l’époque? Aucun de ses biographes n’évoque le sujet.

«La carrière de Gallatin mériterait de nouvelles recherches historiques», note Bénédict de Tscharner, qui estime que la nouvelle biographie, en anglais, signée Nicholas Dungan, remplit sa mission mais n’épuise pas le sujet.

L’ancien ambassadeur, aujourd’hui président de la Fondation pour l’histoire des Suisses dans le monde, voudrait profiter de cet anniversaire pour améliorer les relations américano-suisses. «Elles ont subi quelques secousses ces derniers temps: peu de choses, quand on pense à tout ce qui relie les deux pays, ‘Sister Republics’», estime Bénédict de Tscharner.

Une table ronde, suivie d’un dîner de gala réunissant tout le gratin américano-suisse, sera organisée en janvier au Château de Penthes, au Musée des Suisses dans le Monde.

1761: naissance à Genève.

1780: départ clandestin pour l’Amérique.

1795-1801: député à la Chambre des Représentants.

1801-1813: secrétaire au Trésor.

1815: visite à Genève.

1824: candidat à la vice-présidence des États-Unis.

1832-1839: président de la Banque nationale de New York.

1849: décès à Astoria, Long Island.

Albert Gallatin, un Genevois aux sources du rêve américain, à la Bibliothèque de Genève, du 14 octobre 2011 au 19 mars 2012.

L’expo retracera sa vie et se penchera en particulier sur ses écrits ethnographiques et leurs acceptions dans l’histoire de l’anthropologie.

Albert Gallatin, Genevois au service des Etats-Unis d’Amérique, par Bénédict de Tscharner, éditions Infolio & éditions de Penthes.

Gallatin, America’s Swiss Founding Father, par Nicholas Dungan, New York University Press.

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