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Gilles Jobin, «chorégraphe, mais aussi activiste»

“Quantum” en répétition en octobre à Meyrin. Créée par le Suisse Gilles Jobin et l’Allemand Julius von Bismarck en 2013, alors qu’ils étaient en résidence artistique au CERN, cette pièce est un hymne à la physique des particules pour trois danseuses et trois danseurs. Keystone

Pionnier de la danse contemporaine helvétique, le Jurassien Gilles Jobin a reçu en octobre dernier le Grand Prix suisse de danse. Portrait d’un artiste «engagé dans son travail», qui considère son art comme «une mission».

Silence, on danse! Gilles JobinLien externe fait un signe de la tête pour dire que dans la salle qui jouxte le bureau où il nous reçoit, des danseurs suivent un cours. Nous sommes sur son lieu de travail, à Genève, dans ce vaste loft transformé en studio où Jobin cogite ses projets, répète parfois ses spectacles et organise des séminaires de formation consacrés à la danse bien sûr, mais pas seulement. Car son loft est aussi un espace de recherches, de rencontres et d’échanges entre physiciens, astronomes, ingénieurs électroniciens, chorégraphes et danseurs venus des quatre coins de la planète, attirés par la curiosité intellectuelle de ce Suisse qui marie avec une facilité troublante sciences et arts visuels.

Pour rendre donc hommage aux multiples talents du danseur et chorégraphe jurassien, un des pionniers de la danse contemporaine helvétique, l’OFC (Office fédéral de la culture) lui a décerné le 16 octobre dernier le Grand Prix suisse de danseLien externe. Une récompense que le lauréat voit comme une valorisation de sa mission d’artiste.

Keystone

Gilles Jobin

Né à Morges (canton de Vaud) en 1964, il est le fils d’Arthur Jobin, peintre jurassien. Il commence à danser à l’âge de 16 ans, avant de recevoir une formation classique à l’Ecole supérieure de danse de Cannes.

Comme danseur professionnel, il intègre les compagnies lausannoises de Philippe Saire et Fabienne Berger, puis celle de la Catalane Angels Magarit. A 31 ans, alors qu’il codirige le Théâtre de l’Usine à Genève, il décide de se tourner vers la chorégraphie. Dans les années 90, il s’installe à Madrid puis à Londres, ce qui lui permet d’affiner son talent. Il devient chorégraphe professionnel.

Ses premiers spectacles s’appellent «Bloody Mary», «Middle Suisse» et «Only You». Sa pièce «A+B=X», programmée au Festival de Montpellier en 1999, lance sa carrière internationale. En 2005, il revient s’installer en Suisse et y crée, entre autres, «Steak House» et «Text to Speech». La France et le Brésil sont les deux pays qui suivent le plus régulièrement son travail, bien plus que la Suisse alémanique où, déplore-t-il, «je ne suis pas assez représenté».

Activiste

«Je n’ai jamais imaginé faire carrière, mais depuis ce Prix j’y pense et je me dis que la mienne est riche et que… je ne suis plus très jeune, sourit-il. Quand je me retourne sur mon parcours, je réalise que je n’ai pas été un chorégraphe seulement, mais un activiste aussi, c’est-à-dire quelqu’un qui s’est beaucoup engagé dans son travail». En témoignent la qualité de ses pièces et l’intensité de l’effort fourni pour rester actif au niveau international. «C’est un vrai choix, une vraie mission», ajoute Jobin, très fier.

Sur ce, on lui demande s’il se considère comme ambassadeur de la Suisse dans le monde, un peu à la manière d’un Federer? Il répond, heureux: «Oui. Vous savez, avec cette relation arts/sciences, je suis passé à la vitesse supérieure. Je ne représente pas uniquement la compagnie qui porte mon nom, mais aussi le CERN [Organisation européenne pour la recherche nucléaire, sise près de Genève] dans ses projets artistiquesLien externe».

Interactions et affinités

Depuis 3 ans, Gilles Jobin est en relation avec le CERN. C’est là qu’est née en 2013 sa pièce «QuantumLien externe» qui réfléchit sur la capacité de mettre les corps humains en relation. Un thème qui chatouille les lois de la physique, à l’œuvre dans cet autre spectacle de Jobin «Spider GalaxiesLien externe», et dans «Força ForteLien externe», sa prochaine création. Gravité, attraction, fusion, scission… Des mots qui appartiennent à la science mais que Jobin exploite sur scène avec maestria, s’interrogeant sur les interactions et les affinités entre les corps des danseurs.

Cinquante représentations de «Quantum» ont été données jusqu’ici en Europe et en Amérique latine. Ce sera bientôt le tour de l’Asie, l’Inde en l’occurrence où le spectacle tournera fin novembre. Et la Russie n’est pas en reste puisque Saint-Pétersbourg accueillait en avant-première, au mois de septembre dernier, «Força Forte», avant Genève en avril prochain.

L’influence du père

Il faut remonter à l’enfance de Gilles Jobin pour savoir que ce qui influence ses goûts lui vient de son père le peintre Arthur JobinLien externe, maître de l’abstraction géométrique. «Tout petit, j’étais entouré de peintures abstraites, avoue le chorégraphe, j’ai une relation organique à la géométrie». …et à tout ce qui touche aux chiffres et aux équations, serait-on tenté d’ajouter. «A+B=XLien externe», «The Moebius StripLien externe», «Two Thousand-And-ThreeLien externe»… s’appellent ces autres pièces de Gilles qui ont elles aussi rencontré un succès international.

Il n’empêche que l’on reste parfois déboussolé face à ses spectacles, un peu comme devant un tableau de Mondrian dont la sophistication géométrique nous échappe. Comment comprendre cet art abstrait? «Justement, il n’y a rien à comprendre, répond le chorégraphe. Quand vous regardez un coucher de soleil, vous ne cherchez pas forcément à l’expliquer, chacun l’interprète comme il l’entend, selon son humeur du moment».

Des traces dans l’air

Pour cet artiste qui fit ses premiers pas de danse chez les chorégraphes suisses Philippe Saire et Fabienne Berger, «l’art en général n’est pas quelque chose de superflu. Il est, c’est tout». Une conviction qu’il partage avec sa femme, La Ribot, elle aussi danseuse et chorégraphe, madrilène. Le couple a deux garçons. «Le petit est encore à l’école, il vient parfois voir mes spectacles, confie Jobin. L’aîné, lui, est horticulteur, il ne s’intéresse pas tellement à la danse, et c’est très bien ainsi. Tous les goûts sont dans la nature».

Un spectacle de danse est éphémère. Soixante minutes de représentation, c’est plus ou moins le temps que dure une pièce. Un peintre, lui, colle à l’éternité. Les tableaux d’un grand maître vous attendront toujours dans un musée. «Finalement, la chorégraphie, telle que je la pratique, n’est pas très éloignée de la peinture, constate Gilles Jobin. A cette différence près que mon art est celui de l’instant, je laisse des traces invisibles dans l’air». 

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