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Il lâche son micro pour se mesurer aux pros du vélo

Pascal Thurnherr à l'heure de l'échauffement sur les rouleaux mis à disposition par la formation russe Katusha. swissinfo.ch

Observateur privilégié du cyclisme professionnel, Pascal Thurnherr a décidé de passer de l’autre côté de la barrière et de participer au prologue du Tour de Romandie. Une expérience qui lui a permis de mieux appréhender les efforts endurés par ces sportifs souvent accusés de tricherie.

Dans les ruelles étroites de Porrentruy, ville médiévale au nord du canton du Jura, l’ancien cycliste professionnel Bruno Boscardin a adopté la conduite sportive au volant de la voiture maculée des logos de la Radio suisse romande (RSR). Debout à la fenêtre, Gérald Granger, coach mental d’un jour, s’égosille: «Vas-y Pascal, mets tout ce que tu as, c’est maintenant qu’il faut se faire mal».

Pascal, c’est Pascal Thurnherr, journaliste sportif genevois de 43 ans. «Dans une autre vie», comme il se plaît à le dire, Pascal Thurnherr a été champion suisse de 200 mètres et quart de finaliste aux Championnats du monde d’athlétisme en 1991. En ce mardi après-midi printanier du mois d’avril, Pascal Thurnherr, couché sur son guidon, casque profilé, maillot rouge flamboyant, participe au prologue du Tour de Romandie.

Depuis un mois, Pascal Thurnherr se prépare intensément pour ces 6 minutes 30 d’effort, mais aussi de plaisir. «Je donnerais cher pour être à sa place», envie Gérald Granger alors que le speaker plaisante sur la jeunesse toute relative de l’ouvreur de la course – il s’est élancé dix minutes avant le premier coureur officiel – déjà entouré d’un public nombreux.

Légère déception

Au terme des 4,3 kilomètres d’un parcours ponctué de faux-plats et relances incessantes durant lesquels il aura concédé plus d’une minute au vainqueur du jour Marco Pinotti, Pascal Thurnherr, en ancien sportif d’élite averti, analyse sa course, sans concession. En résumé: départ un peu trop prudent, secondes éparpillées sur un faux-plat, virage mal négocié et impression générale d’être trop resté sur la réserve.

Bruno Boscardin, le coach qui l’a accompagné durant toute la préparation, est beaucoup moins sévère. «Je lui tire un grand coup de chapeau. Il a été très régulier et n’a pas commis d’erreurs techniques flagrantes. En plus, il a fait preuve d’un mental d’enfer dans la dernière côte».

En relevant le défi, «né comme beaucoup de paris à l’heure de l’apéro», Pascal Thurnherr voulait avant tout concrétiser le rêve de chaque cyclotouriste, mais aussi prendre part de l’intérieur à l’unique événement qui possède «une véritable identité romande», et auquel télévision et radio publiques de langue francophone sont très intimement associées.

Comprendre de l’intérieur

Le pari de Pascal Thurnherr s’inscrit toutefois dans une démarche plus large. «Comment est-ce possible de faire de tels efforts et de remonter sur un vélo le lendemain?», s’est souvent demandé le Genevois, qui couvre régulièrement des épreuves du calendrier cycliste international, le Tour de France notamment. Cette question, beaucoup de quidams se la posent également en regardant les forçats de l’asphalte enchaîner chaque été, jour après jour, les cols les plus difficiles des Alpes.

«Ca ne me suffisait pas de tenter de comprendre intellectuellement ce qu’il se passait dans le peloton. J’avais envie de savoir ce que les coureurs ressentaient physiquement. Il y a deux ans, je me suis donc mis à la pratique intensive du vélo de course». Un peu à l’image du journaliste français Guillaume Prébois, qui avait réalisé l’intégralité du Tour de France 2007, un jour avant les ‘pros’, à «l’eau claire», afin de vérifier si de telles performances étaient possibles sans dopage.

Pour Pascal Thurnherr, ce fut une véritable révélation. «J’ai découvert que le cyclisme est un sport où l’on peut se faire très mal et récupérer très vite de ses efforts». Cuisses en compote, courbatures généralisées, fatigue extrême le soir, et le lendemain «l’envie folle de remonter sur le vélo». L’explication, selon Pascal Thurnherr, tient en deux mots: acide lactique. Sorte de déchets de la fabrication d’énergie, responsable des crampes et des courbatures, l’acide lactique s’élimine très vite chez les personnes jeunes et en bonne santé.

Possible sans dopage

Après deux ans de pratique, Pascal Thurnherr se dit capable de relier Genève à Lausanne, soit environ 60 kilomètres, à une vitesse moyenne de 40 km/h, et ceci avec un vent défavorable. «C’est une moyenne tout à fait respectable. En étant bien préparé, je suis persuadé qu’il est possible de faire le Tour de France ou de réaliser de bonnes performances sans rien prendre», estime-t-il.

La sentence «tous dopés», relayée par les sceptiques comme Antoine Vayer, ancien préparateur physique de l’équipe Festina qui a mis au point un savant indicateur de puissance pour étayer ses dires, ne convainc pas Pascal Thurnherr: «Certains coureurs m’inspirent confiance. C’est le cas de Fabian Cancellara ou Philippe Gilbert. D’autres moins, à l’instar d’Alexandre Vinokourov ou Lance Armstrong».

Difficile de prouver le bien-fondé de ces affirmations. Un constat s’impose toutefois: depuis les années 90, décennie du scandale Festina et de l’utilisation généralisée de l’EPO, les moyennes des étapes de montagne du Tour de France ont baissé continuellement, selon Pascal Thurnherr.

N’y a-t-il pas encore toutefois une certaine complaisance des journalistes sportifs à l’égard du peloton? «Il est vrai que lorsque le scandale Festina a éclaté, en 1998, personne n’a vraiment été surpris. A la décharge des suiveurs de l’époque, il était difficile d’accuser les coureurs sans preuve concrète. Aujourd’hui, c’est plutôt l’effet inverse qui se produit. Dès qu’un coureur réalise une belle performance, on la remet en doute sans aucune preuve. C’est dommage».

Samuel Jaberg, Porrentruy, swissinfo.ch

Transition. Le Tour de Romandie est important dans le calendrier de la saison cycliste car cette épreuve fait la transition entre les «grandes classiques» d’un jour et les grands Tours comme le Giro italien et le Tour de France.

Par étapes. Le Tour de Romandie se dispute sur 6 jours et comprend tous les éléments d’une grande course: un prologue, un contre-la-montre, une étape de montagne et une étape en ligne pour les sprinters.

Suisses. Plusieurs champions suisses comme Ferdi Kübler (1948, 1951), Hugo Koblet (1953), René Strehler (1955), Kurt Gimmi (1959), Rolf Maurer (1964), Jörg Müller (1985), Tony Rominger (1991, 1994), Pascal Richard (1993, 1995) et Laurent Dufaux (1998) l’ont gagné.

Champions. Le Belge Eddy Merckx, les Français Bernard Thévenet, Bernard Hinault et Laurent Jalabert, l’Irlandais Stephen Roche, le Russe Pavel Tonkov ou l’Espagnol Abraham Olano figurent également au palmarès.

Contre-la-monde individuel de 4,3 km (mardi 27 avril)

1. Marco Pinotti (It/HTC-Columbia) 5’17.
2. Peter Sagan (Slq) à 1”.
3. Jérémy Roy (Fr) à 3”.
4. Michael Rogers (Aus), même temps.
5. Rick Flens (PB) à 4”.
6. Christophe Moreau (Fr) à 5”.
7. Greg Henderson (Aus) à 6”.
8. Roman Kreuziger (Tch).
9. Ruben Plaza Molina (Esp).
10. Haimar Zubeldia (Esp), tous même temps.

Puis les Suisses:
21. Steve Morabito 9″
42. Alexandre Moos 12″
44. Martin Elmiger 12″
52. Simon Zahner 13″
55. Marcel Wyss 13″
72. Michael Schaer 16″
93. Mathias Frank 19″
96. David Loosli 19″
113. Oliver Zaugg 22″
127. Danilo Wyss 25″

Première étape (mercredi 28 avril): Porrentruy – Fleurier (175,6 km).

2e étape (jeudi 29 avril): Fribourg – Fribourg (171,8 km).

3e étape (vendredi 30 avril): Moudon – Moudon (contre-la-montre
individuel de 23,4 km).

4e étape (samedi 1er mai): Vevey – Châtel-Vallée d’Abondance (157,9
km).

5e étape (dimanche 2 mai): Sion – Sion (121,8 km).

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