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Images digitales: gare au train qui passe !

Blizzard Entertainment

«La création digitale en Suisse» a été abordée sous toutes ses coutures numériques, mercredi à Neuchâtel, dans le cadre du symposium «Imaging the Future». En présence de gens du terrain et de hauts fonctionnaires fédéraux.

Depuis 2006, le Symposium «Imaging The Future» accompagne le Neuchâtel International Fantastic Film Festival. Avec la volonté d’y présenter les dernières avancées technologiques en matière d’imagerie numérique.

Ces images qui ont envahi notre quotidien, sans même parfois que nous les remarquions: jeux vidéos bien sûr, mais aussi cinéma, séries télé, clips, films industriels, publicité…

Le sujet est vaste, et touche autant à l’industrie qu’à l’art. Ou à l’artisanat. Car d’aucuns se posent encore la question de savoir si l’on a affaire, dans cet univers, à des artistes ou à des techniciens.

«On se posait la même question par rapport à la photographie», soulignera avec humour Jean-Frédéric Jauslin, patron de l’Office fédéral de la Culture (OFC), face à une salle remplie de nombreux professionnels ou amateurs éclairés venus manifestement de toute la Suisse.

«Le premier train est déjà passé»

Artiste ou technicien, ce sera une question parmi d’autres, nombreuses. Quelle formation suivre en Suisse? Des ponts se créent-ils entre jeux et cinéma? Pourquoi les studios helvétiques ne trouve-t-ils pas de spécialistes ici et doivent-ils «s’approvisionner» à l’étranger? Où et comment créer cette «plate-forme» de la création digitale qui dynamiserait et professionnaliserait les acteurs du métier?

Long débat qui laisse perplexe. Formidable bouillonnement d’un secteur en pleine explosion ou échange relativement stérile entre partenaires qui s’interrogent plus qu’ils n’agissent?

Deux répliques seront en cela significatives: Nicolas Bideau, affirmant que, en tant que chef de la Section cinéma de l’OFC, il n’a pas du tout envie de se limiter «à regarder le train qui passe». Et le ‘game designer’ Ru Weerasuriya, formé en Suisse et émigré à Los Angeles depuis 14 ans, lui répondant un peu plus tard que «le premier train est déjà passé».

Ce qui n’empêche pas le jeune créateur (‘game designer’ notamment de «World of Warcraft», «Daxter», «God of War: Chains of Olympus», «Okami») de s’enthousiasmer par rapport à l’approche helvétique: «Cela fait plaisir de voir ce genre de débats ici. Ici, il y a une vraie facilité à parler culture en marge de l’industrie du jeu. On a beaucoup plus de mal aux Etats-Unis à avoir ce genre de discussions».

Ne serait-ce pas simplement une façon de constater qu’aux USA, on agit, alors qu’ici, on discute? «C’est vrai qu’il y a un moment pour discuter et un moment pour agir. Mais la discussion doit avoir lieu, parce qu’on voit qu’elle amène aussi le monde politique à s’intéresser à notre secteur», nous répond le fondateur des ‘Ready at Dawn Studios’.

Vers un changement de regard

Après les débats, rencontre avec quelques-uns des intervenants. Ainsi le directeur de la Fondation Pro Helvetia, Pius Knüssel. «Pro Helvetia a décidé de s’occuper davantage de la question des jeux et de leur impact au niveau socioculturel. Ce que nous venons d’expérimenter, c’est un peu le pré-vernissage du programme qui sera lancé en 2010, en collaboration avec l’OFC», nous dit-il.

La parfois très élitiste Pro Helvetia s’intéressant aux jeux numériques, cela nécessite quelques explications… «Les jeux vidéo ont envahi toute la société. Ils déterminent donc la perception esthétique des prochaines générations. Et renforcent la demande d’interactivité qu’on constate partout: actuellement, même au théâtre, agir, c’est mieux que de seulement regarder», constate Pius Knüssel.

Qui enchaîne: «Pour Pro Helvetia se pose donc cette question: faut-il laisser le marché du jeu exclusivement à l’importation, ou ne peut-on pas soutenir une production indigène, comme on l’a fait avec le cinéma? Le cinéma, ce n’est pas une invention suisse! Mais après quelques décennies, on a réalisé qu’on pourrait faire ici un cinéma à notre manière, avec notre mentalité, notre culture. C’est la même chose, aujourd’hui, avec les jeux».

Cela sans pour autant soutenir les «blockbusters» qui n’ont besoin de personne pour exister. «Comme dans tous les domaines artistiques, il y a là une variété de formes immense, plus créatives, plus originales, plus provocatrices ou innovatrices à soutenir, susceptibles aussi de toucher un public très large», conclut le directeur de Pro Helvetia.

La synthèse du patron

On l’a dit, au cours de ce débat public, les points de vue et les idées ont foisonné, se sont complétés ou percutés. Difficile par conséquent d’en faire une synthèse. Exercice auquel se prête pourtant volontiers Jean-Frédéric Jauslin.

«Une chose qui me paraît étonnante, c’est cette perception d’une technologie émergente qui, moi, m’interpelle depuis vingt-cinq ans. On émerge très lentement en Suisse», constate-t-il pour commencer.

Et de mettre en avant la nécessité d’un décloisonnement des différents genres – «on va enfin vers une évolution beaucoup plus transversale de la culture», dit-il – et la nécessité d’une meilleure cohérence en matière de formation dans le domaine culturel. Car Jean-Frédéric Jauslin, en tant que patron de l’OFC, déborde rapidement de l’unique question de l’image digitale pour remettre en cause l’attitude globale de la Suisse à l’égard de la culture.

«Le produit intérieur brut généré par la culture en Suisse est de 17 milliards de francs. C’est plus que l’industrie horlogère. Et il y a plus de gens qui sont employés dans la culture que dans le domaine des banques et des assurances en Suisse. Et je ne parle pas des indépendants. Cela vous étonne?»

Oui, en effet, dit comme ça, la culture helvétique vous prend tout de suite une autre allure. «Malgré cela, continue Jean-Frédéric Jauslin, notamment au niveau politique, au Parlement en particulier, on ne considère pas la culture comme un phénomène économique. Pourquoi? Parce que les gens de la culture se méfient de l’économie… et je les comprends: ils n’ont pas envie d’être récupérés», analyse le patron de l’OFC.

Lequel portera l’estocade finale avec un envoi inattendu: «Pourtant, il faut faire ce rapprochement, parce que l’évolution de la société va nécessiter qu’on ne se penche plus seulement sur les aspects économiques de notre vie, mais sur des aspects philosophiques et culturels avant tout. Cette réintégration de la culture chez tous les acteurs de la société doit absolument se faire».

Si les hauts fonctionnaires fédéraux se mettent à parier davantage sur la culture que sur les banques et la chimie, il faut croire que je suis en train de voguer dans un jeu 3D qui m’avait échappé jusque là. Mais non. La poignée de main que j’échange alors avec Jean-Frédéric Jauslin me convainc que celui-ci n’est pas une image digitale.

Bernard Léchot à Neuchâtel, swissinfo.ch

Ce symposium se tient pendant deux jours en marge du Neuchâtel International Fantastic Film Festival (30 juin au 5 juillet).

Effets spéciaux, conception de jeux vidéo, réalités virtuelles sont au cœur de ce rendez-vous, du 1er au 2 juillet, à Neuchâtel, Théâtre du Passage.

Thèmes 2009:
– La création digitale en Suisse
– Les personnages et les paysages virtuels au cinéma
– Le futur de l’interactivité

Pour cette quatrième édition, le symposium accueille notamment le «matte painter» Jean-Marie Vivès (La Cité des enfants perdus, Alien Resurrection), auquel une exposition est consacrée au Théâtre du Passage et le futurologue Ian Pearson.

Nombre d’entreprises ou de studios spécialisés sans l’animation digitale et les effets visuels en Suisse:
– 24 en Suisse romande et au Tessin
– 31 en Suisse alémanique.

Forte concentration de ceux-ci à Zurich (38%) et à Genève (15%).

A cela s’ajoutent de nombreux indépendants.

Le 9ème Nifff se tient du 30 juin au 5 juillet.

Le centre du festival est constitué par les trois salles du Cinéma Apollo (Faubourg du Lac 21). Les projections en plein air ont lieu au bord du lac, Quai Osterwald.

L’axe principal de la manifestation est le cinéma fantastique, accompagné de deux «axes complémentaires»: les cinémas d’Asie et les images numériques.

Parmi les sections du festival:
– Compétition internationale
– Projections en plein air
– New Cinema From Asia
– Courts métrages suisses
– Courts métrages européens

Et trois rétrospectives:
– William Castle, un illusionniste visionnaire
– Category III: la transgression made in Hong-Kong
– Sueurs froides: le cinéma de genre scandinave contemporain

Invité d’honneur: le réalisateur japonais Shinji Aoyama

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