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Indonésie: un hôpital flambant neuf, mais à moitié vide

L'hôpital Nagan Raya a été construit par Caritas à Aceh, après le tsunami de 2004. Un exemple des limites de l'aide humanitaire face aux réalités du terrain... Reportage.

Spécialiste de médecine interne et directeur du comité médical de l’hôpital de Nagan Raya, le docteur Dirrga dirige la visite de l’établissement.

Un établissement construit par l’ONG suisse Caritas sur la côte à l’ouest de la province d’Aceh, dans le cadre de son programme d’assistance aux pays victimes du tsunami du 26 décembre 2004.

Où sont les malades?

Nous faisant traverser une série de bâtiments aux toits bleus tout propres, des locaux bien aérés abritant au total une cinquantaine de lits, une polyclinique et une maternité, le médecin rayonne de fierté, soulignant ici la qualité de l’équipement, nous faisant admirer là les appareils de pointe ou encore le stock bien fourni de la pharmacie.

Mais il y a tout de même un hic: où sont les malades? Mis à part dans le service de médecine interne, le domaine du Dr. Dirrga, où reposent côte à côte plusieurs tuberculeux, et à la maternité qui semble d’autant plus animée que la tradition indonésienne veut que toute la famille tienne compagnie aux nouvelles mères, c’est à peine si on croise dans les autres salles une poignée de patients.

L’hôpital semble quasi désert, succession de chambres inoccupées, aux lits vides et aux matelas nus, parfois même encore emballés dans leur plastique d’origine.

Certes la direction de Nagan Raya comme le personnel de Caritas affirme qu’il s’agit d’une situation provisoire, à mettre sur le compte, malgré l’inauguration officielle en août 2008, d’une ouverture échelonnée des différents services de l’établissement.

Reste qu’il y a quelque chose de dérangeant à voir cet hôpital flambant neuf, dont la construction a coûté quelques 4,7 millions de francs à l’ONG suisse, ne fonctionner qu’à une fraction de ses capacités. Mais à qui la faute?

Manque de médecins

«Ce ne sont pas les malades qui manquent, répond le docteur Dirrga, ils viendraient nombreux si seulement on avait suffisamment de médecins pour les soigner. Mais on a beaucoup de peine à recruter du personnel qualifié prêt à venir s’installer dans ce coin perdu».

En effet quel médecin de haut niveau accepterait de quitter Jakarta ou même Medan pour cette partie excentrée de l’île de Sumatra? «Même les petites maisons individuelles que nous avons construites à leur intention dans le périmètre de l’hôpital ne les persuadent pas d’accepter un poste ici», regrette Bettina Iselli, qui supervise le programme de Caritas en Indonésie.

«C’est encore pire pour les médecins spécialisés, car ils ne peuvent pas, comme nous, les généralistes, compléter leur salaire avec les revenus d’une clientèle privée», précise le docteur Dirrga, laissant entendre ainsi qu’il a sans doute lui aussi son propre cabinet où il exerce en dehors de ses heures de travail officielles.

Un choix logique

Faut-il en conclure que Caritas a mal choisi l’endroit où ériger son hôpital? Pas vraiment, car si le choix des environs de Meulaboh, au sud de la capitale Banda Aceh, est peut-être contestable au niveau purement économique, ce choix se justifie en revanche pleinement d’un point de vue humanitaire: la bande côtière occidentale de l’océan indien a en effet été frappée de plein fouet par le raz-de-marée, et l’ONG suisse est presque la seule à s’être intéressée à cette région.

Non, en réalité, l’organisation d’entraide n’a guère à se faire de reproches dans cette affaire, puisqu’il se trouve que c’est le gouvernement local qui fixe les salaires du personnel hospitalier (de même que celui des professeurs dans l’enseignement), et que ceux-ci sont visiblement trop bas pour être attractifs.

Résultat: l’hôpital n’a, par exemple, de chirurgien qu’une fois par semaine et du coup, malgré toutes les qualités de l’établissement, aucune opération non programmée ou intervention d’urgence n’y est possible.

Autre difficulté: l’entretien de l’hôpital et de ses équipements. Car là encore, ce sont les autorités locales qui fixent le budget. Or «le législatif ne nous soutient pas», déplore le docteur Dirrga, révélant que pour l’heure la direction n’a reçu qu’à peine 10% des fonds qu’elle réclame. «Il est tout simplement impossible de faire comprendre aux députés que plus un hôpital est moderne et bien équipé et plus il coûte cher à entretenir!»

Réalisme contre perfectionnisme

Le projet de Caritas aurait-il donc péché par excès d’ambition? L’ONG suisse a-t-elle vu trop grand en voulant créer, selon ses propres termes, «un hôpital de district offrant des soins de qualité à des prix abordables pour la population locale»?

Le docteur Dirrga semble le penser lorsqu’il s’exclame: «Vous, les donateurs, vous voulez faire le bien, mais vous ne vous rendez pas compte qu’ici, avec nos limitations, vos objectifs ne sont pas toujours réalistes».

«Certainement pas», réplique à l’inverse Hanns Polak, le responsable à Berne du programme de la Croix-Rouge suisse en Indonésie, en s’érigeant avec force contre l’idée d’une aide humanitaire au rabais. Selon lui, «on ne peut pas faire de compromis avec la qualité».

Mais il admet que la question semble récurrente concernant le travail des ONG suisses et qu’elle s’est également posée dans le cadre de l’éducation, notamment au sujet des trois écoles construites à Aceh selon les normes antisismiques les plus strictes.

«Notre succès est d’avoir établi dans la province des infrastructures de qualité bien meilleure que par le passé», conclut-il, tout en reconnaissant tout de même qu’«il n’a pas toujours été facile de faire comprendre aux Indonésiens l’importance de ces standards d’excellence helvétiques».

swissinfo, Niki Nadas à Aceh

Reconstruction

Caritas a construit des logements pour quelques 4000 Indonésiens dont les maisons ont été détruites par le tsunami du 26 décembre 2004, en particulier:

– le village de 1048 maisons de Blang Beuradang, à Meulaboh sur la côte ouest au sud de la capitale de la province Banda Aceh, inauguré le 30 mars 2009, en présence du directeur de la Chaine du Bonheur Felix Bollmann et de l’ambassadeur de Suisse en Indonésie

– 600 maisons reconstruites a Singkil

– coût total: 40 millions de francs suisses

Santé

– Projet: construction avec le partenaire local de Caritas YEL (Yayasan Ecosystem Lestari) de l’Hôpital de Nagan Raya, district d’environ 120’000 habitants sur la côte ouest au sud de la capitale de la province Bandah Aceh.

– Durée : du 01.06.2005 au 30.06.2009

– Inauguration officielle: août 2008

– Capacité: 50 lits, avec Maternité et Polyclinique

– Coût: 4’767’805 de francs suisses

– Suivi: ‘management training’ et formation continue du personnel médical et notamment des infirmières de l’Hôpital de Nagan Raya, du 01.07.2008 au 30.06.2009.

– Part du programme de Caritas à Aceh financé par la Chaîne du Bonheur: 74%

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