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En Inde, le CICR recherche des inventions bon marché pour les handicapés

Des technologies comme les scanners et les imprimantes 3D peuvent produire des prothèses moins coûteuses. Cameron Norris, Wevolver

Un projet financé par la Suisse organise une opération de crowdsourcing pour aider les personnes handicapées vivant en majorité dans l'Inde rurale. Le sous-continent d’Asie du Sud jouit d’une grande expertise pour des technologies à faible coût destinées aux personnes pauvres. Reportage.

Dans l’Etat du Kerala (35 millions d’habitants), Shaju Cherian est un des trois seuls prothésistes orthésistes formés et expérimentés, à même donc de concevoir et fabriquer des prothèses pour handicapés.

Ce jour-là, il se trouve au milieu d’un groupe d’environ 20 personnes qui partagent ses compétences, sa passion et sa vision. Ce professionnel de la santé de 40 ans participe à une opération de crowdsourcing (production participative) étalée sur 2 mois – Enable MakeathonLien externe – organisée par le Comité international de la Croix-Rouge (CICRLien externe). L’objectif est de trouver des solutions innovantes pour les personnes handicapées dans les zones rurales. En compétition, 15 équipes basées non loin de la ville indienne de Bangalore et 13 autres en ligne dispersées dans le monde.  Les trois meilleures inventions emportent des prix d’une valeur de 50’000 dollars.

Shaju Cherian concoure avec un prototype conçu pour les personnes dans l’incapacité d’utiliser leurs bras pour manger ou se toiletter.

«Nous sommes tombés sur un homme qui ne pouvait pas plier les coudes et, par conséquent, ne pouvait pas se nourrir normalement. Il était forcé de manger à la manière d’un chien.»

70% des handicapés en zone rurale

Selon le recensement de 2011, plus de 20 millions d’Indiens sont handicapés, dont plus de 70% vivent dans les zones rurales.

En décembre dernier, le gouvernement indien a lancé la campagne «Accessible IndiaLien externe» qui vise à rendre les bâtiments publics, les aéroports et les gares accessibles aux personnes handicapées d’ici 2019. Mais cette campagne n’est prévue que dans les grandes villes.

«Vous ne pouvez pas faire grand-chose en fauteuil roulant dans l’Inde rurale», souligne Mohan Sundaram de l’Association pour les personnes handicapées (APDLien externe), partenaire du Enable Makeathon. «Dans les zones urbaines existent des possibilités pour se rendre du domicile au lieu de travail, mais dans un village, on est complètement dépendant de transports en commun totalement inadaptés aux personnes handicapées. Cela signifie qu’ils ne peuvent pas travailler et ne peuvent donc pas vivre une vie digne. »

Selon lui, des solutions abordables de mobilité et des investissements dans les infrastructures dans les zones rurales sont essentiels pour l’autonomisation des Indiens à mobilité réduite.

«Les fauteuils roulants motorisés coûtent 1,5 million de roupies (22’615 francs suisses), relève Mohan Sundaram. Même les personnes handicapées dans les zones urbaines ne peuvent se le permettre, encore moins dans les zones rurales. »

Soham Ganatra de Mumbai est un autre entrepreneur qui est en train de relever le défi de la mobilité à prix abordable à l’occasion du concours organisé par le CICR. Son équipe travaille sur une interface cerveau-ordinateur pour les fauteuils roulants qui permettront aux utilisateurs paralysées de contrôler leurs chaises en utilisant les ondes cérébrales. La technologie est déjà disponible. Mais son prix est prohibitif.

«Les capteurs haut de gamme des laboratoires de recherche coûtent plusieurs centaines de milliers de roupies. Notre capteur, lui, coûte environ 30’000 roupies (450 CHF) », précise Sohan Ganatra. Un coût encore élevé pour l’Inde rurale.

«Les produits occidentaux sont conçus pour fournir à tout prix 100% d’indépendance aux utilisateurs, ajoute Mohan Sundaram. Ici, si vous pouvez produire quelque chose qui donne aux personnes handicapées 80% d’indépendance à 10% du coût, c’est une chose merveilleuse pour nous.»

Des solutions viables

«En ce moment, il y a une faible absorption des produits existants sur le marché en raison de leur faible qualité, de leur inadaptation aux besoins locaux et du prix élevé des meilleures options de qualité», pointe Tarun Sarwal du CICR.

Tarun Sarwal espère que le CICR soit preneur de certains des produits mis en valeur par le Enable Makeathon. swissinfo.ch

Par son programme de réhabilitation des victimes de mines antipersonnel dans les zones de conflit, le CICR est pleinement engagé dans le soutien aux handicapés. Tarun Sarwal espère qu’environ 8 à 10 des prototypes en compétition deviennent des produits abordables mis à la disposition des zones rurales. Selon lui, les plates-formes de crowdsourcing comme Enable Makeathon peuvent aider les organisations comme le CICR à réduire les coûts d’exploitation.

«De ce que j’ai vu jusqu’ici, je ne pense pas que quiconque aurait pu obtenir un tel éventail de solutions viables pour si peu d’argent, dit-il. Nous voulons essayer cette formule dans d’autres domaines comme l’approvisionnement et l’assainissement de l’eau pour les personnes déplacées.»

Selon Tarun Sarwal, le CICR a choisi l’Inde comme champ d’expérimentation, car on y trouve de l’expertise pour des dispositifs à faible coût destinés aux personnes au bas de l’échelle sociale. L’organisation humanitaire a également été attirée par l’esprit d’innovation révélé par le grand nombre de hackathons, makeathons et foires d’investissement à but social qui ont lieu dans les grandes villes indiennes comme Bangalore.

L’Inde est bon terrain d’essai pour de tels produits, selon Prateek Khare de swissnex IndiaLien externe, un autre partenaire de l’événement et une agence gouvernementale suisse finançant l’innovation et la science dans le cadre des échanges avec l’Inde: «Si vous pouvez résoudre les problèmes locaux en Inde, vous créez aussi des solutions pour un autre milliard d’utilisateurs finaux en dehors de l’Inde.»

Bien qu’il n’y ait pas de pénurie d’idées novatrices au Makeathon, encore faut-il les transformer en un produit viable pour des utilisateurs avec un pouvoir d’achat très limité. Les participants doivent non seulement venir avec une technologie, mais aussi avec un modèle d’affaires qui assure la viabilité financière à long terme de leurs projets.

2% pour des mesures de développement social

Certains participants prévoient d’offrir à perte leurs produits à des utilisateurs ruraux pour essayer ensuite de récupérer leurs coûts via la législation en matière de responsabilité sociale des entreprises. Elle oblige les entreprises avec un certain chiffre d’affaires d’allouer 2% de leurs bénéfices nets moyens à des mesures de développement social.

D’autres veulent concevoir leur produit avec des applications multiples pour différents marchés dans le but de subventionner les coûts pour les utilisateurs handicapés. Par exemple, Neha Govardana participe au développement d’un système à faible coût pour identifier les troubles de la marche à l’aide de la camera Kinect de Microsoft. Cette solution rentable peut également être appliquée à la rééducation sportive. Beaucoup d’autres prototypes en compétition sont également utiles pour les personnes âgées souffrant de mobilité réduite.

Mohan Sundaram d’APD, handicapé lui-même, est sceptique quant à des solutions purement basées sur le marché. Selon lui, le marché commercial en Inde est très petit. Il n’est donc rentable qu’avec des produits haut de gamme: «Il faut considérer ces inventions pour la dignité qu’elle donne aux personnes handicapés et non comme un outil qui profitera au pays en termes de productivité. Aborder le handicap tôt dans la vie et inclure la population handicapée dans le monde du travail permettront au final de moindres dépenses en matière de handicap.»

Traduit de l’anglais par Frédéric Burnand

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