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La tentation du téléphérique à marchandises

Ces transports de marchandises sont régulièrement utilisés par des personnes RDB

Un tragique accident survenu cet été en Suisse avec un téléphérique utilitaire, qui a coûté la vie à un jeune couple et blessé grièvement leur fillette, a choqué les esprits. La question du contrôle se pose avec acuité.

La Suisse ne compte pas seulement des centaines de téléphériques acheminant des touristes et d’autres personnes sur les glaciers, au-dessus des parois rocheuses, des vallées ou au sommet des montagnes. Le pays compte aussi des milliers de transports à câble pour les marchandises, dans des terrains plus ou moins accessibles.  

Grâce à ces infrastructures, les chantiers de protection anti-avalanche, les barrages, les infrastructures touristiques mais aussi les aires de repos ou les restaurants d’alpage sont ainsi atteignables en tout temps.

On ne sait pas pourquoi le couple et sa petite fille ont emprunté le téléphérique à marchandises d’Alp Bärlaui, dans le canton de Schwyz, pour rejoindre la vallée. L’installation était interdite aux personnes. Certains médias ont indiqué qu’un travailleur étranger en poste depuis quelques jours seulement s’occupait du téléphérique ce jour-là.

«Le machiniste n’avait probablement aucune idée de ce qu’il fallait faire», suppose le constructeur de téléphérique Anton Pfyl, qui a rénové partiellement l’installation concernée il y a treize ans. «On ne peut pas actionner ce type d’infrastructure en pressant sur un bouton, il faut faire tout une série de manipulations», ajoute le spécialiste.

«Seulement les membres de la famille»

Un employé professionnel n’aurait jamais admis des passagers sur un téléphérique prévu seulement pour les marchandises, ajoute Urs Braschler, président du Concordat intercantonal sur les téléphériques et les téléskis (CITT). Malgré cela, ces téléphériques ne sont pas rarement utilisés pour des personnes également, surtout par leurs propriétaires. Une ancienne présidente de Parlement possédant un téléphérique utilitaire à Engelberg a confirmé que des membres de sa famille empruntaient parfois l’installation.

«C’est un comportement humain. Si vous – ou moi – avions l’opportunité, après une longue promenade, de faire les derniers cent mètres très raides avec le téléphérique, vous y réfléchiriez aussi, c’est une tentation», note Urs Braschler. Pour les gérants des alpages accessibles seulement à pied ou par téléphérique utilitaire, cette mise en balance est quotidienne.

«Mais on prend un risque, c’est clair. Quand on regarde ces installations, on doit se poser des questions: nombre d’entre elles sont des constructions très simples, avec peu ou très peu de règles de sécurité. Les non-spécialistes ne peuvent pas juger si une installation a été entretenue régulièrement et dans quel état elle est véritablement.»

Selon l’Association Remontées mécaniques suisses, la Suisse comptait, au 15 juin 2012, 659 installations au bénéfice d’une concession fédérale et 1090 avec une autorisation cantonale (téléskis et petites installations), soit un total de 1749 funiculaires, téléphériques à va-et-vient, installations à mouvement continu et téléskis (petits téléskis et tapis roulants non compris).

Leur nombre ne cesse de diminuer depuis 1990.

Les téléskis représentent une bonne moitié du total.

La plus grande partie des installations se trouve en Valais (25%), dans les Grisons (19%), ainsi que dans le canton de Berne et en Suisse centrale (15% chacun).

Mises ensemble, les installations parcourent une distance de plus de 1750 kilomètres et une dénivellation de près de 500 kilomètres.

Les transports à câbles pour le transport des marchandises ne font pas l’objet d’un contrôle étatique et ne sont donc pas recensées.

L’Office fédéral de l’aviation civile récence les installations qui pourraient représenter un danger pour le trafic aérien. C’est le cas des transports à câble qui ont au moins 60 mètres de hauteur sur une zone construite ou 25 mètres de hauteur sur une zone non construite. L’OFAC en compte 1800.

«Des mondes les séparent»

Qu’un alpage idyllique ne soit pas raccordé par une route, mais par un téléphérique, n’a pas que des raisons écologiques: c’est parfois la nature du terrain qui le rend indispensable. Mais pourquoi alors ne pas installer des téléphériques qui seraient aussi adéquats pour des passagers?

«En matière de sécurité, des mondes séparent le transport des marchandises de celui des personnes», affirment en cœur les constructeurs. C’est aussi le cas pour les coûts. Un téléphérique pour les personnes est considérablement plus cher. Au lieu de quelques dizaines de milliers de francs, la facture atteint vite quelques centaines de milliers de francs.

«Le transport des personnes fait l’objet de contrôles très précis», explique encore le président de la CITT, qui est chargée de la surveillance sécuritaire de petits téléphériques (jusqu’à 8 personnes) dans 21 cantons. Les plus grandes installations sont approuvées et contrôlées par la Confédération.

Les installations destinées aux personnes doivent aussi faire l’objet d’une autorisation de construction puis d’exploitation, la preuve de la protection de l’assurance, ainsi qu’un rapport positif de reprise de la CITT. «Lors de l’inspection, nous examinons les données du projet et les plans sécuritaires», explique Urs Braschler. «En outre, le gérant d’un téléphérique transportant des personnes est soumis à la législation fédérale. Sa liberté est très limitée.»

Les gérants de téléphériques utilitaires sont en revanche eux-mêmes responsables de la sécurité et de l’entretien de leurs installations. Ils ont seulement besoin d’une autorisation de construire cantonale ou communale.

«Tant que le téléphérique ne passe pas sur des places publiques ou sur des infrastructures, son gérant peut même le construire et l’exploiter selon ses propres plans. Les téléphériques à marchandises font partie de l’espace privé et ne sont pas contrôlées par des autorités. Le législateur l’a voulu ainsi. C’est pourquoi il y aura toujours des accidents», craint le président de la CITT.

Panneaux d’avertissement

Urs Braschler recommande aux exploitants d’installations câblées pour marchandises de placarder clairement que les wagons ne sont pas destinés au transport des personnes. «Ils peuvent ainsi plus facilement imposer le message aux promeneurs qui posent la question», conclut-il.

Traduction de l’allemand: Ariane Gigon

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