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Jacques Chessex, retour sur terre

Dans son deuxième roman posthume, «L’Interrogatoire», Jacques Chessex se livre à un examen de conscience. livre.fnac.com

Décédé en 2009, l’écrivain vaudois ne s’est pas tu pour autant. Son deuxième roman posthume «L’Interrogatoire» paraît chez Grasset. Jacques Chessex y voit sa mort venir et laisse rôder ses fantasmes.

Décidément, Jacques Chessex ne s’accorde aucun répit. Même mort l’auteur de L’Ogre se laisse  tyranniser par ses bourreaux de toujours, le sexe et Dieu, qui rôdent dans ses livres posthumes. C’était le cas dans Le dernier crâne de M. de Sade paru en 2009, quelques mois après la mort du romancier. C’est le cas aujourd’hui dans L’Interrogatoire que les éditions Grasset publient. Un ouvrage qui tient à la fois de l’inculpation et de la défense, Chessex l’accusé se faisant avocat de lui-même.

Le lecteur qui connaît bien l’écrivain vaudois ne découvrira rien de vraiment neuf dans ce livre où Chessex  caresse son fantasme préféré, entendez le corps des femmes objet de tous les désirs, les plus nobles comme les plus tordus. Où il ressasse également ses questions métaphysiques liées au vice, à la vertu, à la sainteté, à la vanité, à la peur ou à la force de vivre, au suicide…

Examen de conscience

Mais foin des éternelles obsessions du romancier! Et place au jeu de l’interrogation où Chessex incarne le rôle de l’accusé. Qui donc accuse notre homme? Une voix off, que l’auteur appelle parfois Monsieur l’Inquisiteur, derrière laquelle on devine un Très-Haut sourcilleux, déboussolé par l’appétit sexuel de son sujet, volontiers vicieux. A moins que ce ne soit la voix d’un lecteur anonyme demandant à l’auteur de s’expliquer sur ses écrits, parfois hermétiques, et sur son esprit profondément provocateur.

Dans ses réponses, Chessex met un peu de bonne volonté, un peu de mauvaise foi, un zeste d’humour et pas mal de violence. Son Interrogatoire fleure bon l’examen de conscience. L’auteur s’y  livre, pressentant probablement sa mort prochaine. Si intérêt il y a, il est là, dans cette prémonition d’une fin que rien n’annonçait (Chessex n’était pas malade). Une fin conjurée par le désir d’un retour sur terre.

Brouillant le temps et ses repères

«Je reviendrai», écrit Chessex, disparu le 9 octobre 2009.  Le revoilà donc bien vivant sous sa plume acide, brouillant le temps et ses repères. «Payerne, dimanche 1er mars 2009, le jour de ma naissance et de ma mort», raconte-t-il à la voix qui l’interroge. Mais que veut-il dire? Avant de lui laisser la parole, juste cette précision: Chessex est l’auteur d’ Un Juif pour l’exemple, roman accompagné d’une grosse polémique lors de sa parution il y a trois ans.

Ecoutez-le maintenant. «Le dimanche 1er mars 2009, jour de mon anniversaire, les chars du Carnaval roulent dans Payerne (…) ma ville natale (…). L’un des chars se moque atrocement du martyre du Juif Arthur Bloch, assassiné pour l’exemple en 1942 dans cette ville par un groupe de nazis payernois (…). A l’époque, les restes sanglants d’Arthur Bloch ont été enfermés dans des seaux à lait, la goguenarde boille des étables, et noyés au lac de Neuchâtel. Or, stupeur, ce 1er mars 2009, les amuseurs osent balader cette même boille sur un char (…), avec d’infâmes devises «devoir de mémoire», etc. Et mon nom, Chessex, dont les deux S reproduisent exactement le sigle de la SS (…). Sur le char, les restes d’Arthur Bloch et la dépouille de Jacques Chessex égaient la foule sous le sigle nazi.»

«La gloire, c’est ce qu’on se doit à soi-même»  

De cet incident humiliant, le romancier tire une réflexion métaphysique. Voir sa propre dépouille défiler lui fait prendre conscience de «l’extrême ténuité» qui s’insinue entre la vie et le néant. Mieux, ce char qui avance représente à ses yeux «une allégorie explicite» de sa propre mort. Un peu comme ces allégories que  les grands classiques ont peintes.

Les classiques, Chessex les cite d’ailleurs abondamment: Courbet, Ingres, Delacroix, mais aussi Rousseau, Flaubert, Baudelaire et Giono. Ces grands maîtres de la peinture et de la littérature ont éclairé son regard, sa pensée. Il les admire, et pense probablement être à son tour admiré aujourd’hui.

A l’Interrogateur qui lui fait remarquer: «Vous écrivez beaucoup de livres. Donc vous voulez la gloire», il répond: «La gloire, chez les Classiques, c’est ce qu’on se doit à soi-même. Orgueil, estime de soi. Et le destin de cette estime. Dans ce sens-là, oui, la gloire. Mais dans tous les autres sens: crématoire, cendres, ossements et pourriture.»

L’Interrogatoire de Jacques Chessex, préface de Dominique Fernandez. Editions Grasset, Paris, 157 pages.

Né à Payerne en 1934, il suit sa scolarité obligatoire à Fribourg, puis des études de lettres à Lausanne.

Lauréat du Prix Goncourt en 1973 pour L’Ogre, il domine la littérature romande. Sa carrière d’écrivain est honorée par plusieurs récompenses, dont le Grand Prix du rayonnement français, décerné par l’Académie française.

Auteur prolifique, son œuvre compte de nombreux romans, brillants, avec des thèmes qui reviennent inlassablement: Dieu et le sexe.

Parmi ses dernières parutions: Le Vampire de Ropraz, Pardon mère, Revanche des purs, Le simple préserve l’énigme, Un Juif pour l’exemple. Il était membre du jury du Prix Médicis depuis 1996.

Il est décédé le 9 octobre 2009 à Yverdon-Les-Bains. Le dernier crâne de M. de Sade et L’Interrogatoire sont ses romans posthumes.

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