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Jean-Marc Stehlé, l’expérience des extrêmes

Jean-Marc Stehlé a été le scénographe attitré de Benno Besson à partir de 1982.

Depuis 40 ans, le scénographe romand, qui travaille avec les plus grands noms de la mise en scène, signe les décors de théâtre les plus kitsch, les plus fous, les plus drôles.

Avec une imagination débridée, il emmène toujours le public vers d’étonnantes contrées. Portrait.

On peut le joindre facilement, Jean-Marc Stehlé. Dans l’univers des grands artistes, c’est plutôt rare, même très rare. Un signe de générosité et d’intelligence: pas besoin d’une armada de secrétaires pour faire barrage et protéger l’homme sollicité. Stehlé est disponible.

On entame donc une agréable et longue conversation avec cet homme atypique, scénographe de métier, aventurier de cœur, Genevois de naissance, comédien par chance, joyeux par courtoisie, drôle par désenchantement…

«Benno et moi»

Parmi les histoires qu’il nous raconte, il y a ce souvenir: «Lorsque j’étais petit, j’adorais construire des cabanes, comme en font les enfants dans les jardins, ça m’amusait beaucoup. C’est un peu dans le même esprit que je crée mes décors de spectacle, en amateur. Un amateur pour moi, c’est quelqu’un qui sait garder un regard frais sur l’art».

Un regard enfantin, voudrait-on rectifier, le regard du gosse qui sait rire de tout. Ce rire que Stehlé a «amoureusement» partagé avec Benno Besson dont il fut le scénographe attitré à partir de 1982. Date de la création de ‘L’Oiseau vert’ à la Comédie de Genève.

«Benno et moi, nous nous amusions avec soin», précise Stehlé. Avant d’ajouter: «C’est peut-être nos origines vaudoises qui nous donnaient ce goût de la réflexion drôle. Benno ne se griffait pas le cerveau en travaillant, il se le caressait. Mettre en scène était toujours pour lui un divertissement.»

Un savoir-rire, autrement dit, que Besson a acquis sans doute auprès de Brecht et que l’on retrouve très souvent dans les décors toujours malicieux de Stehlé. Comme c’est le cas pour ‘Maître Puntila et son valet Matt’ dudit Brecht.

Kitsch et classe

Pour cette pièce satirique, présentée à partir du 29 mai à Vidy-Lausanne dans la mise en scène d’Omar Porras, le scénographe a imaginé un décor de rue façon Edward Hopper: un immense poteau électrique au milieu de nulle part.

Stehlé dans la lignée des peintres hyperréalistes américains, donc? Oui, mais aussi Stehlé fervent serviteur du kitsch, un kitsch criard qu’il revendique volontiers: «Mon style est douteux», dit-il. On rectifie: il est unique dans sa grande variété, reconnaissable entre mille dans ses lignes facétieuses.

Modeste, il apprécie la remarque dans un bref silence, puis reprend: «Vous savez, j’ai le goût casse-cou de l’aventurier.»

La Terre de Feu, Paris, la Suisse

L’aventure comme survie et comme aiguillon de l’imaginaire. A 30 ans, Jean-Marc Stehlé en a marre du théâtre. Il plaque tout, et part pour la Terre de feu. Au fin fond de la planète, il séjournera cinq ans.

«Là-bas, je m’étais fait engager comme gardien de troupeaux: je gérais une ‘estancia’ avec 20’000 moutons, 20 chevaux et beaucoup de chiens. Je suis revenu à cause de Pinochet, je ne voulais pas mettre dans la merde ma famille à cause de mes fantaisies.»

Une expérience des extrêmes, donc, qui devient art de jouer quand le metteur en scène allemand Matthias Langhoff, fidèle parmi les fidèles, confie à Stehlé le rôle d’Ephraïm dans ‘Désir sous les ormes’ de O’Neill. «Là, je savais ce que c’était qu’un paysan pris dans la rudesse d’une terre venteuse», explique-t-il.

Depuis de nombreuses années, le scénographe vit à Paris, parce que «c’est dans cette ville, qui est une et plusieurs à la fois, que tout se passe.» Bien sûr, il vient régulièrement en Suisse, d’abord parce qu’il est sollicité par nos metteurs en scène dont Philippe Mentha, un «complice» lui aussi, pour lequel il signera prochainement les décors de ‘La Locandiera’.

Ensuite parce que ce pays le fascine par «la majesté de ses paysages». «Je comprends, dit-il, qu’on ait inventé le calendrier avec les images de la Suisse. Comme je comprends que Charlot y ait pris sa retraite.»

swissinfo, Ghania Adamo

Né à Genève en 1941, Jean-Marc Stehlé fait ses études à l’Ecole des Arts décoratifs de Genève.

Depuis 1963, il travaille comme scénographe pour les plus grands noms de la mise en scène suisse et européenne: François Simon, Charles Apothéloz, Benno Besson, Roger Blin, Matthias Langhoff…

Il est accessoirement comédien de théâtre et de cinéma.

«Maître Puntila et son valet Matti»

Décor: Jean-Marc Stehlé.

Ce spectacle créé à Genève en avril dernier est repris au Théâtre de Vidy-Lausanne du 29 mai au 3 juin. Et du 18 au 30 septembre au Théâtre Kléber-Meleau, Lausanne.

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