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John Harlin s’estime «très chanceux» après sa chute

John Harlin s'est fait une belle frayeur, mais il ne perd pas le moral pour autant. swissinfo.ch

Malgré plusieurs fractures aux deux pieds consécutives à une chute jeudi dans les Alpes valaisannes, l’aventurier américain John Harlin a quitté vendredi l’hôpital de Sion dans un état d’esprit positif. Une fois remis, il a bien l’intention de terminer son tour des frontières suisses.

L’alpiniste américain qui s’était attaqué aux quelque 1900 kilomètres de la frontière suisse à la seule force de ses muscles (à pied, à vélo et en kayak) a été victime d’une chute jeudi matin lors d’une ascension. Il a répondu vendredi aux questions de swissinfo.ch, partenaire de l’aventure.

swissinfo.ch: Comment vous sentez-vous?
John Harlin: Je suis très heureux que les choses aient tourné de cette manière. Bien que je doive stopper mon périple pour quelque temps et qu’il sera difficile de me déplacer avec les deux pieds cassés, je me sens très chanceux.

Je suis très reconnaissant que ma chute ait eu lieu par beau temps et du côté suisse de la frontière, d’où nous avons pu appeler les secours. L’autre extrémité de mon corps aurait très bien pu être touchée, ce qui aurait été bien pire.

swissinfo.ch: Que s’est-il passé précisément?
J.H.: Nous nous sommes levés jeudi à trois heures du matin et nous avons gravi le glacier d’Argentière pour atteindre la crête à huit heures du matin. Nous avons constaté que la roche du côté suisse était pourrie. J’ai planté un piton à côté d’une écaille et j’ai poursuivi mon chemin, mais quand je suis arrivé au sommet, tout cela a cédé brusquement. J’ai dégringolé en bas, tout en rebondissant contre la roche.

Après une chute de 15-20 mètres, la corde s’est bloquée sur l’écaille, ce qui a coupé la corde aux trois quarts et m’a stoppé. Au début, sous le choc, j’ai pensé que tout était ok, j’ai donc dit à mon partenaire Cam que nous pourrions descendre en rappel, mais il m’a dit que c’était beaucoup trop dangereux. J’ai ensuite réalisé qu’une de mes cotes était brisée et après un petit moment j’ai également remarqué que mes pieds étaient douloureux. Je ne pouvais pas me tenir dessus, j’ai réalisé qu’il fallait appeler les secours.

Je suis vraiment impressionné par le système de secours suisse. Tout s’est déroulé selon un timing parfait, un peu comme roulent les trains en Suisse.

swissinfo.ch: Avez-vous analysé les raisons de votre chute?
J.H.: J’avançais prudemment depuis le début de l’aventure mais comme c’était la première bonne roche que nous rencontrions, je me suis un peu relâché. Je grimpais vite et je n’ai donc pas remarqué que la pierre sur laquelle était accrochée ma protection était instable.

Comme souvent, c’est une erreur humaine. Encore une fois, j’ai eu de la chance dans mon malheur. J’ai confiance dans mes instincts. Mais certaines fois, les choses ne se déroulent pas comme on le souhaite. Cette écaille était là, prête à céder, et je l’ai fait céder.

swissinfo.ch: Est-ce que vous êtes allé trop loin?
J.H.: Sur cette section particulière, que je pensais la plus dangereuse, ce n’était pas vraiment possible de contourner la montagne car je voulais vraiment arriver au sommet du Mont Dolent.

C’est un endroit significatif, car trois frontières se rejoignent à cet endroit: la France, l’Italie et la Suisse. Un jalon important du voyage, que je voulais atteindre, même si c’était très difficile. L’ambition a donc clairement pris le dessus sur la sagesse.

swissinfo.ch: Est-ce que la météo a joué un rôle?
J.H.: Ce que nous n’avions pas prévu, c’est ce printemps très humide qu’a connu la Suisse, avec pas mal de neige fraîche. Le jour de mon arrivée, il pleuvait, et la neige était encore très bas. Elle n’a disparu que le jour où j’ai commencé ma marche.

Et lorsque nous sommes arrivés en haute altitude, nous avons retrouvé une neige molle, dans laquelle on enfonce jusqu’aux chevilles. C’était très laborieux, et dangereux, car cette neige cause très facilement des avalanches.

Avec un été normal, il est clair que nous aurions eu une couche de neige bien consolidée et que nous aurions pu avancer bien plus vite et dans de bien meilleures conditions de sécurité.

Le mois de juin a été très mauvais, et on ne sait jamais ce qui peut encore arriver cette année. En septembre, ce pourrait carrément être terrible…

swissinfo.ch: Quels leçons tirez-vous de cet incident?
J.H.: C’est un rappel de la réalité. Quand vous êtes assis devant votre ordinateur, il vous semble que tout sera tellement plus facile.

Vous regardez la carte, et vous vous dites «seulement 2 centimètres, je peux les faire en un jour». Et quand vous y êtes pour de bon, la réalité vous en met plein la figure et vous vous rendez compte que vous n’êtes pas exactement le héros que vous pensiez être.

Le seul fait de vouloir vraiment quelque chose ne suffit pas pour que cela arrive. On doit penser et planifier une telle expédition avec réalisme.

swissinfo.ch: Mais vous en gardez malgré tout des souvenirs positifs?
J.H.: Je n’avais pas vraiment réalisé à quel point les paysages au sud de St-Gingolph étaient beaux, avec ces prairies, ces falaises de calcaire et cette nature sauvage, pleine de chamois et de bouquetins.

C’est aussi magnifique de pouvoir partager mon expérience via les nouvelles technologies. Normalement, ce n’est pas mon style, une fois parti, j’ai plutôt tendance à disparaître.

swissinfo.ch: Et pour la suite…?
J.H.: Je n’ai pas l’intention de laisser cette affaire m’arrêter. Je vais devoir porter ces attelles pendant six semaines et mes pieds devraient guérir d’eux-mêmes. Si je suis assez prudent, ils disent qu’après six autres semaines à marcher doucement, je pourrais entamer la partie en kayak, au nord de la Suisse, soit deux semaines de bateau avant la marche dans la région de Schaffhouse.

Ensuite, je pourrais boucler la section du Rhin et traverser le Jura. La région est un peu accidentée, mais il y a différents sentiers que l’on peut suivre. Et ensuite, je pourrais traverser le Lac Léman.

Ensuite, au lieu de finir à Leysin comme prévu, je reviendrais à l’été 2011 pour achever la partie sud, celle des Alpes.

Je dois donc renoncer à faire cette expédition d’un coup, ce qui était important pour moi. Mais peut-être que cet accident est une bénédiction cachée, en ce qu’il va m’obliger à continuer dans une perspective plus culturelle, ce qui est après tout plus proche de ce que je voulais réellement faire de ce voyage.

Simon Bradley à Sion, swissinfo.ch

Né en 1956, John Harlin III a passé son enfance en Allemagne et à Leysin. Après l’accident qui a coûté la vie à son père dans l’ascension de la paroi Nord de l’Eiger, il est retourné aux Etats-Unis avec sa famille pour étudier la biologie de l’environnement à l’Université de Californie.

Quelque quatre décennies plus tard, il revient sur les lieux du drame, pour refaire la même escalade. Il y tournera un film, en technologie Imax. The Alps – Les Alpes devint un succès planétaire, avec ses paysages grandioses et sa trame dramatique.

Alpiniste et journaliste, John Harlin est également éditeur du American Alpine Journal.

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