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Journée mondiale de l’eau: un flot de belles paroles?

Le 23 août 2005, la Suisse centrale s'est réveillée sous l'eau. Keystone

L'eau est au centre de l'actualité avec le 5e Forum mondial de l'eau qui s'achève à Istanbul, avec la publication du Rapport mondial de l'ONU et, ce 22 mars, à l'occasion de la Journée mondiale de l'eau.

Interview de Bernard Weissbrodt, journaliste et éditeur d’aqueduc.info, un site Internet très fourni sur la problématique de l’eau.

swissinfo: On a l’impression d’être noyé dans de belles paroles qui sont tout sauf concrètes car les Etats montrent une volonté très… diluée à passer aux actes?

Bernard Weissbrodt: Cela fait une trentaine d’années que la communauté internationale promet un accès à l’eau potable pour tous. L’ONU, dans les années 80, avait déjà décrété une décennie de l’eau, mais sans grand résultat.

Au tournant du millénaire, les Etats se sont engagés à réduire de moitié la proportion de population qui n’a pas accès à l’eau. Mais on sait qu’une personne sur six en est toujours privée. Et ce n’est pas une déclaration de plus qui changera la donne, comme c’est écrit dans un rapport onusien de 2006: «Le monde souffre d’un excédent de conférences et d’un manque d’action».

swissinfo: Tous les experts promettent que la demande en eau ne fera qu’augmenter dans le monde?

B.W.: La consommation va de pair avec la démographie puisque c’est un bien nécessaire à la vie. Cela se vérifie d’abord dans le secteur agricole qui prélève plus des deux tiers des ressources n moyenne mondiale. En 50 ans, les prélèvements d’eau douce ont triplé et les surfaces irriguées ont été multipliées par deux.

Les pays en développement consomment aussi davantage de viande et de produits laitiers et cela a des conséquences sur les ressources puisque la production de viande réclame 3 à 4 fois plus d’eau que celle des céréales.

swissinfo: La Journée mondiale de l’eau est placée cette année sous le thème des eaux transfrontalières, sources de conflits et/ou de coopérations?

B.W.: Ce slogan se veut optimiste: partager l’eau, c’est partager les chances de paix. Ses organisateurs pensent à tous ces bassins fluviaux qui ne s’arrêtent pas aux frontières politiques. Ainsi, le Danube ne compte pas moins de 18 pays riverains.

Tout ce que fait un pays sur un fleuve qui le traverse se répercute sur ceux qui vivent en aval: les barrages en diminuent le débit et les pollutions les empoisonnent. Ce ne sont pas les occasions de conflit qui manquent quand un cours d’eau sert de frontière. Il faudrait parler aussi des nappes souterraines: si vous pompez trop d’un côté de la frontière, le niveau baisse de l’autre.

swissinfo: En tant que château d’eau de l’Europe, la Suisse a des responsabilités face à ses voisins. Les assume-t-elle?

B.W.: L’eau douce est le premier secteur d’exportation de la Suisse et ce pays se situe sur la ligne de crête de cinq bassins hydrographiques: Rhin, Rhône, Danube, Pô et Adige.

La première responsabilité des Suisses est de prévenir leurs voisins quand le niveau d’eau monte, car il y va de la sécurité des gens et des infrastructures. Ils doivent aussi veiller à la qualité: dans certains cours d’eau comme la Sarine et la Birse, qui font partie du bassin du Rhin, on a déjà trouvé des polluants chimiques dangereux.

On peut aussi signaler qu’il existe, à l’échelle locale, quelques exemples de contrats de rivières transfrontaliers, notamment entre la France et les cantons de Genève et du Jura. Lorsqu’on a compris que l’eau est un bien commun, tout devient possible.

swissinfo: La Suisse a des problèmes de riche, car provoqués par l’abondance d’eau, c’est-à-dire les inondations qui se multiplient et l’obligent à revoir sa politique?

B.W.: La Suisse a dû trouver le pourquoi de ces catastrophes et comment mieux les prévenir. On ne peut pas ne pas parler ici de la 3e correction du Rhône dont les travaux viennent de commencer. Pour les Valaisans, ce chantier du siècle devrait durer une trentaine d’années et coûter plus d’un milliard de francs.

Il s’agit d’assurer la sécurité des riverains et de leurs biens, mais aussi d’améliorer l’environnement du fleuve. Dans 30 ans, la plaine du Rhône pourrait bien ne plus ressembler à celle que l’on connaît aujourd’hui.

swissinfo: Au niveau politique, il semble que le débat soit monopolisé par la crise financière et le débat sur la pénurie énergétique à venir?

B.W.: Les Suisses ont la chance, grâce à la compétence de leurs services publics, de disposer d’une eau potable de très bonne qualité. Mais il y a quelques menaces: le réchauffement des eaux va nuire à leur qualité et donc aux écosystèmes. Idem pour les micropolluants de plus en plus nombreux et difficiles à neutraliser. À quoi s’ajoute le problème du vieillissement des réseaux de distribution qui doivent être absolument renouvelés. Mais cela coûte cher et c’est peut-être là, en période de récession, qu’il sera plus difficile de mobiliser des fonds.

Il y a un autre point d’interrogation qui touche à la solidarité de la Suisse avec les plus démunis. La coopération au développement investit chaque année 60 à 70 millions de francs dans ce domaine. Parallèlement, de plus en plus de communes consacrent ne serait-ce que l’équivalent d’un centime par mètre cube d’eau consommée pour permettre à des milliers de personnes de disposer de cette ressource indispensable. Ce sont ces solidarités-là que la crise pourrait asphyxier.

Interview swissinfo: Isabelle Eichenberger

1,2 milliard de personnes n’ont pas accès à l’eau potable dans le monde. Selon l’ONU, ce chiffre pourrait doubler en 2025 et toucher un tiers de l’humanité.
L’agriculture consomme 70 à 80% de l’eau mondiale.

Les maladies diarrhéiques, comme le choléra, ont augmenté de 35% en 2008 par rapport à 2006.

L’Objectif 7 du Millénaire de l’ONU pour le développement porte sur l’environnement et, notamment, l’accès à l’eau.

En 2008, le Conseil des droits de l’homme a refusé de faire du droit à l’eau et à l’assainissement de l’eau un droit de l’homme.

Stress hydrique: situation où la demande en eau est supérieure aux ressources disponibles. Il a été fixé à 1’700 m3 d’eau par personne et par an. Selon le Programme des Nations-Unies pour le Développement, quelque 700 millions d’habitants de 43 pays seraient touchés.

Chiffres: la Terre contient à peu près 1,4 milliard de km3 d’eau (97% d’eau salée). Sur 35 millions de km3 d’eau douce, moins de 1% est accessible à l’homme. On estime à quelque 3700 km3 la quantité eau prélevée chaque année pour l’ensemble des besoins et activités humaines.

Pétrole et eau sont liés de manière contradictoire, aux changements climatiques. L’utilisation du pétrole est l’un des principaux facteurs du réchauffement terrestre qui perturbe le cycle de l’eau.

La Journée du 22 mars a été instituée par l’Assemblée générale de l’ONU en 1992.

L’édition 2009 porte sur les eaux transfrontalières: près de 40% de la population mondiale vit dans des bassins versants ou sur des aquifères partagés par deux pays ou plus.

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