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Julia Batinova, de Volgograd à Genève

Julia Batinova et Valentin Rossier dans 'Platonov'. Marc Vanappelghem

La comédienne d’origine russe fait une belle carrière en Suisse. A l’écran comme sur scène, son charme slave séduit. Elle joue dans «Platonov» de Tchekhov, à l’affiche du Théâtre de Carouge. Portrait.

Sa tête, elle dit l’avoir perdue plusieurs fois, mais seulement dans les rôles qu’elle joue. Car dans la vie de tous les jours, elle est plutôt raisonnable, Julia Batinova. C’est du moins ce qu’elle affirme, pour se contredire aussitôt: «J’aime bien pécher».

On s’attend alors à un terrible aveu, mais le péché annoncé s’avère mignon: «Je fume, eh, oui!» dit-elle, en brûlant sa cigarette dehors, devant le lieu de notre rendez-vous.

La matinée est glaciale en ce mois de janvier, mais la jeune fille venue du Nord ne craint pas le froid. Quand on est née sur les bords de la Volga, les rives du Rhône demeurent une plaisanterie et Genève une gentille ville, comparée à Volgograd la Soviétique où Julia Batinova voit le jour en 1977.

Elle est née avec son talent de comédienne, comme on dit dans les romans à l’eau de rose. Mais c’est rouge qu’a été la vie adolescente de Julia qui a chanté très tôt les hymnes révolutionnaires et mis ses convictions au service du communisme.

«J’étais une petite fille activiste», dit aujourd’hui celle qui regarde la vie avec la sérénité d’une jeune femme ayant trouvé dans son métier d’actrice l’accomplissement d’un rêve.

«A 12 ans, j’étais convaincue qu’un jour je monterai sur scène, raconte-t-elle, mais comment? Je ne le savais pas encore. Ça tombait mal, car le Mur venait de chuter et contrairement à ce que l’Occident pensait alors, les libertés là-bas étaient toujours entravées. L’inflation grimpait, les roubles disparaissaient au profit d’autres roubles, auxquels nous devions ajouter des dizaines de zéros pour leur donner un peu de consistance».

Méfiance identitaire

De ces années-là, le souvenir reste entêtant. Aujourd’hui, elle pense à ce passé, mais sans nostalgie. Non, Julia Batinova n’a pas l’émotion mélancolique des héroïnes russes, qu’elle joue avec bonheur néanmoins. On a mis du temps à les lui confier «parce qu’elles se confondent trop avec ma propre identité», suppose-t-elle.

«Je pense que les metteurs en scène d’ici projetaient sur moi un profil de femme russe éthérée, auquel ils n’osaient pas toucher». Jusqu’au jour où José Lillo lui demande d’incarner Nastenka, dans «Les nuits blanches» de Dostoïevski. Créé il y a deux saisons, le spectacle rencontre un succès fou à Genève (il sera d’ailleurs repris prochainement à Sion). Julia y campe une jeune fille trop égocentrique pour aimer l’homme qui la désire.

«Un rôle loin de tout romantisme», estime la comédienne. Mais un rôle d’écorchée vive tout de même, qui fait songer à cette magnifique «Traductrice» que Julia Batinova fut dans le film éponyme d’Elena Hazanov. Une quête identitaire qui partait de Genève pour ramener Ira, la traductrice, vers ses origines russes.

De cette quête, Ira n’était pas sortie indemne. «De toute manière, quand on vit à cheval entre deux cultures on est toujours tourmenté», lâche la comédienne dans son français irréprochable. Ce qui lui pèse ici, ce n’est pas la langue, très vite apprise, mais le souffle. «Pourquoi les Suisses ne respirent-ils pas à pleins poumons ?», se demande-t-elle.

Le mouvement

Elle, en tout cas, dit avoir trouvé «le mouvement» qu’il faut pour garder la tête hors de l’eau. Toujours se projeter vers l’avant. Le futur, autrefois inimaginable à Volgograd, est aujourd’hui un présent réussi. Julia Batinova joue actuellement Tchekhov sur la scène de Carouge. Elle est Sacha, l’épouse douce, simple et fidèle de Platonov (Valentin Rossier), instituteur volage qui calme son désespoir dans l’alcool et le lit des femmes.

«C’est un honneur pour moi, vous comprenez», dit la jeune russe qui n’en est pas à son premier Tchekhov. Au début de cet hiver, elle avait incarné «La mouette» à Genève. Elle était touchante. Elle l’est également à Carouge. D’autant plus qu’en face d’elle Valentin Rossier joue très mal l’ivresse existentielle, laissant à son épouse toute la place pour la sobriété.

Ghania Adamo, swissinfo.ch

Volgograd. Née en 1977 à Volgograd (dans l’ex-Union Soviétique), de père transporteur routier et de mère couturière. C’est à Volgograd qu’elle suit sa scolarité et entame à l’Université des études de traduction.

Bruxelles. Elle quitte sa vile natale en 1997 et s’installe à Bruxelles où elle suit des cours d’architecture durant une année puis décide de bifurquer vers le théâtre.

Genève. En 2000, elle rejoint le Conservatoire supérieur d’art dramatique de Genève (ESAD) et en sort en 2003 avec un diplôme de comédienne.

Cinéma. Cette même année, Alain Tanner lui offre un rôle dans son film «Paul s’en va». Le cinéma s’ouvre ainsi à elle. Elle tourne en Suisse avec Christophe Marzal dans «Au large de Bad Ragaz» et elle est «La Traductrice» dans le film éponyme d’Elena Hazanov.

Théâtre. Au théâtre, elle joue notamment sous la direction d’Alain Maratrat, Hervé Loichemol, Gianni Schneider et José Lillo.

Projets. Elle tournera dans deux films l’été prochain.

«Platonov» de Tchekhov, au Théâtre de Carouge (Genève), jusqu’au 7 février.

Mise en scène: Valentin Rossier.

Avec notamment : Julia Batinova, Claude-Inga Barbey, Elodie Bordas, Marie Druc, Valentin Rossier, Maurice Aufair, Vincent Bonillo…

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