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Kurdistan: le coup de gueule de Gilberte Favre-Zaza

Nourredine Zaza, leader politique et écrivain, auteur notamment de "Ma vie de Kurde". ZVG

C’est une femme très en colère qui revient de Syrie. L’idée que le buste de feu son mari, l’écrivain et leader kurde Noureddine Zaza, trône aux côtés du portrait de Bachar-el-Assad est insupportable à Gilberte Favre-Zaza. Elle demande l’aide de l’ambassade de Suisse à Damas. Témoignage.

«Noureddine n’a eu à souffrir ni sous le père, Hafez , ni sous le fils, Bachar, mais il doit se retourner dans sa tombe ! Il n’a rien à faire aux côtés du chef d’un Etat qui ne respecte pas la démocratie, ni en Syrie ni dans les pays voisins, et qui continue à réprimer et à torturer les Kurdes au nom du panarabisme, ainsi que les démocrates syriens».

L’histoire commence un peu par hasard, lorsqu’à Lausanne où elle vit, surfant sur internet, Gilberte Favre-Zaza découvre qu’un «centre culturel Noureddine Zaza» a été ouvert le 15 juillet dernier à Kamichlié, le fief nationaliste kurde. «Cela sans que moi-même ou mon fils n’ayons été consultés, sans qu’on nous demande la permission d’utiliser le nom de mon mari».

Se faire bien voir du régime

Pour en avoir le cœur net, Gilberte se rend en Syrie. Mais, arrivée à Damas, elle renonce à partir pour Kamichlié, sur les conseils de nombreuses personnes, dont les diplomates suisses toujours très prudents. «La situation est mauvaise, il y a d’ailleurs eu plusieurs arrestations de Kurdes au mois de décembre: me rendre à Kamichlié, c’était mettre en danger les gens avec lesquels j’aurai parlé, courir le risque que des troubles aient lieu», se justifie Gilberte Favre-Zaza.

Mais si elle n’est pas allée à Kamichlié, Kamichlié est venu à elle. «Sachant que j’étais à Damas, un groupe de Kurdes de Kamichlié m’a rendu visite. Ils n’ont pas hésité à faire ce long trajet, deux fois neuf heures de bus ! ‘Noureddine Zaza nous appartient’, m’ont-ils dit: il est le symbole de notre résistance. En venant me voir, c’était une façon de rendre hommage à mon mari mort en Suisse, il y a 21 ans ».

Il ne faut pas longtemps à Gilberte Favre-Zaza pour avoir une vue claire de la situation. Son enquête confirme ses pires craintes. Le Kurde qui a ouvert ce centre culturel est le responsable d’un des 14 partis kurdes issus du Parti démocratique kurde de Syrie (PDK) qu’avait créé Noureddine Zaza en 1957. D’après Gilberte Zaza, l’homme ferait tout pour se faire bien voir du régime. Une façon pour cet homme politique de s’aligner sur l’arabisation voulue par le régime tout en utilisant une figure reconnue et respectée par les Kurdes de Syrie.

Missive à l’ambassade

«C’est inacceptable ! Mon mari a été emprisonné et torturé en tant que Kurde parce qu’il demandait des droits culturels pour son peuple en Syrie. Cela dit, il n’a jamais éprouvé de ressentiment à l’égard du peuple arabe ni de ses bourreaux. Ce dont il rêvait, c’était d’une Confédération des peuples du Moyen-Orient calquée sur le modèle helvétique et dans laquelle chacun aurait pu jouir de la reconnaissance de son identité ! S’il était en faveur de la réconciliation entre Arabes et Kurdes, il était anti-baassiste et contre toutes les formes de chauvinisme».

On peut imaginer que si le rêve de Noureddine Zaza s’était réalisé, le visage de cette région ne serait aujourd’hui pas tout à fait le même, et l’hémorragie des minoritaires, musulmans ou chrétiens, aurait peut-être pu être stoppée. Mais exilé politique en Suisse, Noureddine Zaza n’aura pas pu faire entendre la voix de la raison, avant de mourir en 1988 à Lausanne. Certains Kurdes viennent toujours poser fleurs et cartes sur sa tombe au cimetière de Boix-de-Vaux.

Son épouse, quant à elle, veille sur son héritage moral et politique. Elle a demandé dans une lettre formelle transmise à la représentation helvétique à Damas d’interdire au centre culturel de Kamichlié d’utiliser le nom de Noureddine Zaza et de ne plus y exposer le buste de ce dernier.

«Mon mari était un citoyen suisse , je suis une citoyenne suisse, c’est mon droit. Et puis je dois faire respecter la mémoire de mon mari. Il y a incompatibilité totale entre le fervent démocrate qu’il était (et qui a payé ses convictions dans sa chair) et le régime syrien actuel.»

Ariane Bonzon, swissinfo.ch

Leur sort n’a rien à envier à celui des Kurdes de Turquie. Tandis que celui de leurs frères d’Irak les font rêver. Pourtant, qui parle des Kurdes de Syrie? Pas les médias occidentaux: il est quasiment impossible pour les journalistes étrangers de travailler librement en Syrie.

Les Kurdes représentent un peu plus de 10% de la population en Syrie. Soit entre 1,4 et 1,8 million de personnes. Mais il y a Kurdes et Kurdes, ainsi que l’explique François de Herte dans la revue Averroès.

Les uns sont des citoyens syriens, les autres, 200 à 300’000 sont apatrides, vivant en Syrie. Les premiers bénéficient théoriquement des mêmes droits que les arabes syriens, exception faite de la liberté d’expression culturelle, ethnique et linguistique; les seconds sont exclus de tout droit de propriété, ne peuvent accéder aux fonctions étatiques, militaires et politiques. .

Depuis quelques années, on assiste à un net rapprochement diplomatique , commercial et militaire entre la Turquie et la Syrie. Et en particulier sur le traitement de la question kurde auxquels les deux pays sont confrontés. Mais parallèlement, on observe également un renforcement des solidarités entre le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, interdit en Turquie, inscrit sur la liste des organisations terroristes établie par l’Union européenne et par les Etats-Unis) et les militants kurdes syriens.

Les estimations les plus courantes relayées par l’Institut kurde de Paris, font état de la présence d’environ 1,2 million de Kurdes en Europe occidentale.
En Suisse on compte entre 70’000 et 80’000 Kurdes.

«Je suis né dans une ville qui sentait le cuivre. C’était sous l’empire ottoman à la source du Tigre, dans un merveilleux pays de montagne: le Kurdistan de Turquie». Ainsi débute Ma vie de Kurde, paru chez Labor et Fides. L’autobiographie de Nourredine Zaza, publiée en 1993, permet de suivre l’itinéraire personnel et politique de cet homme exceptionnel, de Marden, son village natale de Turquie (l’âge d’or) à Lausanne, en passant par la Syrie et le Liban.

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