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L’ébullition en Egypte modifie le dessous des cartes

Le mouvement de contestation, d’une ampleur jamais vue depuis l'arrivée au pouvoir d’Hosni Moubarak en 1981, a débuté le 25 janvier en Egypte. Reuters

Après la Tunisie, la population égyptienne fait chanceler le régime en place. Des événements qui réclament une politique nouvelle de la part de l’Occident et qui ouvrent un champ pour la diplomatie turque, juge Yves Besson, spécialiste du Moyen-Orient.

Ancien diplomate suisse, ex-directeur de l’UNRWA (agence des Nations Unies pour les réfugiés palestiniens), Yves Besson ne le cache pas, il juge les événements actuels en Egypte «extrêmement encourageants».

 

swissinfo.ch: Evolution, ébullition, comment qualifiez-vous ce qui passe actuellement dans les pays arabes?

 

Yves Besson: C’est assez différent de ce qui se passe d’habitude. Cette fois-ci, il semble qu’il n’y ait pas de leader qui soit le chef du mouvement ou qui puisse s’affirmer comme tel.

Pour la première fois, c’est le résultat d’une exaspération populaire. En Egypte, il y avait déjà eu divers soubresauts. L’année dernière, à la suite des élections, différents mouvements auraient pu alerter. Mais cette fois-ci, c’est beaucoup plus massif. Et alors que ça aurait pu retomber dès le début, ça a enflé, c’est parti.

J’y vois le résultat du chômage, d’une population majoritairement jeune qui est en souci pour son avenir. En général, ce qu’on a dit est juste. Tout ça est très spontané. Mais le problème avec les révolutions spontanées, c’est qu’elles peuvent être récupérées. En Tunisie, ça ne semble pas trop mal se passer, en Egypte, on ne sait pas.

swissinfo.ch: Voyez-vous des indices de cette possible récupération?

Y.B.: Il est trop tôt pour le dire. On en est encore aux manifestations populaires. La nomination d’un vice-président par Hosni Moubarak montre qu’il a préparé le terrain pour un éventuel départ.

Omar Souleyman, chef des services de renseignement et homme clé des négociations et des contacts avec Israël et les Américains, est maintenant vice-président. Il pourrait mener la transition vers des élections qui seraient beaucoup plus libres que celles qui ont eu lieu durant toutes ces années en Egypte.

Mais il faut voir comment réagira l’armée. Plusieurs générations d’officiers se côtoient dans l’armée. Se rappellera-t-on le coup d’Etat des colonels en 1952, qui avait conduit à la première révolution égyptienne, avec l’élimination de la monarchie puis du général Naguib à la tête du pays?

Tout ça, c’est de l’histoire ancienne pour la jeunesse égyptienne. La jeunesse d’aujourd’hui, en Egypte, semble être beaucoup plus guidée par des idéaux démocratiques. C’est encourageant, mais il reste à donner du sens au mot «démocratie».

 

swissinfo.ch: La révolution tunisienne a surtout eu un impact national. Ce qui se passe en Egypte pourrait avoir une portée plus large. Comment voyez-vous les retombées de cette ébullition?

 

Y.B.: Il y a des conséquences en Egypte même. Pour le moment, il est difficile d’en juger, car les Frères musulmans ne se sont pas encore manifestés. Ils cherchent probablement le moment opportun pour le faire. A ce qu’on en sait, ils semblent assez divisés. Sur le plan intérieur égyptien, tout est donc encore possible.

Ce genre de mouvement peut toucher la rue jordanienne, mais je pense que les Jordaniens auront, le moment venu, l’appui nécessaire, de l’Arabie saoudite notamment, pour maintenir l’ordre monarchique.

Sur le plan régional, ce qui m’intéresse, c’est le silence de la Syrie. La rue syrienne ne bouge pas, le gouvernement syrien ne bouge pas. Si on fait le rapprochement avec la réconciliation syro-turque depuis quelques années, il semble s’être dessiné un axe Damas-Ankara qui pourrait peser sur l’avenir de la région et qui fait équilibre avec l’axe Damas-Téhéran. Avec au milieu, le Hezbollah et le Hamas.

En Syrie, il y a des mouvements de tendance islamiste. Mais si vous voulez mon sentiment, je crois que l’islamisme que j’appellerais l’islamisme de papa, datant d’il y a une vingtaine d’années, n’est plus d’actualité. La nouvelle génération, celle qui a aujourd’hui vingt ou trente ans, apparaît très tentée par l’exemple turc.

 

Quant au problème yéménite, il reste un problème. Je ne crois pas que les manifestations qui ont eu lieu à Sanaa soient représentatives d’un mouvement de fond. Sanaa ne représente pas le pays entier, très divisé sur le plan tribal.

 

Et puis il y a bien sûr l’avenir de l’Irak… tout ça est en l’air en ce moment. Jusqu’à maintenant au Moyen-Orient, on jonglait avec trois boules. Une était toujours en l’air, mais on arrivait à maintenir l’équilibre. Maintenant, on va devoir jongler avec plusieurs boules, qui seront davantage en l’air que dans la main. Pour les Américains, notamment.

swissinfo.ch: D’un point de vue plus personnel, comment voyez-vous cette recherche de démocratisation par la base dans la région?

 

Y.B.: C’est fabuleux. C’est extrêmement encourageant. Le grand fossé que les Occidentaux avaient intérêt à faire exister entre les possibilités d’une démocratie à l’occidentale et le respect d’un certain nombre de normes sociales propres aux sociétés arabo-musulmanes ou musulmanes, ce fossé semble se combler avec ces événements. Et l’osmose pourrait se faire sur l’exemple turc.

Depuis dix ans, sous deux administrations, les Américains, avec l’appui des Européens et surtout des Britanniques, ont voulu imposer la démocratie au Moyen-Orient par la force des armes. Cette politique a complètement échoué. Elle échoue en Irak, elle est en train d’échouer en Afghanistan. Il y a un arc qui va de l’Afghanistan jusqu’à la Méditerranée dans lequel il va falloir revoir complètement l’approche.

Pour moi, il y a un champ d’action ouvert pour la diplomatie turque aujourd’hui. L’économie du pays se porte très bien. Avec la réconciliation avec la Syrie, cela lui offre des leviers dans toute la région. D’autant qu’Israël a commis l’énorme erreur de se brouiller avec elle.

Expatriés. Le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) «recommande aux ressortissants suisses présents en Egypte de quitter temporairement le pays en utilisant des moyens de transports existants et d’informer l’ambassade de Suisse au Caire de leur départ».
 
1574 Suisses sont inscrits auprès de l’ambassade de Suisse au Caire, selon le DFAE.
 
Touristes. Les touristes visitant actuellement l’Egypte sont eux «priés de prendre contact avec l’organisateur de leur voyage» ou «les compagnies aériennes qui informent sur les liaisons aériennes», a précisé le DFAE.

Plus de cent entreprises sont établies en Egypte. Parmi elles, ABB, Clariant, Novartis, Nestlé, Bühler, SGS, Roche, Credit Suisse et UBS. Nombre d’entre elles ont pris des mesures temporaires, et parfois l’arrêt de la production, face à l’instabilité politique actuelle.

Le groupe Mövenpick Hotels and Resorts Group, qui emploie sur place presque 2’800 collaborateurs, annonce que ses hôtels restent ouverts.

En 2009, l’Egypte était le quatrième plus important partenaire économique de la Suisse en Afrique après l’Afrique du Sud, la Libye et l’Algérie.

Les exportations suisses vers l’Egypte ont atteint 656,3 millions de francs et les importations de produits égyptiens 109,3 millions de francs.

L’AELE, dont la Suisse est membre, a signé un accord de libre-échange avec l’Egypte en 2007. Objectif: renforcer le relations d’affaire existantes et en développer de nouvelles. L’accord est en vigueur depuis septembre 2008.

En février 2009, la ministre suisse de l’économie de l’époque Doris Leuthard a conduit en Egypte une délégation économique. Le ministre égyptien du commerce et de l’industrie Rachid Mohamed Rachid s’est rendu en Suisse en octobre 2009 pour un workshop sur la propriété intellectuelle.

(Adaptation: Pierre-François Besson)

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