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L’énergie éolienne prend une rafale contraire

Au Mont-Crosin, le principal parc éolien en activité sur territoire confédéral. Keystone Archive

Adversaires et promoteurs sont suspendus aux lèvres du Tribunal fédéral, qui devrait dire après l’été si le principal parc éolien suisse peut sortir de terre.

La cour suprême se prononcera sur la décision d’un tribunal neuchâtelois fondamentalement défavorable à l’énergie éolienne en Suisse.

En matière d’énergie éolienne, la Suisse avait annoncé l’automne dernier vouloir se donner les moyens de reprendre un peu du terrain perdu sur des pays comme le Danemark, l’Allemagne ou l’Espagne, pour ne parler que de l’Europe. Mais le vent souffle à l’envers.

Dans trois mois ou plus, le Tribunal fédéral prendra position face à un projet de parc éolien ficelé «à la Suisse», peaufiné dans ses moindres détails, soumis à un complexe processus de mise en forme.

La cour suprême se retrouve confrontée surtout à la décision d’une instance judiciaire de niveau inférieur qui, dans son jugement, a disqualifié l’énergie éolienne en Suisse. Pour autant qu’elle s’estime compétente à juger, sa décision aura donc valeur d’étalon pour l’avenir de cette énergie sur territoire confédéral.

Le projet en question doit voir le jour sur le site jurassien du Crêt-Meuron, dans le canton de Neuchâtel. Il est porté et financé (26 millions de francs) par un développeur privé britannique actif internationalement, soutenu par la plupart des organisations de protection de l’environnement, appuyé par la Confédération, les communes et le canton, qui mène les procédures idoines.

Au final, les sept éoliennes prévues (mât de 60 m, pales de 32 m) devraient fournir l’équivalent de la consommation d’électricité de 4000 à 5000 ménages. Mais d’entrée de jeu, les opposants se sont élevés contre le plan d’affectation, avant d’être déboutés par les juristes du canton.

Ces riverains, doublés de la Fondation suisse pour la protection et l’aménagement du paysage (FP) et de Patrimoine suisse, sont revenus à la charge, pour obtenir gain de cause devant le tribunal administratif cantonal, après deux ans de suspens. C’était le 31 mars dernier.

Pesée d’intérêt

En résumé, l’instance judiciaire neuchâteloise a estimé la blessure infligée à l’environnement des crêtes du Jura par les éoliennes plus importante que leur intérêt énergétique «actuellement extrêmement faible, sinon quasi insignifiant, et (qui) le restera sans doute».

Les promoteurs d’Eole ont fait front. Et déposé un recours au Tribunal fédéral, dont le jugement est donc attendu. Trois recours même, signés respectivement par le canton de Neuchâtel, Suisse Eole (l’association de promotion de l’énergie éolienne soutenue par Berne) et – fait extrêmement rare – l’Office fédéral de l’Energie.

S’appuyant sur les constitutions fédérale et cantonale, «acceptées en votations populaires» et requérant le développement des énergies renouvelables, les recourants qualifient le jugement neuchâtelois d’«incompréhensible».

Pour eux, ce tribunal s’est mêlé de politique énergétique, qui ne le regarde pas. «Le Tribunal administratif (…) s’est substitué à la volonté politique fédérale et cantonale de développement des énergies durables», écrit le canton de Neuchâtel.

Pour ses promoteurs pourtant, pas de doute: bien utilisées, l’énergie éolienne à toute sa place en Suisse. Ils partent de l’idée que les petits ruisseaux font de grandes rivières et les petites sources d’énergie renouvelables les grands succédanés des productions polluantes.

Le tout serait même frappé au coin du bon sens économique. «Le coût de production du KWh éolien se situe entre 15 et 20 centimes. C’est très intéressant, très proche des prix sur le marché compétitif des énergies non-renouvelables et nettement moins cher que le photovoltaïque», plaide Martin Kernen, responsable du centre d’information Suisse Eole.

Teintés d’optimisme

A partir du cas neuchâtelois, les opposants ont dès le départ choisi de généraliser la question au pays tout entier. Ils assurent mordicus que les conditions de vents et sa topographie disqualifient la Suisse en matière éolienne.

Le solaire, la géothermie ou les énergies tirées de la biomasse ont, par contre, toute leur place en Suisse, estime Richard Patthey, de la FP. Les opposants se prévalent d’une étude très sérieuse du dossier éolien pour conclure: «Ses promoteurs tirent des plans sur la comète. A chaque fois, ce sont des chiffres extrapolés, teintés d’optimisme, voire d’euphorie.»

Aux yeux de Richard Patthey et de ses coreligionnaires, les objectifs fédéraux en matière éolienne, c’est du «bidon» inventé par Suisse Eole. «Ce n’est pas de la politique fédérale, mais le résultat d’un lobbying efficace.» Un lobbying dont bénéficieraient les multinationales du secteur, les bureaux d’ingénieurs en charge des études d’impact, les producteurs d’électricité alléchés par un nouveau marché de niche.

Face au «préjugé favorable du peuple», Richard Patthey estime qu’un débat politique sur la question éolienne est indispensable. Martin Kernen n’est pas contre. Il craint toutefois les arguments «très tranchés» des opposants, estimant plus facile «d’asséner des contre vérités que d’expliquer et de construire un projet».

En attendant, les opposants à l’éolien envisagent la décision du Tribunal fédéral avec confiance. «Nos conclusions sont celles du tribunal administratif neuchâtelois, et il n’y a aucune raison que le TF arrive à un autre résultat», indique Richard Patthey.

Lois plus explicites

«Notre but est de susciter la prise de conscience, poursuit Richard Patthey. Si le tribunal tranche contre nous, la première éventualité est que nous acceptions cette décision. Indépendamment de celle-ci, nous continuerons à publier et à expliquer pourquoi nous pensons comme nous le faisons.»

Plus prudent, Martin Kernen compte «qu’avec le recours de l’office fédéral de l’énergie notamment, les juges se pencheront très sérieusement sur le dossier.»

Une décision négative du TF ne mettrait pas un terme à l’éolien en Suisse, estime toutefois le responsable à Suisse Eole. Mais «il faudrait alors revenir avec d’autres appuis juridiques pour cette énergie, des lois plus explicites.»

Martin Kernen estime aussi qu’avec les «centaines de milliers de francs» déjà investis dans le projet, le parc éolien du Crêt-Meuron survivrait à un verdict négatif du TF. Il serait vraisemblablement relancé sous une autre forme.

«Comme tous les spécialistes éoliens, les développeurs (britanniques) du projet ont l’habitude de rencontrer des difficultés, assure le Neuchâtelois. Ils ne sont pas du tout catastrophés par la tournure des événements.»

swissinfo, Pierre-François Besson

D’ici 2010, la Confédération souhaite que la Suisse décuple la production d’énergie obtenue du vent (programme SuisseEnergie).
L’objectif est de produire grâce au vent l’équivalent de 0,1 à 0,2% de l’électricité actuellement consommée (15’000 à 30’000 ménages).
L’Office fédéral de l’énergie a retenu au total 28 sites où des éoliennes pourraient être installées dans le cadre de sa politique présentée l’automne dernier.

– Un parc éolien plus modeste que celui du Crêt-Meuron est prévu dans le Jura vaudois. Un tribunal administratif devra là aussi se prononcer. Les opposants font valoir que la population locale s’était opposée au projet par référendum. Ils ont indiqué au quotidien 24Heures être prêts à porter leur cas jusqu’à Strasbourg, estimant le droit démocratique «bafoué».

– Un sondage a montré en 2002 que presque neuf Suisses sur dix sont favorables à l’énergie éolienne et que trois sur quatre ne verraient pas d’inconvénients à vivre près d’éoliennes.

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