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L’ébauche d’une institution des droits humains en Suisse

Les multinationales - comme Nestlé - sont plus souvent confrontées à la problématique des droits humains que les entreprises essentiellement suisses. Keystone

Le gouvernement suisse diffère la création d'une institution nationale des droits humains. A sa place, une solution transitoire sera mise en place pour démontrer l'utilité d'un tel organisme. La société civile suisse critique cette décision, tout en reconnaissant qu'un premier pas a été accompli.

Alors que la question est sur la table depuis 2001, la Suisse ne s’est toujours pas dotée d’une institution nationale des droits de l’homme. Depuis près de 20 ans, l’ONU – où la Suisse est très active en matière de droits humains – recommande pourtant à l’ensemble de ses membres de mettre en place un tel organisme. Un appel déjà suivi par de très nombreux Etats au Nord comme au Sud.

Ce mercredi, le gouvernement suisse a tout de même fait un pas dans cette direction. «Nous allons créer un centre de compétence pour les droits humains basé sur l’expertise existante au sein des universités suisses. Concrètement, nous allons mettre au concours un tel projet. Ensemble ou séparément, les universités pourront donc nous soumettre leur offre», explique l’ambassadeur Thomas Greminger, coordinateur du projet.

Et de préciser l’une des principales fonctions d’un tel organisme, selon les standards onusiens: «Une institution nationale des droits humains doit faciliter la mise en œuvre au niveau national des recommandations émises par les organes de contrôle des différentes conventions internationales relatives aux droits de l’homme. Car ce qui manque le plus souvent n’est pas la volonté, mais l’expertise.»

Or en matière d’expertise, la Suisse est bien dotée. L’université de Zurich est d’ailleurs en train de créer un centre de compétence sur les droits de l’homme. L’université de Lucerne planche aussi sur cette question.

A Berne, l’institut de droit du professeur Walter Kälin fournit une expertise reconnue internationalement, sans oublier Genève et son Académie de droit international humanitaire et de droits humains, même si cet organisme évolue surtout sur la scène internationale.

Cinq ans pour convaincre

«J’ai bon espoir que dans cinq ans – durée du projet pilote – nous aurons démontré l’utilité de cette institution au Parlement et au gouvernement et que la Suisse mette en place un organisme conforme aux Principes de Paris, les critères de l’ONU définissant le cadre d’une institution nationale des droits humains», insiste Thomas Greminger.

Un espoir que partage Martine Brunschwig Graf, même si la co-présidente de L’Association de soutien à une institution nationale pour les droits humains ne cache pas sa déception: «Avec cette décision, le gouvernement reconnait un besoin. Mais il ne reconnait pas l’utilité d’une institution autonome telle que définie par les principes de Paris.»

Le secrétaire général de la Section suisse d’Amnesty International est plus mordant. «C’est un compromis typiquement suisse. La question des droits humains est soit déléguée à des instances universitaires ou utilisée pour faire de la représentation sur la scène internationale. Mais si la thématique devient un peu plus sensible et qu’il s’agit d’évaluer la cohérence entre les engagements internationaux de la Suisse et sa politique étrangère, les choses se gâtent», assène Daniel Bolomey.

Des critiques que Thomas Greminger comprend en partie. «Si on se réfère aux principes de Paris – les critère de l’ONU définissant le cadre d’une institution nationale des droits humains – nous n’y sommes pas. Il manque encore une base légale spécifique pour une telle institution et les conditions de sa pleine indépendance. Mais c’est un pas très important en direction de cette institution», assure le chef de la Division sécurité humaine au sein du ministère suisse des Affaires étrangères.

De son coté,Gianni Magazzeni, coordinateur de l’Unité institution nationale au sein du Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme prend note de la décision suisse, tout en rappelant que tant Navi Pillay, Haut-commissaire aux droits de l’homme, que Ban Ki-moon, secrétaire général de l’ONU, recommandent fortement aux Etats d’adopter une telle institution.

Allergie aux critiques

Pour expliquer les résistances que suscite ce projet, Martine Brunschwig Graf donne un premier argument qu’elle a souvent entendu: «Il y a une forte conviction dans ce pays que la Suisse n’a pas de gros problèmes de droits de l’homme et donc qu’une telle institution n’est pas nécessaire. Pourtant, une telle institution permettrait à la Suisse de développer une vision globale des droits de l’homme, alors qu’elle varie selon les cantons.»

Thomas Greminger évoque, pour sa part, une raison moins glorieuse. «J’ai perçu la crainte souvent implicite qu’un telle centre critique trop durement la Suisse.»

Le monde économique, lui, est partagé. «Des entreprises comme Novartis ou ABB nous ont dit qu’il serait utile d’avoir un tel centre de compétence en Suisse, alors que pour l’heure, elles doivent recourir à des organismes étrangers», précise Thomas Greminger.

Un intérêt confirmé par Daniel Bolomey qui a participé au processus de consultation du projet. «Mais les milieux économiques centrés sur la Suisse, eux, se sont montrés franchement hostiles à ce projet.»

Le responsable de la branche suisse d’Amnesty International n’a par contre pas perçu de clivage gauche-droite face à ce projet. «L’ensemble des partis politiques s’est montré fort peu intéressé par ce projet.»

Un avis que nuance Martine Brunschwig Graf. «A au moins deux reprises, le Parlement a prolongé le traitement de l’initiative parlementaire de Müller-Hemmi déposée en 2001. Il a ainsi exprimé son souhait de trouver une solution pour ce projet.»

Une surprenante affectation

Reste à savoir pourquoi le ministère des Affaires étrangères pilote un tel projet qui concerne avant tout la politique intérieure de la Suisse.

«Je me suis moi-même posé à plusieurs reprise cette question, précise Thomas Greminger. Suite à l’initiative parlementaire Müller-Hemmi, le Conseil fédéral (gouvernement) a chargé le ministère des Affaires étrangères d’élaborer un projet, suivant, semble-t-il, la volonté de son chef d’alors Joseph Deiss. Mais il aurait été logique que le ministère de l’Intérieur ou celui en charge de la Justice assume cette tâche.»

Frédéric Burnand à Genève, swissinfo.ch

Dans le monde entier: Une centaine d’institutions nationales des droits de l’homme existent dans le monde. L’ensemble des voisins de la Suisse dispose d’une telle institution.

Mêmes principes: Bien que les options institutionnelles diffèrent d’un pays à l’autre, 66 d’entre elles répondent aux Principes de Paris adoptés par l’Assemblée générale de l’ONU en 1993.

Recommandation: Dans une recommandation adoptée en 1997, le Comité des ministres du Conseil de l’Europe a vivement encouragé ses Etats membres, dont la Suisse, à mettre en place de telles institutions.

Voie parlementaire: Le 10 décembre 2001, une initiative parlementaire de la députée Vreni Müller-Hemmi et un postulat du sénateur Eugen David ont été déposés simultanément.

Etude: En réponse au postulat David, le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) a mandaté Erika Schläppi pour une étude indépendante, qui a d’une part confirmé la nécessité pour la Suisse d’une institution nationale des droits humains et qui d’autre part, a évalué différentes options institutionnelles en soulignant leurs avantages et inconvénients.

Groupe de travail: En juin 2007, le DFAE a mis sur pied un groupe de travail Confédération – cantons chargé d’examiner l’opportunité de créer une instance pour les droits humains en Suisse et d’explorer différents modèles.

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