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L’actualité des clichés de Robert Frank sur l’Amérique

La National Gallery de Washington présente une grande exposition du photographe d'origine suisse, basée sur la réédition d'un livre visionnaire, Les Américains. Il y a 50 ans, Robert Frank avait montré des problèmes, toujours non résolus dans l'Amérique d'aujourd'hui.

Pour le cinquantenaire des Américains, le musée de Washington s’appuie sur la collaboration de Robert Frank lui-même ainsi que sur les clichés et archives que le photographe américain d’origine suisse lui a donnés pour souligner le rôle innovateur qu’a tenu Robert Frank dans l’évolution de la photographie.

«Ce livre de photographie est considéré comme le plus important depuis la Deuxième Guerre mondiale, voire le plus important du vingtième siècle», déclare Sarah Greenhough, directrice des collections de photographie à la National Gallery qui «a travaillé de près avec Robert Frank pour cette exposition».

Une vision antithétique

«Le livre de Robert Frank proposait un regard radicalement différent sur la société américaine des années 1950, une vision réellement antithétique par rapport à celle projetée par les magazines américains de l’époque tels que Life, qui, eux, véhiculaient une image optimiste et positive de l’Amérique», explique Sarah Greenhough.

«Par ailleurs, la façon dont Robert Frank photographiait tranchait avec ce qui se faisait alors, parce que son approche était plus libre et spontanée», ajoute la commissaire d’exposition.

Robert Frank commence à étudier la photographie à Zurich, sa ville natale, en 1941. Il est engagé par le photographe de publicité Michael Wolgensinger et subi l’influence du photographe suisse Gotthard Schuh, et surtout, de Jakob Tuggener.

«Le livre de Tuggener, Fabrik, a beaucoup influencé Robert Frank, en particulier cette façon de former des séquences de photos qui traitent de grands sujets par l’image et les rapports entre les images, et non pas par le texte», note Sarah Greenhough.

«Frank est, à la fois, très Américain et très Suisse et cela est très apparent dans Les Américains», affirme la conservatrice. «Il est très soigneux et très organisé quand il s’agit de numéroter et d’étiqueter ses nombreuses pellicules et c’est quelque chose qu’il a appris avec Wolgensinger en Suisse, mais il a aussi besoin de chaos autour de lui, d’une abondance d’images qu’il dispose au sol pour les trier, et ça, c’est quelque chose qu’il a appris à New York au contact des poètes beatniks et des peintres de l’expressionnisme abstrait.»

Agacé par les exigences commerciales

Émigré aux Etats-Unis en 1947, Frank est recruté par le magazine Harper’s Bazaar. Mais le Zurichois est rapidement agacé par les exigences commerciales de la presse américaine et quitte ce magazine. «Frank a toujours voulu être reconnu par le magazine Life», souligne Sarah Greenhough. Mais pendant des années, les photos de Robert Frank sont refusées par Life, avant d’être achetées par des publications européennes.

«Il a eu des difficultés à se faire publier aux Etats-Unis parce que les directeurs de publication estimaient qu’au lieu d’exprimer leurs idées, ses photographies exprimaient les siennes et étaient trop personnelles», indique la directrice des collections de photographie de la National Gallery.

Frank est cependant soutenu aux Etats-Unis par des confrères et des décideurs du monde de l’art. Notamment, le photographe Walker Evans et le directeur du département photographie au Musée d’Art Moderne de New York, Edward Steichen, qui aident Frank à obtenir une bourse de la fondation Guggenheim pour voyager à travers les Etats-Unis et préparer son livre.

Un livre mal reçu aux Etats-Unis

Composé de 83 clichés, Les Américains, note Sarah Greenhough, «creuse sous la surface du mode de vie américain et révèle un sentiment profond d’aliénation». Le livre est très mal reçu aux Etats-Unis. «Le livre a dû être publié d’abord à Paris en 1958, avant de l’être à New York un an plus tard, et à sa sortie aux Etats-Unis, il fut vilipendé et méprisé parce que jugé anti-Américain», rappelle la commissaire de l’exposition.

Mais le livre majeur de Frank demeure pertinent dans l’Amérique d’aujourd’hui. «Il est formidable que notre exposition coïncide avec l’arrivée à la Maison Blanche de Barack Obama, notre premier président noir dont l’élection montre que l’Amérique a changé dans une certaine mesure, mais en même temps, je suis frapppée par le fait qu’en 2009, cinquante ans après la publication du livre de Robert Frank, l’Amérique se débat encore avec les mêmes problèmes: le racisme, la pauvreté, le scepticisme envers les dirigeants politiques et l’aliénation des individus dans une société de consommation qui n’a fait que se développer depuis les années 50», estime Sarah Greenhough.

Sur le plan artistique, l’impact des Américains a lui-aussi traversé les années. «Ce livre a changé profondément le cours de la photographie aux Etats-Unis et à travers le monde», indique Sarah Greenhough.

«Ce livre a pris la tradition de la photo documentaire de gens comme Walker Evans qui se caractérisait par un style plus froid et objectif et l’a transformée par une approche plus personnelle et subjective», explique-t-elle, en ajoutant qu’aux Etats-Unis, «Frank a inspiré ce qu’on a appelé la photographie de rue, dans les années 60 et 70».

swissinfo. Marie-Christine Bonzom, Washington

Robert Frank est né le 9 novembre 1924 à Zurich dans une famille juive.

En 1941, il commence à étudier la photographie avec les Suisses Hermann Segesser et Michael Wolgensinger.

Il émigre aux Etats-Unis en février 1947 et s’installe à New York.

Bourse. Soutenu par le photographe américain Walker Evans, il obtient une bourse pour effectuer un voyage de reportage photographique à travers les Etats-Unis.

Ford. En 1955 et 1956, ses pérégrinations à bord d’une Ford d’occasion l’amènent dans 30 Etats de la fédération.

Livre. Fruit de ce périple, les Américains est publié d’abord à Paris par l’éditeur Robert Delpire, mais seulement un an après par Grove Press à New York en 1959.

Rejet. A sa sortie aux Etats-Unis, le livre est jugé anti-américain.

Succès. Ce livre ouvre néanmoins à Robert Frank les portes du succès national et international.

Organisée avec la collaboration de Robert Frank lui-même, l’exposition de la National Gallery marque le cinquantième anniversaire de la publication des Américains.

La National Gallery possède une impressionnante collection de photographies de Robert Frank et conserve en particulier des clichés rares et uniques datant de ses débuts en Suisse.

L’exposition du cinquantenaire des Américains présente non seulement toutes les photos du livre, mais aussi un florilège de l’œuvre de Robert Frank ainsi qu’un film qu’il a produit spécialement pour l’exposition.

L’exposition est visible à Washington jusqu’au 26 avril. Elle sera ensuite présentée au Musée d’Art Moderne de San Francisco du 17 mai au 23 août et au Metropolitan à New York du 22 septembre au 27 décembre.

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