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L’AI malade d’assurer les maux de société

Keystone

Durcissement du travail, problèmes liés à l'immigration ou à la pauvreté. L'assurance-invalidité (AI) fait les frais de la nouvelle donne socio-économique. Même si son assainissement est accepté le 27 septembre, le risque d'un transfert de charges vers d'autres assurances sociales reste d'actualité.

Les Suisses d’un certain âge dépressifs car ayant peu de chance de retrouver du travail ont été de plus en plus nombreux à devoir recourir à l’AI entre 1992 et 2006. C’est l’un des constats dressé par une étude rendue publique début juillet par l’Office des assurances sociales (OFAS).

Avec cette enquête, l’OFAS a voulu cerner un phénomène inquiétant: la forte hausse des personnes mises à l’AI pour des motifs d’ordre psychique ces vingt dernières années en Suisse. Aujourd’hui, près de 40% des bénéficiaires font partie de cette catégorie, contre 28% en 1997.

Parmi les facteurs évoqués pour expliquer cette augmentation, l’étude cite les atteintes à la santé, mais aussi la situation psychosociale et les problèmes de société. Ainsi, constate l’OFAS, les personnes d’un certain âge sans emploi, celles qui élèvent seules des enfants ou qui ont des difficultés liés à l’immigration sont tout particulièrement concernées.

Créée à l’origine pour venir en aide aux invalides et aux handicapés, cette assurance – dont les dettes atteignent aujourd’hui 13 milliards de francs – a donc subi de plein fouet les effets des mutations socio-économiques de ces dernières années.

La fameuse insécurité

A commencer par celles qui ont affecté le marché du travail. «Dans l’ensemble, la pression au travail est très forte en Suisse», note ainsi l’Observatoire suisse de la santé dans son rapport 2008. Et de préciser que «les exigences psychiques et psychosociales du travail ont augmenté.»

Professeure de médecine du travail et directrice de l’Institut universitaire romand de santé au travail, Brigitta Danuser exemplifie: «Les contrats de travail atypiques se multiplient, la peur de perdre son emploi génère un stress extraordinaire, l’inquiétude générale augmente», constate-t-elle.

Selon elle, ce durcissement est incontestablement à l’origine de nombreuses rentes AI, qu’elles soient physiques ou psychiques. Car sous cet angle, cette distinction perd sa validité. «Dans beaucoup de cas, j’ai le sentiment que les personnes font la preuve avec leurs corps qu’ils sont ‘AI-compatibles’. Ceci sans être toujours conscientes que leur douleur physique exprime une souffrance psychique», souligne Brigitta Danuser.

Reste qu’avec la 4e et plus encore la 5e révision de l’AI qui est entrée en vigueur début 2008, la tendance est clairement au resserrement. Les offices AI ont été priés de mettre l’accent sur la réadaptation professionnelle et d’intervenir au maximum en amont afin d’éviter la perte d’emploi.

Un succès selon Alard du Bois-Reymond, vice directeur de l’Office fédéral des assurances sociales et chef du domaine assurance-invalidité. «Si ces instruments avaient été introduits plus tôt, l’augmentation des rentiers atteints psychiquement aurait pu être évitée.»

Réintégration paradoxale

Critique, Ursula Schaffner, secrétaire centrale suppléante d’Entraide Suisse Handicap (Agile), déplore quant à elle que «pendant des années, le Parlement a dormi et n’a rien fait pour mettre l’AI sur des bases saines. Or maintenant que le déficit se creuse, on se souvient que l’un des buts de cette assurance a toujours été la réinsertion.»

Pour elle comme pour Brigitta Danuser, il n’est pas faux de dire que l’AI s’est muée en assurance contre les maux de société au cours des années 1990. Le retour en arrière que visent à opérer les restrictions introduites ces dernières années s’avère par conséquent très douloureux.

Toutes deux favorables au financement additionnel de l’AI soumis au verdict populaire le 27 septembre, Brigitta Danuser et Ursula Schaffner dénoncent cependant certains paradoxes. Comme celui qui consiste à essayer de réinsérer des rentiers dont un grand nombre ont précisément été écartés du marché du travail pour des troubles liés à leur profession ou à leur difficulté à se maintenir en emploi.

A cet égard, un effort de toutes les parties s’impose, selon les deux expertes. Les employeurs d’abord, parmi lesquels le réflexe de faire une demande AI plutôt que d’aménager le cadre de travail est bien réel, d’après Brigitta Danuser. Mais aussi les médecins, qui ne sont souvent pas assez conscients de la valeur intégratrice du travail.

Transfert de charges

Sur le plan politique, le gouvernement a d’ores et déjà mis en consultation la première phase de la 6e révision de l’AI. Il est prévu de faire diminuer le nombre de rentes en revoyant rétroactivement l’attribution de quelque 12’500 d’entre elles. Avec pour objectif… la réintégration sur le marché du travail.

«Irréaliste, selon Ursula Schaffner. Nous ne sommes bien sûr pas contre la réintégration. Mais il est déjà tellement difficile de trouver des places pour des personnes ayant un handicap léger. Que dire de rentiers qui n’ont plus travaillé depuis 12 ou 15 ans?» A ses yeux, le transfert de charges de l’AI vers d’autres assurances, en particulier l’aide sociale, est donc programmé.

Ce scénario – qui implique un transfert de charges puisque l’AI est gérée au niveau fédéral et que l’aide sociale l’est aux niveaux cantonal et communal – , Brigitta Danuser estime qu’il est à l’œuvre depuis des années. «On ne fait que changer de porte-monnaie sans améliorer véritablement les choses», résume-t-elle.

Du côté de l’OFAS par contre, on se veut cependant rassurant. «Une étude sur cette question datant de ce printemps montre que l’AI ne résout pas ses problèmes sur le dos de l’aide sociale, et vice-versa d’ailleurs, indique Alard du Bois-Reymond. Ce transfert est beaucoup moins important que ce que l’on imagine généralement.»

Carole Wälti, swissinfo.ch

Origines. L’assurance invalidité (AI) est entrée en vigueur en 1960, soit 12 ans après l’assurance vieillesse et survivants (AVS).

Organisation. Depuis le début, l’AI et l’AVS sont liées aussi bien en matière financière que concernant l’organisation (personnes assurées, montant des rentes, caisses de compensation).

Vases communicants. Aujourd’hui, l’AVS puise 1,4 milliard de francs par an dans sa fortune pour venir à la rescousse de l’AI.

Révisions. Depuis sa création, l’AI a été révisée à cinq reprises (1967, 1986, 1991, 2003, 2007). La 6e révision est actuellement en chantier au Parlement.

Augmentation. En 1960, 21’807 personnes étaient bénéficiaires de l’AI (0,4% de la population). Elles étaient 105’812 en 1980 (1,6%) et 221′ 899 en 2000 (3%). Elles sont aujourd’hui 294’000 (3,8%).

Rentiers. Parmi les rentiers AI, 86% (soit 252’000) vivent en Suisse et 14% résident à l’étranger. Environ un tiers des bénéficiaires de rentes sont des étrangers.

Montant de la rente. Trois quarts des rentiers bénéficient d’une rente complète, soit près de 1800 francs par mois.

Le 27 septembre, le peuple suisse est notamment invité à accepter une augmentation temporaire de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) pour combler les pertes de l’assurance-invalidité (AI).

Limitée à sept ans, cette hausse devait entrer en vigueur au 1er janvier 2010. Le Parlement a cependant cédé aux milieux économiques qui redoutaient les effets de la crise et reporté l’entrée en vigueur au 1er janvier 2011.

Actuellement de 7,6%, le taux normal de TVA sera augmenté de 0,4 points.

La hausse sera en revanche plus faible pour le taux réduit qui est appliqué aux livres, aux médicaments et à l’alimentation. Actuellement de 2,4%, ce taux réduit passera à 2,5%.

Enfin, le taux spécial de 3,6% qui est appliqué à l’industrie hôtelière sera relevé de 0,2 point.

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