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L’Allemagne fâche la Suisse

Hans-Rudolf Merz, ministre suisse des finances, avec la chancelière Angela Merkel à Berne en avril 2008. Keystone

Le fait que l’Allemagne annonce sa décision de principe d’acheter le fameux CD de données volées portant sur 1500 probables fraudeurs fiscaux risque de peser très lourd sur les relations avec la Suisse. La décision porte atteinte à la souveraineté helvétique, selon le pénaliste Mark Pieth.

«Nous nous trouvons face à un Etat qui empiète sur un autre Etat. C’est tout le problème», déclare le spécialiste bâlois en droit pénal. Et pourtant, ce dernier passe depuis longtemps pour un adversaire déclaré du secret bancaire suisse.

«Il faut d’abord se méfier des allégations selon lesquelles la Suisse aurait mal négocié. C’est peut-être vrai, mais ce n’est pas là la question. Il s’agit du comportement de deux Etats de droit l’un avec l’autre», martèle Mark Pieth.

De son côté, l’ancien ministre allemand des Finances Hans Eichel estime au contraire qu’en protégeant des fraudeurs fiscaux, la Suisse trahit la confiance de l’Allemagne.

Pour la Suisse, c’est un peu délicat et pas très crédible d’«invoquer l’Etat de droit», déclare pour sa part l’expert en droit public fribourgeois Peter Hänni, faisant allusion aux affaires conduites par les banques suisses avec des évadés fiscaux d’Allemagne ou d’autres pays.

Forcer les gens à l’auto-dénonciation

Mark Pieth critique une certaine brutalité de l’Allemagne dans son attitude. Attitude comparable à celle de la Chine, lorsqu’elle avait protégé un pirate informatique qui avait forcé le système informatique du Ministère américain de l’Economie. «Je trouve absolument incorrect de vouloir se sortir d’une situation difficile avec une telle pesée d’intérêts.»

Le juriste estime que la Suisse devrait se garder d’accorder l’entraide judiciaire à l’Allemagne si cette dernière construit des accusations sur la base des informations contenues par ce CD. «Ces informations ne seraient pas suffisantes en cas de procédure. Ce qui signifie qu’en achetant ces données, l’Allemagne devrait exercer une énorme pression pour obliger les personnes concernées à se dénoncer.»

Livrer le voleur de données

En Suisse, les partis bourgeois ont vertement critiqué l’Allemagne, parlant de «déclaration de guerre» ou de «scandale». Une attitude «inacceptable», même pour la gauche.

Le démocrate-chrétien et président de la Commission de politique extérieure de la Chambre des cantons, Eugen David, affirme que le dernier mot n’a pas encore été dit et privilégie le dialogue avec l’Allemagne. «Bien sûr, nous sommes d’avis qu’un délinquant qui vole des informations doit être livré sur la base de l’accord d’entraide judiciaire qui lie nos deux pays», déclare-t-il.

Christa Markwalder, présidente libérale-radicale de la Commission de politique étrangère de la Chambre du peuple considère quant à elle l’action allemande comme «préoccupante» et se dit étonnée de voir la coalition CDU/FDP utiliser maintenant dans ce domaine le vocabulaire et la politique de la coalition précédente. «On peut se demander ce que le changement de majorité a réellement apporté», déclare-t-elle.

La Suisse et l’Allemagne partageaient pourtant «les mêmes conceptions du droit» et Berne n’avait pas rejeté les demandes d’entraide judiciaire de Berlin, même dans les cas d’évasion fiscale, rappelle Christa Markwalder. Sans oublier l’accord de double imposition que les deux pays négocient en ce moment.

La député ne veut pas pour autant aller aussi loin que les conservateurs de l’UDC, qui demandent que les négociations soient interrompues. Mais elle considère néanmoins qu’il est «légitime» de poser la question.

Illusion populiste ?

Eugen David ne voudrait pas voir la Suisse menacer d’interrompre les négociations. «Cet accord de double imposition est important pour les deux pays. Je préférerais que nous fixions plus clairement les principes», explique le sénateur.

Pour lui, il est illusoire de croire que l’Allemagne pourra résoudre ses problèmes d’évasion fiscale uniquement avec une aide accrue de la part de la Suisse. Les gens qui veulent échapper à la pression fiscale allemande chercheront d’autre lieux pour déposer leur argent, indépendamment de la Suisse, estime Eugen David.

La Suisse n’a pas intérêt à faire maintenant de l’Allemagne son ennemie, sous peine de devoir déchanter, juge Mark Pieth. «J’ai pas mal de collègues à Francfort qui sont prêts à se montrer très offensifs contre ce genre d’attitude. Il faut chercher le dialogue avec les gens qui sont prêts à critiquer le gouvernement fédéral», avertit le pénaliste.

Et ce d’autant que l’Allemange se trouve actuellement «dans une phase populiste. Madame Merkel voit son pouvoir chanceler et cherche à regagner de la popularité avec ce genre d’affaires», conclut Mark Pieth.

Andreas Keiser, swissinfo.ch
(Traduction et adaptation de l’allemand: Isabelle Eichenberger et Marc-André Miserez)

Samedi, un inconnu a proposé pour 2,5 millions d’euros au fisc allemand un CD contenant 1500 noms de détenteurs de comptes bancaires suisses, qui représenteraient une soustraction fiscale de 100 millions d’euros

Lundi, la chancelière Angela Merkel a estimé que «tout doit être fait» pour récupérer les informations, de la même façon que l’Allemagne avait exploité une liste de 500 clients d’une banque au Liechtenstein pour récupérer 500 millions d’euros d’impôts en 2008.

Mardi, le ministre allemand des Finances Wolfgang Schäuble à déclaré au journal Augsburger Allgemeine à paraître mercredi que «la décision de principe» d’acheter le CD était prise.

En Suisse, tous les partis gouvernementaux, y compris les socialistes, ont vivement protesté. Le gouvernement doit prendre position mercredi lors de sa réunion hebdomadaire.

Dans cette affaire d’évasion fiscale qui remonte à 2008, le Ministère public allemand doit encore traiter la moitié des 845 dossiers de contribuables allemands impliqués.

Environ 150 cas ont été abandonnés après les premières investigations et 580 procédures judiciaires ont été engagées (dont 191 sont réglées).

Quatre procès publics d’importants fraudeurs fiscaux ont eu lien, dont celui du
plus célèbre des prévenus : l’ex-patron de la Poste allemande Klaus Zumwinkel, qui a écopé d’une peine avec sursis et d’une amende de plusieurs millions d’euros.

Au total, l’Allemagne a récupéré jusqu’ici plus de 200 millions d’euros.

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