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L’antiracisme s’affiche dans la provocation

Un texte 'correctif' apparaît en petits caractères au bas de l'affiche. A gauche: 'Ils les achètent'. A droite: 'Elles éteignent la lumière'. www.gra.ch

Lancée lundi dernier, la campagne de la Fondation contre le racisme et l’antisémitisme (GRA) suscite la controverse.

Innovatrice ou contre-productive, elle a le mérite d’ouvrir la discussion sur les méthodes de communication dans le domaine de la lutte contre le racisme.

Le propos est provocateur. Le ton, ironique. Jusque-là, rien de très nouveau. Ce n’est pas la première campagne coup-de-poing en Suisse. Stop Sida, entre autres, nous y avait habitués.

Mais, cette fois-ci, on est dans le domaine de la lutte contre le racisme. Un domaine où le discours est d’ordinaire plus lénifiant.

«On reproche souvent aux défenseurs des droits humains d’avoir trop de bons sentiments, d’être de gentils ‘droit-de-l’hommistes’ bêlants», lance la vice-présidente de la Commission fédérale contre le racisme.

Pour Boël Sambuc, le fait de rompre avec ce traditionnel discours est le point positif de cette campagne. Mais, comme beaucoup, elle y voit aussi un danger.

Illustrations caricaturales

Les auteurs se servent des clichés racistes pour mieux leur tordre le cou. C’est leur ambition. Et si ces clichés étaient reçus au premier degré…

Chaque affiche démarre par une question en gros caractères. Exemple: ‘Comment les Juifs gagnent-ils leur argent?’. Ceux qui attendent une blague raciste sont confrontés à une réponse des plus banales: ‘En travaillant comme tout le monde’.

Le texte est accompagné d’une illustration caricaturale de la minorité concernée. Pour la communauté noire: un visage au large sourire, entouré de bananes et de palmiers.

Lancée lundi dans toute la Suisse, la campagne a étonné. Elle a choqué aussi. Zurichois d’origine africaine, Andrew Katumba ne parvient pas à se reconnaître dans cette image du grand Noir aux dents blanches.

Inscrit sur la liste des Secondos pour les élections fédérales et actif dans le domaine du marketing, il estime que «cette campagne ne fait que renforcer les préjugés». Pour lui, «le thème est trop important et ne peut pas être réduit à des clichés.»

«Ces messages s’adressent à tous ceux qui, certes, ne racontent pas de blagues xénophobes, mais ne se gênent pas pour en rire. En bref: la majorité silencieuse», argumente la Fondation contre le racisme et l’antisémitisme.

A double tranchant

«Même si l’intention est louable, je crains que la campagne ne soit à double tranchant», commente Jean-Pierre Keller, professeur de sociologie de l’art et de l’image aux universités de Genève et de Lausanne.

«Associer une communauté à un stéréotype, c’est mettre le doigt sur le stéréotype, analyse le sociologue. Certains pourraient se dire qu’il n’y a pas de fumée sans feu.»

«C’est un peu comme si vous affichiez la photo d’un collègue avec le texte: ‘X n’est pas un voleur’, poursuit Jean-Pierre Keller. Chacun se demanderait pourquoi l’affiche est là. Cela crée le doute, puisqu’elle sous-entend que certains pensent que X est un voleur.»

De plus, le texte ‘correctif’ (la réponse) est tout petit comparé à la question. Or la plupart des gens découvrent les affiches, en passant, à travers les vitres d’un bus ou de leur voiture.

La spirale de la provoc

Les auteurs de la campagne, eux, misent sur la provocation pour attirer l’attention et ouvrir le débat.

Cécile Bühlmann, vice-présidente de la Commission fédérale contre le racisme, est du même avis: «L’essentiel est de lancer la discussion.»

Et là, c’est réussi. Dans la rue, tout le monde en parle. Depuis lundi, les commentaires se sont multipliés dans les médias. Les affiches ont été reproduites dans la plupart des quotidiens suisses.

D’ailleurs, la recette a déjà fait ses preuves. La méthode de la provocation n’est pas nouvelle. Mais il faut toujours en faire un peu plus pour capter l’attention.

«Le danger, c’est que les messages deviennent de plus en plus triviaux, constate Jean-Pierre Keller. Même les sujets les plus profonds doivent être traités en quelques mots, alors qu’ils mériteraient sans doute une plus longue réflexion.»

swissinfo, Alexandra Richard et Daniele Papacella

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