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L’architecture suisse brille depuis plus d’un siècle

Qu'ils bâtissent à Pékin, New York, Bâle ou Lausanne, les architectes suisses brillent par leurs audaces et leur talent. Une notoriété qui n'est pas nouvelle, selon Inès Lamunière, architecte et enseignante à l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne. Interview.

L’architecte suisse Peter Zumthor vient de recevoir à Tokyo le «Praemium Imperiale», soit l’une des plus hautes distinctions culturelles japonaises, qui a primé l’année dernière les architectes bâlois Jacques Herzog et Pierre de Meuron.

Depuis plusieurs années, les bâtisseurs helvétiques se distinguent sur la scène internationale, comme en Suisse. Un succès qui ne doit rien au hasard, selon l’architecte Inès Lamunière.

Directrice de la section d’architecture à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), Inès Lamunière dirige avec Patrick Devanthéry un bureau qui a signé de multiples réalisations dont le siège mondial de Philip Morris à Lausanne en 2007.

swissinfo: Plusieurs architectes suisses connaissent un grand succès international. Comment l’expliquez-vous?

I.L.: En fait, les architectes suisses ont connu le succès tout au long du 20ème siècle. Ils étaient au cœur des avant-gardes moderne (Bauhaus, Le Corbusier) et profitaient d’une excellente formation avec les Ecoles polytechniques fédérale de Zurich et Lausanne et l’école d’architecture de Genève.

Contrairement aux autres pays européens, les enseignants de ces écoles mènent en parallèle leur profession d’architecte. Ce qui permet de lier la recherche, l’enseignement et la pratique des chantiers. La Suisse a donc comme enseignants ses meilleurs architectes.

Même durant les années 60 et 70 (marquées en Europe par une forte contestation de l’architecture, symbole d’un pouvoir honni par les soixante-huitards), les écoles suisses ont continué d’enseigner la pratique de l’architecture et les étudiants de présenter des plans et des projets, alors qu’en France ou en Italie, les écoles d’architecture produisaient surtout de grands discours théoriques.

Le rayonnement actuel de l’architecture suisse, lui, a commencé dans les années 90 avec l’école tessinoise menée par Mario Botta. La génération suivante a vu émergé des figures comme Jacques Herzog et Pierre de Meuron ou Peter Zumthor, des architectes dont la renommée a beaucoup profité de la reconstruction de l’Allemagne suite à sa réunification.

Mais contrairement à d’autres pays, ces stars de l’architecture reflètent une excellence beaucoup plus large.

Kenneth Frampton, le plus grand critique de l’architecture du 20ème siècle, m’a récemment déclaré qu’il estimait que la Suisse comptait actuellement au moins une soixantaine d’architectes de très grande qualité et de niveau mondial.

swissinfo: Peut-on parler d’un style suisse en matière d’architecture?

I.L.: Les architectes suisses savent marier élégance, savoir-faire, contingences économiques et politiques. Peu de pays connaissent des commissions aussi nombreuse au travers desquelles doit passer un projet de bâtiment. Ce qui donne aux architectes suisses de grandes compétences en matière de négociations et dialogue entre propriétaire, utilisateurs et architectes.

N’oublions pas non plus le sens de la précision qui permet justement de dégager une certaine élégance des multiples contraintes qui conditionnent l’architecture.

swissinfo: Longtemps ignorée du grand public et des médias, l’architecture fait beaucoup parler d’elle en Suisse comme ailleurs. Pourquoi?

I.L.: Depuis une quinzaine d’année, l’architecture est redevenue un enjeu de marketing. Barcelone a été une des premières villes à s’inscrire dans cette optique en renouvelant profondément son architecture et son urbanisme pour donner une image contemporaine de la ville et attirer à la fois les touristes et les entreprises.

Cette prise de conscience a permis une meilleure écoute entre décideurs politiques, économiques et architectes.

swissinfo: Les architectes sont-ils plus audacieux aujourd’hui qu’hier?

I.L.: En réaction au modernisme d’après guerre, l’architecture occidentale a été submergée entre 1980 et 1995 par le courant postmoderne, un style fait de citations plutôt que d’inventions. Durant cette période, les frontons grecs ont envahi les villas privées ou les grands immeubles. Le classicisme de l’antiquité et du 19ème siècle apparaissait comme la seule solution pour l’architecture et l’urbanisme. Une idée très présente dans le monde anglo-saxon et la France.

La Suisse romande a malheureusement suivi plus longuement ce climat de rejet de la modernité, alors que l’Allemagne et la Suisse alémanique, elles, s’en sont plus vite sorties. Mais heureusement, depuis la fin des années 90, les architectes osent à nouveau créer et inventer de nouvelles formes. Une audace facilitée par les outils informatiques.

Interview swissinfo, Frédéric Burnand à Genève

Inès Lamunière achève ses études d’architecture à l’École polytechnique fédérale de Lausanne en 1980.

Elle est ensuite nommée professeure de théorie et critique du projet d’architecture à l’École polytechnique fédérale de Zurich, puis, en 1994, à l’École polytechnique fédérale de Lausanne.

Dès 2001, elle y fonde et dirige le Laboratoire d’architecture et de mobilité urbaine (LAMU). En 1996, 1999 et 2008, elle est professeure invitée à la Graduate School of Design de l’université de Harvard.

En 1983, Inès Lamunière crée et dirige Devanthéry & Lamunière – architecture, restauration du patrimoine et urbanisme, en association avec Patrick Devanthéry.

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