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L’art du graffiti reste bien vivant

Il suffit d’un spray pour être créatif… swissinfo.ch

Arrivant de Zurich, le train s’avance vers la gare de Berne. Le voyageur découvre de plus en plus de graffitis colorés sur les murs de béton gris de la banlieue. Si certains ont vieilli, d’autres sont récents, preuve de la pérennité de l’art de rue en Suisse.

Les villes suisses sont reconnues dans le monde entier pour leur propreté. Du coup, les nombreux témoignages de l’art de rue peuvent surprendre.

«Il y a pas mal de graffitis en Suisse, si l’on considère la taille de la population et du territoire», reconnait Mike, créateur du site d’archive des graffitis geneva.graffiti.ch. Ce dernier préfère ne pas donner son nom de famille.

Bien que le public, en général, continue de froncer les sourcils à la vue de ces traces laissées sur le domaine public, les sprayeurs suisses ont mûri. Le travail d’une trentaine d’entre eux est même très recherché.

Harun Dogan, alias Shark, a commencé à sprayer des lettres sur les murs lorsqu’il était encore au lycée. Il est aujourd’hui le co-fondateur de RawCut, un studio de design créatif qui produit des œuvres d’art urbain pour des magasins de mode, des restaurants, des musées et des marques commerciales.

«A l’époque des graffitis, ce n’était vraiment pas cool de travailler pour une marque, déclare-t-il en faisant référence aux années 1980, lorsque l’art de rue est apparu en Suisse. Il y a encore des gens qui font des choses illégales, mais je suppose que ce qui a changé, c’est que les jeunes voient que les vieux sprayeurs classiques arrivent à se faire du blé avec ça.»

Art venu de la rue

Electrisés par l’émergence de la culture break dance venue de New York dans les années 1980, les ados suisses ont été très prompts à entrer dans le monde des graffitis qui accompagne cette culture et à essayer d’en réaliser eux-mêmes.

C’est ainsi qu’ils se sont procurés des bombes de peinture, qu’ils se sont donnés des surnoms et qu’ils se sont mis à arpenter les rues en décorant les murs des banlieues avec des tags et des noms, de manière à atteindre d’autres personnes intéressées par ce qui était à l’époque encore largement considéré comme une sous-culture underground.

«J’étais intéressé par la break dance, par les graffitis. Vu qu’il n’y avait rien du genre de très développé à Genève, on mettait nos noms sur les murs alentours, ce qui permettait à ceux qui faisaient la même chose de savoir qu’on existait. Il y avait là-dedans quelque chose qui avait à voir avec l’ego et une autre avec le territoire», se souvient Mike, qui avait 14 ans lorsqu’il s’est pour la première fois intéressé aux graffitis.

D’autres ont cherché à faire dans l’imposant, avec l’abondance de longs espaces murés près des principales lignes de chemin de fer. «A Bâle surtout, où la ligne de train est vraiment grande, des gens peignaient de gigantesques fresques murales pendant la nuit, même si c’est illégal», déclare Harun Dogan. Pour ce dernier, la culture des graffitis a été lancée en Suisse par des films américains tel que Style Wars, en 1983.

Un style suisse

Pour l’artiste zurichois Ata Bozaci, alias Toast, la scène bâloise de l’époque était «la Mecque du graffiti» où des gens comme Sigi von Koeding, alias Dare, ont les premiers commencé à se faire un nom.

«La communauté du graffiti était petite. C’est pourquoi des styles propres à une ville se sont développés, comme à Berlin et à Dortmund. La scène suisse était petite, mais innovatrice», rappelle Ata Bozaci.

Pour Harun Dogan, la Suisse avait un problème pour développer son propre style, parce que les villes y sont petites et n’ont pas ces grandes zones urbaines que des villes comme Londres ou Berlin ont développées dans la période de l’Après-Guerre.

«Nous n’avons pas de vieux bâtiments, déclare Harun Dogan. La grande différence réside peut-être dans le fait que, dès le début, la qualité de notre travail était vraiment élevée. Nous avons réellement un bon système éducatif, un bon feeling pour le design, et c’est pourquoi beaucoup de bons artistes sur graffitis venaient de Suisse et ont gagné une réputation mondiale.»

Mais avant même que les villes puissent commencer à affirmer un style typique par le biais de la calligraphie, c’est-à-dire de la forme des lettres sprayées, l’arrivée d’Internet a signifié que des artistes en herbe avaient désormais accès à un trésor de styles du monde entier.

«Avec Internet, nous pouvons voir tout ce que a été fait ailleurs et c’est vrai qu’il est plus difficile de définir à quelle ville ou quel pays un graffiti se rattache, parce que tout le monde copie un peu ce qui se fait ailleurs, indique Mike. En Suisse, le graffiti est un peu un melting pot de graffitis du monde entier.»

Dans le courant dominant

Etant donné que les styles ont commencé à fusionner, les artistes traditionnels du graffiti ont commencé à se détourner de l’exécution de lettres avec un spray pour se tourner vers d’autres techniques telles que le pochoir, la sérigraphie, les autocollants ou l’acrylique.

«Les tags sont très mal acceptés par le public, parce que c’est quelque chose qui lui échappe, analyse Mike. Mais la plupart des gens apprécient les fresques murales.»

L’émergence de l’artiste britannique Banksy, qui a commencé à utiliser la technique du pochoir et à peindre des œuvres avec des messages spécifiques, a soudainement rendu l’art de rue accessible à une large population. «Le phénomène Banksy est lisible par chacun, du petit enfant au vieil homme; son message est compréhensible», déclare Harun Dogan.

«La Suisse a été l’un des premiers pays qui a vraiment compris comment traiter le facteur art de l’art urbain, des graffitis, poursuit-il. Nous avons eu très tôt des expositions, des gens qui payaient pour ça. Je me souviens que dans les années 1990, j’arrivais à vivre de ma peinture, juste avec un spray; c’était vraiment populaire.»

Alors qu’en Suisse, le graffiti a encore un côté underground, beaucoup d’aspirants graphistes voient l’art de rue comme une étape vers une carrière artistique, estime pour sa part Mike. Et de conclure: «Dans le années 1990, c’était un peu vu comme du vandalisme, mais aujourd’hui, cela commence à être reconnu comme une forme d’art. C’est un art qui continue d’évoluer. Le graffiti est aujourd’hui la culture urbaine de notre époque et c’est quelque chose de très important pour la représenter.»

L’art de rue est apparu en Suisse à la fin des années 1970 lorsque celui que l’on appelait le «sprayeur de Zurich», Harald Naegeli, a commencé à sprayer anonymement des chiffres sur les murs de la ville.

Se qualifiant lui-même d’artiste politique, Harald Naegeli a sprayé environ 1000 œuvres, une activité qui aboutit à son arrestation en 1979 pour déprédation de la propriété privée. Ayant fui en Allemagne, il a été condamné à une peine ferme par contumace, alors que toute la communauté artistique de Zurich avait pris sa défense.

Harald Naegeli s’est finalement rendu aux autorités suisses en 1984. Il a purgé une peine de neuf mois de prison.

Le graffitis modernes sont apparus en Suisse au milieu des années 1980, avec l’émergence de la culture hip-hop et de la break dance à New York.

D’abord illégales, les premières œuvres ont surtout été réalisées près de voies ferrées de Bâle et de Zurich par des sprayeurs qui travaillaient à la faveur de la nuit.

Avec l’arrivée de nouveaux médias, les styles de graffitis ont de plus en plus commencé à fusionner, tandis que l’utilisation d’autocollants ou de pochoirs ont commencé à transformer les graffitis dans un courant plus dominant d’art urbain.

Cette nouvelle forme d’art devenant mieux acceptée par le public, les communes ont commencé à reconnaître sa valeur en tant que forme d’expression de la jeunesse et à attribuer des «espaces libres» pour des graffitis légaux.

Toutefois, les autorités locales continuent à mettre en œuvre de programme de nettoyage des bâtiments, de sorte que des sites Internet sont apparus pour répertorier et archiver les œuvres perdues.

Traduction de l’anglais: Olivier Pauchard

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